Borne kilométrique de la R.N.66 à Saint-Maurice-sur-Moselle (photo: MV, octobre 2011).
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Sources et documents:Atlas des grandes routes de France (Michelin, 1959); Atlas routier France (Michelin, 2011); Carte Michelin Dijon-Mulhouse n°66 (1967); Carte Michelin Paris-Chaumont n°61 (1941); «Col de Bussang: passant en tout temps», Claire Brugier dans Vosges Matin; Guide vert Vosges-Alsace (Michelin, 1950-51); Guide de Paris à l'Alsace et à la Lorraine (Michelin, 1953-54); Guide du Routard Alsace-Vosges (Hachette, 2003, 2004); Guide du Routard Lorraine (Hachette, 2011); Histoire de Mulhouse, Ernest Meininger (imp. E. Maininger, 1923); Histoire des routes en Alsace, Jean Braun (association des publications près les universités de Strasbourg, 1987); Les routes de France au XXe siècle, 1900-1951 (Georges Reverdy, Presses de l'ENPC, 2007); «Lutterbach: la RN66 bientôt route départementale», Antoinette Ober, L'Alsace (17 novembre 2020); «Voirie romaine et itinéraires médiévaux: le cas de la Lorraine centrale», Jean-Marie Yante, Mémoires de l’Académie nationale de Metz (2016); ar-marmotte.fr; bussang.fr; mairie-habsheim.fr; tourisme-remiremont-plombieres.com; ville-thann.fr; le Conseil consultatif du patrimoine mulhousien. Remerciements: la Bibliothèque publique d'information du centre Georges-Pompidou; l’IGN (Géoportail et «Remonter le temps»); CartoMundi; Wikipédia; Wikisara.
Borne de limites départementales au col de Bussang (photo: MV, octobre 2011).
A la source de la Moselle, on peut suivre tout le périple de cette rivière en France et en Allemagne (photo: MV, octobre 2011).
Villes et villages traversés par la N66 historique (1959), en italique, les anciennes RN principales croisées:
Remiremont (N57)
Lépange
Maxonchamp
Rupt-sr-Moselle
Ferdrupt
Ramonchamp
Le Thillot (N486)
Fresse-sur-Moselle
Saint-Maurice-s-Moselle
Bussang
Col de Bussang
Urbès
Husseren-Wesserling
Ranspach
Saint-Amarin
Moosch
Willer-sur-Thur
Bitschwiller-lès-Thann
Thann
Vieux-Thann
Cernay (N83)
Lutterbach
Pfastatt
Mulhouse
Rixheim
Habsheim
Sierentz
Bartenheim
La Chaussée (N68)
St-Louis-La-Chaussée
Saint-Louis (N19, N73)
Bâle
Mulhouse, quelques dates importantes. Le 21 novembre 1323, Mulhouse et Bâle signent une convention qui interdit aux habitants "toute mainmise les uns sur les autres". Les premiers pavages ont lieu en 1544 (rue de la Loi et des Franciscains). Premiers réverbères à huile dans les rues de Mulhouse en 1784. Le 15 mars 1798, la ville choisit le rattachement à la France. Les travaux de la chaussée de Dornach débutent en 1826. Les premières plaques de rues sont posées en 1842. (Histoire de Mulhouse, Ernest Meininger)
La route des vins d'Alsace débute (au sud) à Thann et rejoint Marlenheim, dans le Bas-Rhin (photo: MV, septembre 2009).
A la sortie de Mulhouse, en direction de Habsheim (photo: MV, octobre 2011).
A qelques mètres de la frontière suisse, cette borne kilométrique marque la fin de la R.N.66 (photo: MV, avril 2007).

Nos belles routes de France
R.N.66: DE BIEN BEAUX BALLONS (II)
Après avoir sillonné la Lorraine, la R.N.66 de 1959 s'apprête à contourner les ballons des Vosges et traverser les vignobles d'Alsace avant de finir au pied du Rhin, dans cette croquignolette région du Sundgau. L'occasion d'évoquer plus précisément l'Alsace, une région riche en anciennes voies de communication, antique frontière depuis les Gallo-Romains... Depuis toujours, cette région s'est installée dans le coeur commerçant d'une Europe dynamique et ouverte au monde. Bâle, en Suisse, marque le terme de notre promenade de 287 km, effectuée en octobre 2011 mais dont nous refaisons entièrement le texte, en cette année 2021, dix ans plus tard.

En route pour le col de Bussang (Photo: Marc Verney, octobre 2011). En cliquant sur l'image, vous revenez sur la page principale du site.

Nous voici à Remiremont. Depuis Epinal, nous avons suivi l'ancienne chaussée (réalisée au début du XVIIIe siècle), qui suit les bords de la Moselle. Les villages de Dinozé, Arches, Pouxeux et Saint-Nabord sont vite franchis.
Les bords de route sont industrieux et nous rappellent les anciennes vocations de ces vallées vosgiennes, métal, textile, verrerie, bois. Peu après Dinozé, la route passe non loin d'un vaste et émouvant cimetière militaire américain: la mémoire des morts de la 45e division; celle qui a libéré Epinal en septembre 1944. La cité de Remiremont fut longtemps le siège d'un monastère de femmes à la grande notoriété. En effet, ces dames mènent, nous raconte le Guide Michelin de Paris à l'Alsace et à la Lorraine (1953) «une existence qui n'a rien d'ascétique»! Il n'y a que leur mère-abbesse qui ait à faire des voeux; les chanoinesses, elles, vivent une liberté spirituelle fort rare pour l'époque dans ce lieu fondé au VIIe siècle... Lors d'un voyage en Italie et en Allemagne en 1580, Michel de Montaigne fit halte à Remiremont. Sur le site Wikipédia (page de la ville) on peut lire que l'écrivain relate dans son journal de voyage «que l'abbesse et les chanoinesses lui firent le plus aimable accueil et lui envoyèrent des artichauts, des perdrix et un baril de vin». Au fil des siècles, raconte le site tourisme-remiremont-plombieres.com, l’activité commerçante et artisanale «se développa, créant ainsi un bourg actif aux portes de l’abbaye» qui fermera ses portes à la Révolution française.

A VOIR, A FAIRE L'ancienne Grand-Rue (rue Charles-de-Gaulle) possède de pittoresques arcades du XVIIIe siècle. L'église et le palais abbatiaux rappellent la magnificence du chapitre féminin de Remiremont; alentours on peut voir aussi les hôtels des chanoinesses, qui, décidément menaient ici une vraie vie de patachon! Spécialité culinaire: la nonnette, un succulent gâteau au pain d'épice.

R.N.57: "T'AS VOULU VOIR VESOUL"!
La route nationale 57 historique de 1959 relie Metz à Besançon en passant par Nancy, Epinal, Vesoul... Un coin de France cher aux chanteurs! (lire)

On reprend la R.N.66 historique à la sortie de Remiremont par le Faubourg d’Alsace (D466). Notre chemin suit la Moselle jusqu’à sa source. Si la construction de la route du col de Bussang (côté lorrain) date de la moitié du XVIIIe siècle (tracée sur la carte de Cassini publiée par le Géoportail de l’IGN), la voie est fréquentée depuis des temps très anciens. Au Moyen-Age, le chemin du col de Bussang fait partie d'un itinéraire qui relie l'Italie aux Flandres, générant dans les villes et villages du coin un vigoureux trafic commercial. Bien plus tard, nous dit Georges Reverdy dans Les routes de France au XXe siècle, 1900-1951, l'aménagement général de cette route entre Remiremont et Bussang sera revu en 1946 et à la fin du XXe siècle. Encore une fois, notre itinéraire, joyeusement lent, évite au maximum la quatre-voies qui s'achève (en 2011) à Lépange. Mais, pour suivre la route ancienne, souvent perdue sous le béton contemporain, il faut atteindre Maxonchamp où l’on franchit la Moselle (un pont en maçonnerie y est édifié en 1726) et se diriger vers le centre de Rupt-sur-Moselle. Cette commune, qui date de 1789, a été formée d'une partie du ban de Longchamp, qui était, jadis, possession indivise du duché de Lorraine et de l'abbaye de Remiremont. «La forêt est la principale richesse des habitants du ban, écrit le site ruptsurmoselle.fr, ils en ont besoin pour vivre. Dans les bois, ils essartent, c'est à dire qu'ils brûlent certains cantons; puis ils cultivent cette terre durant trois ans, et la laissent se reposer douze ans». Un peu plus loin, à 7 kilomètres, le Thillot n'était, dans les temps anciens qu'un lieu-dit de la commune de Ramonchamp. Il doit probablement son nom, nous signale la mairie sur son site à un tilleul sous lequel la justice était rendue mais peut-être également au péage avec la Franche-Comté voisine. Dans tous les cas, la petite ville est née avec un décret impérial en date du 30 juin 1860. Celui-ci l'a clairement séparée de Ramonchamp après onze ans de rudes tractations. Une forte tradition industrielle imprègne les lieux: mines de cuivre dès le XVIe siècle, manufacture de fer blanc à partir de 1727, tanneries. En 1871, après la débâcle de l'Empire, nous conte l'encyclopédie Wikipédia, le textile «s'implante dans la vallée sur l'impulsion d'Alsaciens fuyant l'annexion allemande». La crise du textile, à la fin du XXe siècle, va cependant accélérer le déclin industriel de ces rudes vallées vosgiennes.

A VOIR, A FAIRE Le vaste site minier des ducs de Lorraine est juste à côté du Thillot. L'exploitation des mines de cuivre remonte ici à 1560. La richesse des filons de la Haute-Vallée de la Moselle et le savoir-faire des mineurs locaux ont engendré une activité minière qui a atteint son apogée au XVIIe siècle et perduré jusqu’en 1761.

R.N.486: BALLONS ET VALLONS
La route nationale 486 de 1959 virevolte autour des ballons vosgiens et s'insinue en Franche-Comté par le beau pays des "Mille-Etangs"... Etonnant! (lire)

Le Relais des Ballons, à St-Maurice-sur-Moselle. Photo: Marc Verney, octobre 2011.

Dès lors, la route se faufile le long des nombreuses habitations et de la Moselle. Après Saint-Maurice-sur-Moselle, où l'on laisse sur la droite la route du ballon d'Alsace (ouverte sous Louis XV en 1763), la route nationale 66 prend la direction de Bussang et de son col. L’usage du terme «col de Bussang» est relativement récent: côté francophone, on évoquait plutôt le pertuis d’Estaye et du côté des germanophones, c'était Steige zur Linden ou encore D’Steig. «De tous les cols des Vosges, affirme en 1895, le Bulletin de la société philomatique vosgienne, celui de Bussang a été, sans contredit, le plus fréquenté; il l'a été de tous temps, dans l'antiquité comme de nos jours». «C'est par là, insiste le Bulletin, que se faisaient les échanges entre la Suisse, la Haute-Alsace, la Lorraine et la vallée de la Moselle. Les Romains y firent passer une de leurs grandes voies, celle de Bâle à Metz. (...) Quoi d'étonnant, qu'à cette époque, Bussang, situé au pied du col, fut un lieu habité? Il y a toujours à l'entrée des passages difficiles un lieu de repos, de secours. Avant les chemins de fer, au temps du roulage, on trouvait au bas des grandes côtes, des chevaux de renfort pour aider à les gravir». Par ailleurs, écrit Jean-Marie Yante, dans son article «Voirie romaine et itinéraires médiévaux: le cas de la Lorraine centrale», «l’ouverture du Saint-Gothard, aux alentours de 1220, confère une importance considérable à la route de Neufchâteau à Bâle. En 1332, le duc Ferry IV de Lorraine accorde sa protection aux marchands de Metz gagnant la Lombardie via Nancy et le col de Bussang. Le péage de Lestray, proche de celui-ci, est mentionné à plusieurs reprises au cours des XIIIe et XIVe siècles. Et l’on sait que des aménagements routiers sont réalisés au seuil du XVIe». Bussang devient une communauté indépendante en 1420 mais reste partie de la commune de Saint-Maurice. Au XVIe siècle, c'est l'exploitation des mines qui fait la richesse des lieux. Les eaux ne sont évoquées qu'à partir de 1615, nous précise le site bussang.fr. La route traverse un bourg maintenant beaucoup plus calme et entame sa montée vers le col en longeant la source de la Moselle. Un premier tracé ancien suit la D89 par Champé alors que l’on empruntera la rive gauche de la Moselle dans la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’aux années 70 en passant par le pont du Séchenat (1847). Ensuite, un court tunnel routier (240 m) creusé à partir de 1846 conduisait les voyageurs de Lorraine en Alsace. La réalisation de ce tunnel faisait partie d'un plan global de réaménagement de la route, quittant, côté Alsace, le tracé de 1738-49 pour un chemin suivant le flanc sud de la vallée. Un chantier poursuivi par l'occupant allemand de 1905 à 1914. Le tunnel routier (il existe aussi à Bussang une ébauche de tunnel ferroviaire) ne servira que jusqu'en 1944, date à laquelle il est pulvérisé par la Wehrmacht en déroute. Dès 1953, le col sera franchi en tranchée, faisant oublier le court tunnel.

Plaque de cocher à Bussang. Notez que l'on y indique la hauteur de l'axe de la chaussée, ce qui est rare sur les signes de ce type. Photo: Marc Verney, octobre 2011.

A VOIR, A FAIRE On peut aller jeter un oeil à la source de la Moselle, située à quelques mètres seulement de la route. L'endroit a été entièrement aménagé: le cheminement de la rivière (560 km) est matérialisé sur un beau muret de pierre. Le théâtre du Peuple, créé en 1895 par Maurice Pottecher. C'est un bâtiment en bois dont la scène est ouverte sur la nature et qui peut accueillir jusqu'à 900 personnes. Particularité: faire cohabiter acteurs professionnels et amateurs. Nombreuses randonnées dans la région.

Dès la borne de limites départementales Vosges-Haut-Rhin franchie, la chaussée (D1066 désormais) plonge vers la vallée de la Thur. A gauche, en contrebas, se trouve l'entrée du défunt tunnel routier. Puis, plusieurs lacets font rapidement descendre la route au niveau du village d'Urbès. Citée sous le nom d'Urbeis dès 1192, la localité faisait partie du territoire de la puissante abbaye de Murbach. Vers 1228, relate le site urbes-alsace.fr, «un privilège de l’empereur Frédéric II autorisa le prince-abbé de Murbach à lever un péage dans la vallée de Saint-Amarin dont il était le seigneur. Urbès a ainsi pu constituer très tôt un lieu d’étape sur la route reliant la Lorraine à l’Alsace, les pays flamands à la Suisse et à l’Italie. Quoi qu’il en soit, l’abbaye de Murbach y possédait une hôtellerie (en face de l’actuelle église), cédée en 1515 à un particulier qui en continua l’exploitation. Une auberge est à nouveau mentionnée à la sortie d’Urbès à partir du début du XVIIIe siècle; cet établissement fut doublé au siècle suivant d’un relais de poste aux chevaux». Tout comme côté lorrain, des mines de cuivre y seront exploitées jusqu'au XVIIIe siècle. Le creusement d'un tunnel ferroviaire devant traverser le massif des Vosges y fut mené sur plus de 4 km, à partir de 1932 mais abandonné -faute de financement- en 1938. Il reste, de ce projet quelques infrastructures (un viaduc notamment) qui parsèment étrangement le paysage de la commune. Sous l'occupation allemande (de 1870 à 1918), la route de Mulhouse au col de Bussang a porté le n°10 (Staatstrasse). Plus loin, voilà le village de Saint-Amarin. Montaigne, en 1580, descendant de Bussang, a peut-être versé son écot aux religieux... Ce qui ne l'a pas empêché d'apprécier les lieux: «la plaine d'Alsace, un païs beau, très fertile, garny de plusieurs beaux villages et hosteleries». A la fin du Moyen Age, écrit Jean Braun dans l'Histoire des routes en Alsace, la voie passant par Bussang était particulièrement surveillée et balisée: outre le péage de Saint-Amarin, il y avait celui de Thann et «quatre châteaux-forts» s'échelonnaient «le long de la vallée de la Thur». Un axe routier «qui a déterminé le développement de la ville de Thann», conclut l'auteur.

Tracé de la R.N.66 entre Epinal et Bâle. Source: Carte des routes à priorité éditée par le Laboratoire de médecine expérimentale en 1933.

La vallée de la Thur, nous dit le guide Michelin Vosges-Alsace de 1950 est un «large sillon creusé par les anciens glaciers»; «ici, poursuit le guide, les grands noms historiques ne sont pas des noms de guerriers ou de souverains», mais ceux des «fondateurs d'usines métallurgiques, textiles ou de produits chimiques». Et c'est vrai qu'au fil des villages qui s'allongent jusqu'à Thann, le voyageur d'aujourd'hui, perdu dans la vigoureuse circulation, imagine bien quelle fourmilière industrielle cette vallée a pu être... Il faut se rappeler que c'est à Husseren-Wesserling, à côté d'Urbès, que sera installé en 1809 la toute première filature mécanique de la région! Gardienne de la vallée de la Thur, Thann tire son origine d'un poste de garde romain établi sur un rocher avoisinant, le Schlossberg. Il surveillait la voie menant au col de Bussang. Le péage de Thann allait d'ailleurs perdurer des centaines d'années. Puissamment fortifiée aux XIIIe, XIVe et XVe siècles, la cité résiste à de nombreuses tentatives d'invasion et est finalement rattachée à la France en 1648 «à la fin de la guerre de Trente Ans, quand le roi de France Louis XIV récupère les territoires de "l’Autriche antérieure" lors du traité de Westphalie», souligne le site ville-thann.fr. D'un passé mouvementé, Thann ne conserve que ses anciennes demeures -son château est démoli par ordre du roi en 1673 et les anciennes fortifications, dont les portes des Vosges et du Rhin sont rasées au cours du XIXe siècle. La localité n’échappe pas à la vague industrielle qui submerge la région: «En 1785, écrit encore le site ville-thann.fr, Pierre Dollfus crée la première industrie de toiles peintes». La présence d’une eau abondante, d’une main d’oeuvre nombreuse et habile incite des familles aisées à investir ici aussi dans l’installation d’industries textiles (filature et tissage de coton surtout). Puis en 1808, «Philippe-Charles Kestner, un Hanovrien, établit à Thann une industrie de produits chimiques pour répondre aux besoins du textile». Devenue allemande en 1870, Thann est libérée par l’une des premières offensives françaises sur le front des Vosges, le 7 août 1914. La cité devient, pendant quatre ans, malgré sa proximité avec le front, la capitale de l’Alsace libérée.

A VOIR, A FAIRE On trouve à Thann l'une des plus belles églises gothiques d'Alsace, la collégiale Saint-Thiébaut, citée au XIIIe siècle mais bâtie par morceaux jusqu'au XVIe. On peut aussi se promener dans le vieux Thann (ne pas confondre avec la commune proche de Vieux-Thann!) et le long de l'ancienne Grand-Rue de la ville (auj. rue de la 1ère-armée). L'automobiliste souhaitant s'évader dans la nature vosgienne pourra emprunter la route Joffre, qui serpente sur 15 km jusqu'à Masevaux. Cet axe porte ce nom car il a été réalisé durant la Première Guerre mondiale pour acheminer des renforts au front tout proche. C'est à Thann également que part (ou s'achève) la route des vins d'Alsace (créée en 1953) qui file sur 170 km au milieu des vignobles jusqu'à Marlenheim au nord.

R.N.83: LA VOIE DES LYONNAIS
Entre Lyon et Strasbourg, la route nationale 83 longe le Jura et le beau Revermont... En Alsace, il est aussi question de vins le long de cette belle chaussée (lire)

On quitte Thann en suivant la direction de Mulhouse, qui ne se trouve qu'à une grosse vingtaine de kilomètres à l'est. Après avoir croisé l'ancienne nationale 83 Strasbourg-Lyon (D483) au lieu-dit la Croisière (sud de Cernay), il est bien difficile de retrouver trace des axes anciens le long de cette quatre-voies cernée par les industries, les mines et les centres commerciaux. Ainsi, c'est là qu'eurent lieu les premiers forages ayant mené au début du XXe siècle à la découverte de potasse dans le sous-sol alsacien (On utilise cette matière première pour fabriquer des détergents). On peut parier que les agglomérations de Thann et de Mulhouse ne feront bientôt plus qu'une... Un tram-train relie d'ailleurs maintenant les deux villes; projet innovant qui s'installe sur les rails (si l'on peut dire!) de l'ancienne voie Mulhouse-Thann, dont le premier coup de pioche fut donné en 1838 et qui fut l’une des premières voies ferrées de France. La région a, là aussi été durement éprouvée par les guerres: Cernay et ses environs ont été en grande partie détruits «en 1915 lors de la Première Guerre mondiale et à nouveau très endommagés en 1945 par les combats de la "poche de Colmar", la plupart des bâtiments communaux et tous les ponts étant détruits», dit ville-cernay.fr. Sans parler des horribles combats que la 1ère armée française eut à mener sur le site des mines de potasse d'Alsace, libéré le 3 février 1945, au cours d'un hiver impitoyable, avec des températures pouvant atteindre −20 °C... Peu avant d'arriver à Mulhouse, la R.N.66 d'antan franchit les villages de Lutterbach et de Pfastatt (D66). Dans le premier bourg, une association d'histoire locale a recensé les délibérations du conseil municipal concernant la R.N.66: on apprend donc que le 2 septembre 1844, les élus du bourg ont décidé la prise en charge de la moitié de la dépense occasionnée par l'établissement de rigoles pavées le long de la route royale 66, puis qu'en 1857 il sera installé trois réverbères fonctionnant au pétrole le long de la route impériale (on a changé de régime!). A Pfastatt, lieu mentionné en 728 comme faisant partie du territoire de l'abbaye de Murbach, on ne se trouve plus qu'à quelques encablures de Mulhouse, principale cité traversée par la R.N.66. Un article publié dans le journal L’Alsace, évoque le trafic incessant sur cette chaussée au XIXe siècle: «Chaque année, des milliers de tonnes de matières premières y transitent. C’est grâce à ces flux importants que, dès 1812, la compagnie Gervais et Voinier à Nancy et en 1815 la compagnie Danzas à Saint-Louis organisent des services de roulage entre Mulhouse et Paris», rapporte Damien Kuntz, président de l’Association d’histoire de Lutterbach, cité dans cet article, titré «Lutterbach: la RN66 bientôt route départementale».

Notre route suit maintenant la rue de Soultz et passe la Doller sur le pont de Bourtzwiller (1842 selon Wikisara). Mulhouse, longtemps surnommée le «Manchester français» ou «la ville aux cents cheminées» nous raconte un passé industriel prestigieux, initié par de jeunes entrepreneurs protestants audacieux, âpres au gain et (parfois) soucieux de leurs employés. La ville a pourtant une histoire récente: Ernest Meininger, dans son Histoire de Mulhouse indique que les sols n'ont fourni «aucun vestige sérieux de la domination romaine. Pour l'auteur, il est probable que dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, la région ne formait encore que des marais dus aux inondations de l'Ill et alternant avec des forêts». Les premiers défrichements se seraient déroulés au VIe siècle, formant un hameau qui aurait alors reçu le nom de Mülenhusen au IXe siècle. Au XIIe siècle, le territoire mulhousien passe aux mains de l'empereur Frédéric 1er. Plus tard, nous raconte le site internet de la ville, «son statut de ville d'Empire et ses alliances avec les cantons suisses (en 1515) et le royaume de France lui confèrent une quasi-indépendance et lui permettent d'être épargnée par les conflits». C'est en 1523 que Mulhouse adhère à la Réforme et choisit le culte protestant qui s'établira définitivement en en 1529. La première manufacture d'indiennes (sorte de tissus imprimés) est créée dans la cité au milieu du XVIIIe siècle. C'est le début d'un impressionnant développement industriel de la ville. De 6000 habitants en 1798, nous indique Wikipédia, la population passe à 30.000 en 1850, à 63.000 en 1880 et à 90.000 en 1900. Le 15 mars 1798, la petite République de Mulhouse (indépendante depuis le traité de Westphalie en 1648) choisit de s'unir à la France. De 1870 à 1918, la ville subira une première occupation allemande qui provoquera la fuite de certains industriels vers les Vosges voisines (ce qui, on l'a vu profitera à Epinal et Remiremont); la deuxième occupation, plus courte, entre 1940 et 1944, sera néanmoins encore plus dure (germanisation à outrance, déportation des juifs, combats et bombardements).

A VOIR, A FAIRE Dans la ville ancienne, on peut admirer l'hôtel de ville, bâti au cours du XVIe siècle. Voyez, dans un angle, la pierre du Klapperstein (pierre des bavardages), un poids de 25 livres qui était attaché au cou des médisants et de ceux qui se montraient agressifs vis-à-vis des femmes. Les punis étaient condamnés à faire le tour de la ville, juchés à l'envers sur un âne. Tout autour de l'hôtel de ville, la place de la Réunion, coeur de l'ancien Mulhouse. Deux musées passionneront l'amateur des voyages: le musée national de l'Automobile (collection Schlumpf) qui regroupe 400 des plus belles automobiles de l'histoire (dont des Bugatti) et le musée français du Chemin de fer (on y trouve notamment la puissante locomotive à vapeur Pacific 231).

On quitte Mulhouse en suivant la direction de la Suisse par la rue de Bâle, une ville qui ne se situe désormais qu'à une grosse trentaine de kilomètres de nos roues. La carte de Cassini publiée par le Géoportail de l’IGN montre, au XVIIIe siècle, le passage d’un chemin à peu près sur les traces de notre R.N.66 de 1959. Vers Rixheim, on remarque, sur la carte d’état-major du XIXe publiée par l’IGN, qu’il n’y avait qu’une seule «auberge» au croisement de la rue de Mulhouse et de la rue de l’Île-Napoléon. Hormis le bitume, il n'y a ici plus aucune trace de la route nationale puisque nous roulons sur la D201. Nous voici dans la plaine du Rhin, une zone qui a été conquise sur les eaux du fleuve au fil des siècles. La voie longe la vaste forêt de la Harth. A Habsheim, «les fouilles récentes, nous dit la mairie sur son site internet, attestent de l'existence, à l'époque gallo-romaine d'un grand camp militaire, d'un important établissement agricole et d'un relais routier, à proximité de la grande voie romaine reliant Strasbourg à Augst (l'ancienne cité de Bâle, NDR)». A Bartenheim, la route s'oriente brutalement à l'est en direction de La Chaussée. Là, les archives locales mentionnent l'existence d'une voie dès 1447. Celle-ci, qui portait le nom de «Neuer Weg in der Hart» reliait Bâle à Kembs. Plus tard, au XVIe siècle, il sera question d'une chaussée établie en ces contrées pour permettre aux voyageurs de traverser plus ou moins à sec une région souvent inondée par les crues du Rhin. Et l'activité s'organise: des auberges s'installent le long de l'axe qui se développe encore avec la construction par Vauban, au XVIIe siècle de la forteresse de Huningue sur instruction de Louis XVI. Des travaux de correction du Rhin au moyen de digues seront réalisés entre 1842 et 1876 par l'ingénieur badois Tulla. Ceux-ci permirent de mettre définitivement hors d'eau le réseau routier de la région.

R.N.68: AU FIL DU RHIN...
Du nord au sud de l’Alsace, la route n°68 déroule son macadam au milieu des champs de la prospère plaine du Rhin. Charmants villages, riche histoire, que demander de plus? (lire)

La R.N.66 historique arrive aux portes de Saint-Louis. Photo: Marc Verney, octobre 2011.

A VOIR, A FAIRE Première réserve naturelle d'Alsace, créée en 1982, et endroit fascinant, la petite Camargue alsacienne compte 904 hectares. On y trouve des dépressions humides, roselières et systèmes d'anciens bras du Rhin, prairies humides, pelouses sèches, prés de fauche, forêts alluviales, sources phréatiques... On peut y voir aussi la pisciculture impériale, construite en 1852 sur ce site sous Napoléon III pour l'élevage du saumon et de la truite. Il s'agit-là de la première pisciculture industrielle d'Europe.

Voilà enfin Saint-Louis, terme de notre voyage. La ville est récente: c'est une ordonnance de Louis XIV qui la crée en 1684. L'excellente implantation, non loin du point d'arrivée de la route Paris-Bâle fait des lieux à la fois un carrefour et un poste-frontière. En 1791, l'installation de la douane nationale donne le coup de fouet supplémentaire à l'économie locale. Au début du XIXe siècle, d'importantes sociétés de transport s'établissent à Saint-Louis, flairant l'aubaine commerciale. Le train arrive en 1840, mais c'est paradoxalement sous le régime allemand (1870-1914) que l'industrialisation de la contrée s'emballe. Les usines produisent pour le marché suisse, tout proche et le bourg devient une vraie cité qui se dote de tout le «confort moderne» et même d'un tramway électrique en 1900. Les deux guerres mondiales seront plus difficiles à vivre pour les habitants de la région. Aujourd'hui, le poste-frontière se trouve à l'extrémité de la rue de Bâle. La grande cité helvétique jouxte la France aussi n'y a-t-il aucune brèche dans la continuité urbanisée des ultimes mètres de la R.N.66 historique.

R.N.19: LE PARIS-SUISSE
Entre Paris et Bâle, la route nationale 19 file plein est au milieu de la France profonde avant d'atteindre Belfort et de passer en Alsace. Un sacré périple rempli d'histoires... (lire)

R.N.73: DE BALE A MOULINS!
De Bâle à Moulins, la route nationale 73 traverse le Sundgau et les monts jurassiens pour aller courir en Bourgogne. Voilà encore un joli parcours... (lire)

Un mot sur la ville de Bâle. En 44 avant notre ère, les Romains construisent une petite cité à Augusta Raurica (Augst), 10 km au nord de la ville actuelle. Les lieux sont détruits et les Francs s'installent dans la région en 450. L'influence de Bâle ne cesse de grandir: cité épicopale en 740, construction de la cathédrale en 1019, construction du premier pont enjambant le Rhin en 1225... Le XIVe siècle est épouvantable: la peste s'installe et la ville est ravagée par un monstrueux tremblement de terre. Cela s'améliore au XVe: création de la première université au nord des Alpes, arrivée de l'imprimerie, foires commerciales... En 1501, c'est l'entrée dans la Confédération. Ville industrieuse, Bâle voit la fondation, par Johann Rudolf Geigy en 1758, d'un commerce de produits chimiques. En 1970, Geigy fusionne avec Ciba pour former Ciba-Geigy qui prendra ensuite le nom de Ciba en 1992. Puis ce sera la fusion en 1996 avec Sandoz pour former Novartis (3e groupe pharmaceutique au monde). Mais Bâle n'offre pas que des usines et des cheminées à visiter...

A VOIR, A FAIRE Avec une bonne trentaine de musées, il y a de quoi faire! A noter tout particulièrement le Kunstmuseum, le plus coté de Suisse (il expose des oeuvres des XVe et XVIe siècles mais également du XIXe et XXe siècles). Il peut être aussi très agréable de se promener dans la vieille ville située de part et d'autre du Mittlere Brücke. Enfin, voilà la cathédrale, construite à partir du XIe siècle. Fin février, on viendra suivre le carnaval de la ville, unique en terre protestante! A deux kilomètres de Bâle, à Riehen, l'extraordinaire fondation Beyeler (200 oeuvres des grands maîtres de l'art moderne).

Marc Verney, Sur ma route, octobre 2021

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