Localités
et lieux traversés par la N5 (1959):
A VOIR, A FAIRE
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Belle
route blanche...
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La sortie de Dijon se fait par la rue d’Auxonne. Celle-ci, nous dit l’ouvrage Dijon d’antan, est, aux XVIIIe et XIXe siècles, «surtout occupée par des auberges qui accueillent les voyageurs et les marchands venus de la plaine de la Saône et de la Franche-Comté». Ensuite, les automobilistes qui souhaitent suivre le trajet historique de la route blanche doivent emprunter l’avenue du Mont-Blanc qui s’étire en direction de Neuilly-lès-Dijon. Sur un plan de Dijon avant la Révolution, la route royale sort de la ville par la porte Saint-Pierre puis suit quelque temps le cours du Suzon qu’elle aura auparavant traversé sur un pont. Le chemin primitif, qui coupait le pâquier de Bray jusqu’à la ferme du même nom, devenait, «chaque hiver un véritable bourbier» en raison du ruissellement de nombreuses sources, lit-on dans les Etudes sur la topographie dijonnaise. En 1687, les Etats généraux de Bourgogne entament le processus de réaménagement par le Pont Barreau. Mieux: en 1770, un nouveau tracé, encore plus rectiligne, est projeté. Mais, faute d’argent, on n’ira pas plus loin, et c’est globalement le tracé de 1687 qui supporte encore le trafic actuel de la D905b, sauf autour du fort de Sennecey où l’ancienne route passe au sud du rond-point actuel puis entre la voie ferrée et l’A39… Quoiqu’il en soit, sur le chemin de Dole, les bâtisseurs de routes en cette fin du XVIIe siècle se sont heurtés à de vastes étendues marécageuses dont l’assèchement avait cependant commencé au début de ce siècle. La construction des chaussées s’est trouvée confrontée à de multiples petites rivières au cours parfois capricieux: Ouche, Norges, Tille, Crône...
Après Crimolois, la route actuelle s’appelle à nouveau D905. De Fauverney à Genlis, la route, au premier tracé réalisé en 1677 d’après l’ouvrage Genlis, zigzague au coeur des terres fertiles du large val de Saône. Ici, la culture de la betterave sucrière et des patates est reine, ce qui occasionne parfois quelques frictions automobiles avec les lourds et lents tracteurs aux remorques chargées de légumes... Janlé, Genley, Janly, la petite cité de Genlis a eu plusieurs noms au fil du temps... Le village ne comptait que 80 feux et 400 «communiants» en 1742... plus tard, proximité de Dijon oblige, il y avait 5334 habitants en 1999! Un premier pont sur la Norges est construit en 1685. Il y en aura plusieurs comme cela, jusqu’au dernier, réalisé en 1997 sur une rivière enfin canalisée. A l’orée du XXe siècle, l’éclairage public est au pétrole et les rares voyageurs sont accueillis à l’hôtel de la Côte d’Or ou bien à l’hôtel de France... Il n’y a que quelques kilomètres entre Genlis et Longeault sur des chaussées réaménagées à la moitié du XVIIIe siècle. Là, la route traverse la Tille dont les inondations peuvent être redoutables. Du coup, la chaussée surplombe les champs... et des maisons qui ont eu bien souvent les pieds dans l’eau... Peu de kilomètres après Soirans (deux cafés-épiceries en 1900) et juste après l’embranchement de Villers-les-Pots, la route Paris-Genève coupe, au début de la longue levée boisée du pont d’Auxonne, un petit chemin vicinal. A droite, voici la chapelle gothique en briques, dite de la Levée... Le lieu servait parfois d’asile sur cette route, qui, au XIIIe siècle, conduisait les commerçants et les pèlerins vers l’Italie.
Cette petite chapelle fut aussi appelée au XIXe siècle «chapelle Napoléon» voit-on dans le Guide illustré d’Auxonne. Ce qui mérite explication: un jeune lieutenant d’artillerie, du nom de Bonaparte, en garnison à Auxonne de juin 1788 à septembre 1789 et de février à juin 1791, venait s’y recueillir au cours de ses promenades sur la route de Dijon, dit-on... L’homme, qui n’était pas un dévot, affectionnait certainement, comme tous les Auxonnais, plus cette belle balade pour sa fraîcheur aux beaux jours que pour l’amour de la religion... Une magnifique allée d’ormes plantés sur la longue levée du pont d’Auxonne mène en effet tout droit à la traversée de la Saône. Si la route actuelle passe toujours sur le terre-plein de 1739 agrémenté de huit ponts, une précédente levée de terre avait été bâtie un peu à côté sur des empierrements gallo-romains dès 1335 pour éviter les zones humides et inondables autour de la rivière. Anciens marécages, les terres alentours sont dédiées au maraîchage: oignons, pommes de terre, carottes, carottes, asperges font les choux gras (!) de toute une population de petits producteurs (en 1954, la surface moyenne des exploitations était de 2 ha). Un dernier chiffre (pour la route!): le 4 juin 1908 il entre à Auxonne, pour le marché, 7310 bottes d’asperges de 2 kilos... En pleine saison le trafic en direction de Dijon était si important au XIXe siècle, découvre-t-on dans Le canton d’Auxonne en 1900 à travers les cartes postales qu’un fermier installé au pied de la levée à Villers-les-Pots, louait un cheval pour aider les 25 ou 30 voitures chargées de légumes à ras bord à monter la courte côte sur la poussiéreuse route nationale...
On entre à Auxonne par le vaste pont qui enjambe la Saône. Celui-ci, reconstruit en 2002, date de 1953. La traversée de cette rivière, au débit ample et continu n’a pas été une mince affaire au fil des siècles... d’autant qu’Auxonne est l’une des sentinelles du duc de Bourgogne en 1237 face au Saint-Empire qui tient la Franche-Comté. Le pont fut maintes fois reconstruit depuis le XIVe siècle, la première époque où l’on peut attester de son existence, selon l’Histoire d’Auxonne au Moyen Age. Au XVe siècle, il était fait de pierre (dix piliers) et de bois (grosses poutres pour le tablier). Le gros problème, c’était le gel. Chaque hiver, Auxonne se ruinait dans sa lutte contre l’accumulation des glaces au pied des fragiles piles, mal enfoncées dans un sol trop meuble... On découvre dans le Guide illustré d’Auxonne que des hommes se relayaient pour casser la glace à la cognée, ou à la tirer avec des gaffes ou encore en chargeant le plus possible le tablier... Peine perdue, le pont sera brisé par le froid en février 1681! Autre catastrophe le 5 novembre 1744, une crue importante drosse du bois et des navires de la marine contre les piles du pont. La Saône, en furie, culbute les piliers et emporte l’ouvrage... Il fallut tout démolir et jeter un pont de fortune entre les deux rives. Celui-ci durera jusqu’après la Révolution française!! En 1829, un nouveau pont voit le jour. Un tablier métallique remplacera celui de bois en 1879. Cet ouvrage sautera durant la Seconde Guerre mondiale... Un peu d’histoire: en 1477, lorsque Louis XI soumet les Bourguignons, le roi renforce Auxonne, qui reste ville-frontière face au Saint-Empire. Un château est construit en 1480; celui-ci préfigure une longue suite de réalisations militaires qui allaient positionner Auxonne au coeur de la grande histoire de France: Guerre de Trente ans entre 1618 et 1648, conquêtes de la Franche-Comté en 1668 et 1674. Durant ces dernières campagnes, Auxonne est le point de passage obligatoire pour les armées françaises et Louis XIV dépense des fortunes pour fortifier la ville. Après le comte d’Aspremont en 1673, c’est l’inévitable Vauban qui s’occupe de renforcer la cité. Mais, avec le traité de Nimègue (1678-79), la Franche-Comté devient officiellement française et les regards de Vauban se tournent vers Belfort, Besançon et Pontarlier... Mais Auxonne garde sa tradition de place-forte militaire et de ville de garnison: artilleurs avant la Révolution (Bonaparte faisait partie de ce corps), 8e régiment de chasseurs en 1895, 10e régiment d’infanterie en 1875, 17e régiment de dragons en 1914 et... régiment logistique en 2010...
On quitte Auxonne par la rue du Colonel-Redoutey. A gauche du rond-point, se trouve la porte de Comté; construite en 1503, elle commandait les accès d’Auxonne en direction du Jura. Plus loin, l’avenue du Général-de-Gaulle longe le quartier des Granges. Celui-ci était spécialisé dans les cultures maraîchères dès 1860 (pommes de terre, choux-fleurs, asperges, oignons...). En janvier 1908, écrit la gazette locale, un loup est aperçu dans ce quartier, fait rare, «mais pas unique»... La route contourne maintenant un petit étang aux abords de Villers-Rotin. Le virage, autrefois bien raide a été amplement remanié dans les dernières décennies du XXe siècle. Devant l’église de Villers-Rotin (à droite de la D905), un tilleul planté en 1601 pour la naissance de Louis XIII recevait souvent la visite du jeune Bonaparte lors de ses trajets à pied vers Dole. Encore quelques ondulations du paysage... et, après le lieu-dit du Moulin-de-la-Vignotte, la route blanche entre dans le département du Jura. Ici, la chaussée n’a pas changé de tracé depuis le XIXe siècle. Le premier village jurassien rencontré est Sampans, placé en contrebas du mont Roland. Une présentation du bourg, au XIXe siècle, indique que les maisons sont «gaiement» déployées le long de la route de Dole à Paris. Là, existent depuis longtemps beaucoup de carrières donnant une pierre de belle qualité. Son aspect, d’un «granit rougeâtre», est dû à sa forte teneur en oxyde de fer. On pense que les carrières, situées en bordure de route, ont été exploitées dès l’Antiquité, apprend-on dans l’ouvrage A la découverte de Dole et de ses environs. Ce marbre flamboyant a également inspiré de nombreux sculpteurs, tant bourguignons que francs-comtois. Au XIXe siècle, la pierre de Sampans est encore utilisée pour façonner de magnifiques cheminées dans les demeures cossues de la région. La côte, qui amène les automobiles au sommet du mont Roland était un test grandeur nature pour beaucoup d’automobiles des années vingt à trente...
A gauche de la route, à la hauteur du village de Monnières, voilà l’embranchement qui mène à l’église du Mont-Roland, une «autre colline inspirée» après celle de Vézelay. Ici, à 343 m d’altitude est, dit-on, vénérée la Vierge depuis plusieurs centaines d’années (pèlerinage tous les 2 août). Le lieu, qui forme l’extrémité sud-est du massif granitique et gréseux de la Serre commande un intense panorama. au sud, voilà toute l’agglomération de Dole, puis le Finage, cette plaine céréalière qui évoque (en plus réduit quand même) la Beauce ou la Brie, et, enfin, à l’est, la vaste tache verte de la forêt de Chaux. On arrive à Dole (pas d’accent circonflexe depuis 1962!) par l’avenue de la Côte d’Or (D405) et l’avenue Georges-Pompidou. A mi-chemin de Dijon et de Besançon, la ville a longtemps joué un rôle clé dans l’histoire européenne. Cité carrefour, gardienne des passages sur le Doubs, elle a conservé de toutes les péripéties de son passé de nombreuses traces d’une rare richesse. Une déviation moderne de la route blanche, inaugurée le 4 octobre 1969 enveloppe Dole par le sud et permet de rejoindre directement le village de Parcey, sur la Loue. Mais, si le trajet y est rapide, il ne comporte aucun intérêt touristique. Au XIXe siècle, les voyageurs aisés sont accueillis à l’hôtel de Genève (il en reste la mention derrière Notre-Dame). Rien ne manquait dans cette bâtisse de luxe: une salle des fêtes privée, un bar cossu, une vaste salle à manger, des écuries et une liaison avec la gare... Mais il y avait aussi l’Hôtel du Jura ou encore l’Hôtel de Paris, etc.
Les premières maisons de Dole sont bâties au cours du XIIIe aux côtés d’une forteresse de pierre créée au XIIe siècle par Frédéric Barberousse. L’endroit est propice: une petite corniche calcaire domine le Doubs et contrôle l’antique voie romaine qui relie Besançon à Chalon-sur-Saône mais également le passage vers le Jura. D’ailleurs le pont sur la rivière, à péage (le «dol»), pourrait être à l’origine du nom de la cité. A partir du XVe siècle, devenue capitale de la Comté, Dole abrite le Parlement et l’université de la province. Cette période faste se prolonge au XVIe: les rues de la ville se parent d’édifices inspirés des plus beaux palais italiens. Que ce soit sous la domination des Habsbourg ou des Bourguignons, Dole sera perpétuellement convoitée par les rois de France.
Elle fut d’abord rasée en 1479 par Louis XI; lors de ce siège, la résistance de certains habitants est acharnée: alors que les troupes du roi lancent: «Comtois, rends-toi»... la réponse des Dolois est restée célèbre: «Nenni, ma foi!». Par la suite, la ville sera attaquée sous Henri IV, pilonnée par Louis XIII, et c’est Louis XIV, qui, en 1678, rattache définitivement les Dolois à la couronne de France. La conquête française marque la fin de la magnificence de la cité. Besançon récupère les institutions politiques et culturelles; les remparts du haut desquels les rudes Comtois avaient défié tant et tant d’adversaires seront bien vite démantelés par Vauban. Ultime et cruel coup du sort: en 1790, Théodore Vernier, un révolutionnaire lédonien (quand même président de l’Assemblée constituante!) impose Lons-le-Saunier comme chef-lieu du Jura en lieu et place de Dole... Aujourd’hui, les rues et les places de la cité forment un exceptionnel patrimoine: les 114 ha et les 43 monuments historiques recensés représentent tout bonnement le deuxième secteur sauvegardé de France!
Quelques personnages célèbres traversent l’histoire de Dole. c'est là que Bonaparte, en avril 1791, fait imprimer son «pamphlet» contre le chef des royalistes corses, la Lettre à Buttafuoco, en 100 exemplaires. Le jeune lieutenant d'artillerie faisait régulièrement le trajet Auxonne-Dole à pied pour corriger les épreuves de son texte. Il partait à l’aurore pour être revenu dans sa ville de garnison à midi. Sur la route de l'Italie, on voyait régulièrement passer Stendhal, qui rejoignait son poste de consul de l'autre côté des Alpes. Certains passages du roman Le rouge et le noir seraient inspirés de ses visites à Dole. L’écrivain Charles Nodier, alors professeur de grammaire, s'est marié dans la cité comtoise... Alphonse Delacroix (1807-1878), fut le premier historien à contester le choix, par Napoléon III, d'Alise-Sainte-Reine en Bourgogne, pour le lieu de la bataille d'Alésia. On trouve également à Dole la maison natale de l'immense Louis Pasteur. Pour quitter le centre ancien de Dole et poursuivre en direction des monts du Jura, il faut traverser le Doubs. Comme à Auxonne, sur la Saône ou à Charenton, sur la Marne, les ponts de la route blanche ont connu une histoire mouvementée. Celui de Dole ne fait pas exception. Il faisait 480 m de long au XVIe siècle, et reliait la Grande Fontaine à la Bédugue en 17 arches. En 1707, selon l’Histoire de Dole, toute l’activité commerciale entre la cité comtoise et le Jura fut entravée par la ruine de ce premier pont de pierre. Plus tard, en 1733 et 1734, l’ouvrage fut encore abîmé par les inondations. En 1740, les pierres éboulées du pont furent même volées par les bateliers... Le bac payant, qui fut établi dans la foulée accumula toutes les critiques tant il augmentait le prix des denrées... Le nouveau pont fut commencé en 1754 sur des plans de l’ingénieur Querret. Terminé en 1764, lit-on dans l’ouvrage Dole, pas à pas, il fut bâti avec les pierres de la carrière de Nemont, près de la colline de La Bedugue; l’ouvrage, placé dans le prolongement de la Grande-Rue oriente la circulation vers la levée du même nom. Celle-ci, réalisée dans la foulée permet d’emmener le trafic au sommet de la montée. Bedugue, en patois jurassien, signifie masure. La route y domine le quartier d’Azans, un faubourg industrieux de Dole, où se trouvaient des forges, une tannerie, une brasserie...
La route de Genève (D405) traverse désormais un long faubourg où se mêlent résidences modernes et vieilles fermes retapées qui nous rappellent la proximité de l’immense forêt de Chaux. Voilà Villette-lès-Dole, où l’on passe sur la Clauge sur un pont de pierre «fort élégant», peut-on lire dans le Précis statistique de l’arrondissement de Dole. Encore quelques kilomètres d’une plaine un peu ennuyeuse sur une chaussée réalisée vers 1737-38 et voici Parcey, gros village installé sur les bords de la Loue. L’histoire de Parcey connaît une péripétie dramatique durant la Deuxième Guerre mondiale. C'est là, sur le pont (bâti vers le milieu du XVIIIe) qui enjambe la Loue, que passait la sinistre ligne de démarcation qui a coupé la France en deux entre 1940 et 1943. Les Allemands, après la victoire de mai-juin 1940, s'étaient emparés de la moitié nord du pays, laissant à l'administration de Vichy -fortement collaborationniste avec l'occupant- la gestion de la partie sud. Une stèle, juste avant le pont sur la Loue, commémore ce terrible moment de l'histoire de France.
Une petite côte mène la route blanche au carrefour de l’As-de-Pique. De là, part sur la droite, la route de Lons-le-Saunier (D475). De Nevy-lès-Dole à Mont-sous-Vaudrey, la route, réalisée dans la première moitié du XVIIIe siècle, traverse le val d’Amour, une petite région naturelle située aux pieds des premiers contreforts du Jura et qui ne manque pas de charme. Le tout s'étend de part et d'autre de la rivière Loue et se trouve bordé par la majestueuse forêt de Chaux, la deuxième de France du fait de sa superficie! Le sud de Dole, là où la Loue et le Doubs se rejoignent, forme une zone humide compliquée, difficile d'accès car souvent inondée, appréciée par une multitude d'oiseaux, surtout dans les périodes de migration. C'est là que l'on situe la légende de la Vouivre... Une châtelaine d'une grande beauté, mais cruelle et impitoyable, qui dominait les habitants de la vallée, fut, un jour, transformée en serpent par une fée visitant la région. Devenue Vouivre (mot qui signifie vipère en patois), la châtelaine se mit donc à hanter les bords de la Loue. La rumeur disait que cette Vouivre, ce serpent muni d'ailes de chauve-souris, portait une superbe escarboucle sur son front... Celle-ci était censée apporter richesses et pouvoir à son détenteur. Pour le voler à la Vouivre, il fallait attendre qu'elle se baigne dans la rivière, le seul moment où elle daignait se séparer de son trésor... On dit... que nombreux ont été les Comtois à tenter le coup et à périr sous l'assaut de milliers de serpents lâchés à leurs trousses... Bon... C'est l'historien Désiré Monnier, qui, en 1818, dans son Essai sur l’origine de la Séquanie, mentionne semble-t-il pour la première fois la croyance populaire jurassienne en la Vouivre. De son côté, l'écrivain Marcel Aymé, un Bourguignon qui a cependant passé six ans auprès de ses grands parents, à Villers-Robert, à dix kilomètres de Mont-sous-Vaudrey, écrit La Vouivre, un roman inspiré de la légende et qui retrace avec justesse la vie des Comtois de la Bresse jurassienne. Plus tard, un film, La Vouivre, réalisé par Georges Wilson, sort en 1988.
Au bout d’une longue et quasi ligne droite longeant le cours de la Loue, la route Paris-Genève finit par atteindre Mont-sous-Vaudrey. Le bourg a vu naître un président de la République, Jules Grévy, dont le buste trône juste à côté de l’église, reconstruite après le grave incendie de 1820. L’homme sera à la tête du pays de 1879 à 1887. Durant cette période (la IIIe République), les lois fondamentales qui régissent aujourd’hui encore notre pays (éducation laïque, liberté de la presse, formation des syndicats) seront votées. Non loin de là, le village de Vaudrey a donné son nom à l’une des plus puissantes familles de Franche-Comté. Dans le Mémento de l’usager de la route (Jura) de 1962-63, on lit que des «gros travaux» de déviation ont été menés autour de Mont-sous-Vaudrey.
Pour continuer vers Poligny sur le trajet exact de la route blanche historique , il faut prendre la direction de Genève (D905). Après la traversée de la forêt de Choiseul et du petit village d’Aumont, la route (bâtie ici entre 1763 et 1765 d’après le Dictionnaire géographique, historique et statistiques des communes de la Franche-Comté), toute droite, s’oriente plein est et grimpe la butte de Montholier. Au moment où la route bascule en direction de Poligny, tout un horizon se dégage devant les yeux de l’automobiliste: c’est le riant Revermont et ses multiples rangées de vignes...
Au pied de la reculée des monts de Vaux, le petit bourg de Poligny a fière allure. Petites rues étroites, belles maisons en pierre de taille, églises, statues et fontaines... Le tout donne envie de faire étape. Ca tombe bien: nous voici arrivés au pays des vins et du fromage. Le territoire est occupé dès la préhistoire. Les découvertes archéologiques témoignent d'un enracinement humain dès l'aube des temps. A l'époque gallo-romaine, le lieu (Polemniacum) est une place de marché. Nous sommes sur un carrefour de routes antiques qui relient des zones prospères: le bassin parisien à la plaine du Pô, la vallée du Rhône aux pays rhénans... Entre le VIIe et le XIe siècle, un nouveau quartier de la cité se forme autour de l'église romane de Mouthier-le-Vieillard. Durant le XIe siècle, l'extension de Poligny se poursuit avec la construction du Bourg-Dessus, formé au pied du château de Grimont. La cité s'organise peu à peu selon un plan quadrillé, structuré par trois rues parallèles, dominées par la collégiale Saint-Hippolyte. Poligny, alors rattachée au duché de Bourgogne, préserve les archives des grands ducs d'Occident. A l'époque de Louis XI, le système défensif de la cité comporte jusqu'à 25 tours et cinq portes. Aujourd'hui, Poligny abrite la prestigieuse Ecole nationale d'industrie laitière et se veut la capitale du fromage comté, appellation d'origine contrôlée (AOC) depuis 1952 (on dit aujourd’hui appellation d’origine protégée...). A bon fromage, bon vin... une douzaine d'exploitants polinois cultivent 85 ha de côtes du jura. Amusant: on dit qu’un vent local appelé la «montaine» rafraîchit en été la cité, ce qui lui a apporté l’appellation enviable de «station de cure d’air et de repos» dans un guide touristique publié durant la première moitié du XXe siècle par la fédération des syndicats d’initiative de la Franche-Comté et des Monts-Jura...
On sort de Poligny par la route de Genève; celle-ci entame quasi immédiatement son ascension en direction du premier plateau jurassien qui domine la plaine bressane. Voilà un frais vallon, enserré entre les murs de rochers, au fond duquel murmure la petite rivière Glantine. C’est bien souvent là, qu’aux mauvais jours, l’automobiliste rencontre pour la première fois neige et verglas en abondance. La montée actuelle, dont les travaux débutent en 1790 selon le Dictionnaire géographique, historique et statistiques des communes de la Franche-Comté, deux virages serrés et une longue grimpette régulière le long de la falaise de la reculée des monts de Vaux est achevée au XIXe siècle. Auparavant, chariots et diligences étaient obligés d’emprunter la vertigineuse route du mont de Chamole (15% en certains endroits!)... Ce tracé ancien, qui emprunte la rue Boussières à la sortie de Poligny a connu une activité fébrile au courant du XVIIIe siècle, parcouru notamment été comme hiver par les lourdes carrioles chargées à ras la gueule du bois du Jura... Il se poursuivait ensuite à travers bois en direction de Molain, passant par la combe Froide et rejoignant la route d’Arbois un peu en amont du carrefour actuel. Ce chemin est encore indiqué sur la carte d’état-major du XIXe siècle («vieille route de Paris»).
C’est notamment par ce chemin périlleux que Bonaparte passa avec son armée en direction de l’Italie pour y remporter la victoire de Marengo en 1800. Pour faire monter son artillerie au niveau du plateau, il n’hésita pas à réquisitionner tous les chevaux de la région... Une légende tenace dit qu’il s’est installé sur un rocher en forme de fauteuil dominant Poligny pour regarder passer ses troupes... Au bout de quelques virages, la route actuelle croise sur sa gauche la voie montant vers Chamole à l’entrée de Vaux-sur-Poligny. Cette route, creusée dans sa partie haute au début du XXe siècle, comporte une curiosité: la rectification manquée de l’axe Paris-Milan; 1545 m de chaussée construite en 1854-1856, et donc aujourd’hui intégrée à la montée de Chamole (depuis le petit pont sur la Glantine). A Vaux-sur-Poligny, village dominé par la reculée (une des plus courtes du Jura: 3 km de long et 600 m de large), se trouvait, sur la droite de la chaussée un ancien prieuré de l’ordre de Cluny, fondé au XIe siècle. Sur son emplacement, on peut aussi y admirer une église gothique du XIIIe siècle, fortement restaurée de 1863 à 1866, maintenant située au sein d’une école privée. Au-delà, voici le premier des deux forts lacets (prudence!) qui emmènent la route blanche à 600 m d’altitude. Au sommet de la côte à droite, un petit belvédère ménage une très jolie vue sur le vallon et les virages de la route. A deux pas, l’ancienne «Maison Lolo», idéalement placée en bord de falaise, fut, au XIXe siècle, un relais de poste réalisant le change partiel des chevaux ayant permis aux lourds convois de monter depuis Poligny. Cette première difficulté dépassée, la chaussée entame la traversée de la vaste forêt de Poligny et des bois de Malrocher. C’est là, au niveau de l’intersection avec la D4 (en direction de Besain), que l’on va pouvoir visiter un lapiaz, une étonnante dalle calcaire érodée par l’eau et trouée comme du gruyère! On y répertorie en effet en plein milieu des bois plus de 800 cavités différentes...
Peu après la forêt, la route Paris-Genève retrouve la chaussée en provenance d’Arbois. A Montrond, une petite grimpette (certainement une rectification appelée la route Napoléon) hisse la route au niveau du plateau de Champagnole. Le village est dominé par une butte boisée sur laquelle se trouve le donjon ruiné d’un château démantelé en 1479 par le roi de France, Louis XI. Encore quelques kilomètres boisés et la route traverse l’Angillon au niveau du pont de Gratteroche (auberges et pont ancien sur la gauche du nouveau tracé). L’arrivée sur Champagnole a été bouleversée par la mise en place de la déviation de la route nationale initiée dès les années 70. Nous vous conseillons donc de quitter la route dès la première sortie et de suivre Champagnole-centre. Confortablement installée sur les rives de l’Ain, surplombée par les 805 m du mont Rivel, Champagnole est une petite ville encore très active et plutôt prospère grâce aux nombreux touristes européens qui viennent visiter en été la célèbre région des lacs toute proche ou bien suivre la route des sapins à partir d’Equevillon. Des bribes de voies romaines, retrouvées un peu partout autour de Champagnole montrent le côté stratégique de l’emplacement de la ville. De fait, les voies passant par là (en direction de Pont-du-Navoy ou de Poligny) étaient défendues par un retranchement fortifié installé sur les pentes du mont Rivel.
Au Moyen-Age, Humbert IV de Salins hérite de terres vers Angillon, Londaine et Ain au décès de son père Humbert III de Salins. Il y bâtit un château pour mieux gérer ses possessions. Le fief paraît comprendre, nous explique le site racinescomtoises.net, «outre Champagnole, Saint-Germain-en-Montagne, Equevillon et Vannoz au Xe siècle. En 1320, Hugues de Châlon, qui acquiert la seigneurie, accorde une charte aux villageois de Champagnole favorisant les activités nouvelles ainsi que la circulation des biens et des personnes. La ville est détruite par les troupes de Louis XI de France en 1479». Champagnole va connaître de nombreux incendies: celui de 1798 est l'un des pires, en deux heures, 280 familles se retrouvèrent privées de tout. Ce sinistre est à la base de la création de l'alignement de la Grand Rue... Après l'arrivée du chemin de fer en 1867, à partir des années 30, c'est la circulation automobile et le tourisme vers la montagne qui favorisent Champagnole. Le luxueux hôtel Ripotot, situé sur la route de Paris à la Suisse, reçoit de nombreuses personnalités se dirigeant vers le siège de la Société des Nations, installé à Genève. Dès 1937, on étudie la question de la difficile traversée de la ville pour améliorer le carrefour du quartier du Parc, la traversée de l'Ain et du village de Cize... Un dossier à suivre...
Marc Verney, Sur ma route, février 2014
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