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A Sommesous. Le contournement des lieux est achevé depuis 1953. En cliquant sur l'image vous poursuivez en direction de Strasbourg (Photo: Marc Verney, nov. 2006). |
En introduction. L'histoire de la route de Paris à Strasbourg est un peu embrouillée. Si la moderne nationale 4 de 1959 fait le trajet de la capitale française à l'Alsace d'un seul coup, cela n'a pas toujours été le cas. Sur de vieilles cartes routières Michelin datant des années 40, la R.N.4 prend son essor à Châlons-sur-Marne (aujourd'hui en-Champagne) et rejoint le trajet actuel à Vitry-le-François (plus tard, cette même route a porté le numéro R.N.44). Jusqu’en 1949, de Paris à Vitry-le-François, la route prend successivement l'appellation R.N.304 (Paris-Esternay) et R.N.34 (Esternay-Vitry). Plus en arrière dans le temps encore, de très anciennes plaques de cocher attribuent le numéro 8 au trajet départemental allant de Paris à Esternay avant que la route ne devienne nationale en 1933 seulement…
Notons toutefois que Georges Reverdy, dans son Histoire des routes de France, du Moyen Age à la Révolution, indique qu’en 1552, la Guide des chemins de France de Charles Estienne mentionnait une route de poste vers la Champagne par Vitry et Saint-Dizier. Enfin, en 1788, et toujours d’après Reverdy, une carte des itinéraires du gouvernement d’Île-de-France dessine un chemin entre la capitale et Sézanne, mais par Coulommiers. Il n’y a pas de R.N.4 ni son équivalent royal. |
Pour emprunter la route historique n°4 de Paris à Strasbourg en 1959, on sort de Paris par la porte de Bercy, puis on suit le quai de Bercy et le quai des Carrières. Mais ce n’est pas le cas jadis, puisque, tant sur les cartes de Cassini (XVe) que d’état-major (1820-1866) publiées par le Géoportail de l’IGN, le chemin vers l’est de Paris, Strasbourg et l’Allemagne passe plutôt par Vincennes, Lagny et Coulommiers. Sous l’Ancien Régime, les lieux sont appréciés par l’aristocratie qui y vient en villégiature. Demeures, manoirs, jardins, embellissent les rives de la Seine. Au XVIIe siècle, Charles Henri de Malon de Bercy, le marquis de Nointel, lance le projet d'un vaste château dont seul le corps et une aile sont construits à sa mort en 1676. Son fils poursuit son oeuvre et obtient même, en 1690, l'autorisation de dévier la route de Paris à Charenton (la R.N.5 de 1959), qui borde sa propriété au nord. «La nouvelle route construite à ses frais correspond à l'actuelle rue de Paris», qui traverse le bourg de Charenton, écrit Lucien Lambeau dans l'Histoire des communes annexées à Paris en 1859. Au début du XIXe siècle, l'urbanisation des abords de Paris rogne sur le parc du château, et «à partir de 1804, des entrepôts de vin, bâtis le long de la Seine à Bercy, amènent un trafic de charrois et l'encombrement des berges en bordure du parc», écrit Wikipédia. Le château est finalement détruit en 1861. Historiquement, «le quai de Bercy est à l'emplacement du chemin en bord de Seine où était entreposé le bois de construction et de chauffage de Paris acheminé par flottage en provenance du Morvan», raconte Jacques Hillairet, dans le Dictionnaire historique des rues de Paris. En 1877, le quai est rehaussé pour éviter les inondations; la ligne de tramway 13 (Louvre-Charenton) y roule jusqu’en 1931. Après la démolition des fortifications de l'enceinte de Thiers dans l’Entre-deux-guerres, le quai de Bercy est resté une voie continue de Paris à Charenton jusqu'à la construction de l'échangeur autoroutier entre le boulevard périphérique et l'autoroute A4, un véritable spaghetti de voies (22 bretelles sur trois niveaux!) réalisé de 1967 à la mi-1969, qui scinde la voie en deux parties. Plus loin, voilà le quai des Carrières. «Son nom est dû aux carrières de pierres», voit-on dans Wikipédia. certaines ont été exploitées pour bâtir Notre-Dame et le château de Vincennes; elles furent en tout cas utilisées jusqu’au XIXe siècle. Mais les travaux de construction de l’autoroute A4, de 1963 à 1970, ont complètement modifié la topographie des lieux… De nombreux immeubles ont disparu, la voirie est chamboulée et, ici, l’imagination peine à remplacer l’œil… C’est pourtant ici, entre les entrepôts glauques et les eaux glacées du canal de Saint-Maurice que se déroule dans les années trente l’action d’un polar de George Simenon, L'Écluse numéro 1. Là se trouvent, à l’époque, des chaussées pavées, difficiles pour les deux-roues, précise, en 1956, la carte Michelin Cycliste des environs de Paris.
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PERIPHERIQUE PARISIEN: L'ANNEAU MAJEUR
Avant
de sortir de Paris, un petit tour sur le boulevard périphérique
de la capitale? On y rencontre du béton, du métal et du plastique.
Des gens, aussi... (lire) |
Puis notre route frôle le Bourg-du-Pont (commune de Charenton-le-Pont), une localité, dit charenton.fr, «qui se développe essentiellement au XVIIe siècle où elle fut doté d'un marché hebdomadaire, d'une poste aux chevaux et de la justice seigneuriale». Ces lieux devaient l'essentiel de leur activité à la présence d'auberges, cabarets et autres débits de boissons, nombreux sur le chemin menant à Paris. En longeant Saint-Maurice, on quitte les bords de Seine pour suivre la Marne. «A l’époque féodale, écrit le site ville-saint-maurice.fr, le territoire de la paroisse s’étend du bourg proche du pont de Charenton jusqu’à Saint-Maur en englobant Saint-Mandé. À l’est du pont se situe l’église, le château et ses dépendances jouxtant la Marne. Commerces divers, meunerie, carrières, agriculture vivrière sont les principales activités du village». Un paysage champêtre qui attire déjà la bourgeoisie parisienne qui y séjourne dans des maisons de campagne. En 1645, grâce à une donation, des religieux y créent une maison de santé accueillant les aliénés et les «polissons», poursuit ville-saint-maurice.fr. Le marquis de Sade, qui y est enfermé en 1789, y décèdera en 1814. La réalisation des canaux de Saint-Maur en 1825 (raccourci de la boucle de la Marne) et de Saint-Maurice en 1864, favorise l’implantation et l’essor du quartier de Gravelle. A dominante ouvrière à l'époque, il se situe au pied de la «falaise» grimpant au bois de Vincennes. Peu après, la chaussée, nous raconte l’ouvrage Charenton-le-Pont, une histoire en trois temps, «fut ouverte en février 1954 sur l’ancien tracé du canal de Saint-Maurice». Une sorte de voie rapide avant la lettre qui profite du déclassement du canal en 1936 et de son assèchement au début des années cinquante. L’autoroute A4 ne fait que réutiliser cet ouvrage. Ici, la multitude automobile nous submerge sur les quasi douze voies d’une balafre de ciment routier. Les vieilles pierres ne semblent plus de ce monde, grisé au sans-plomb 95…
On réussit à se faufiler jusqu’à Joinville-le-Pont, où l’itinéraire historique enjambe la Marne sur un ouvrage de 1937-43, nous dit le site de la ville. Mais ce n’était pas le premier pont jeté sur la rivière: une construction en bois dénommée Pons Olini existe dès le XIIIe siècle; parallèlement se constitue à la même époque la bourgade de Branche-du-Pont-de-Saint-Maur. «Le pont, signale gpmetropole-infos.fr, abrite deux moulins, est gardé par une garnison de 120 hommes armés et l’abbé de l’abbaye de Saint-Maur bénéficie du droit de péage perçu au franchissement du pont». En 1590, les lieux sont ravagés par l’armée d’Henri IV qui voulait entrer dans Paris. Un ouvrage en pierre est bâti au début du XVIIIe siècle, remplacé par un autre en 1835. L’appellation Joinville-le-Pont apparaît en 1831. Depuis 1859, le chemin de fer (une voie de 17 km entre Paris et Saint-Maur-la-Varenne) apporte chaque dimanche sur les bords de Marne une foule de Parisiens avides de fête et de grand air. «Guinguettes, passeurs, loueurs et constructeurs de canots s’installent un peu partout», nous raconte le site de la ville. «Le séjour de Joinville est aussi salubre qu’agréable, lit-on encore dans Paris et ses environs: description historique, statistique et monumentale (1838), les rues sont pavées et en bon état. Ce village communique facilement avec Paris, tant par les omnibus et leurs correspondances, qui vont jusqu’à Saint-Maur, que par les autres voitures publiques»… On a trouvé là, sur la Marne de nombreuses et anciennes sociétés d’aviron; des nageurs intrépides font des plongeons spectaculaires… A Joinville, le début du XXe siècle est marqué par la présence importante des industries photographique et cinématographique (Charles Pathé notamment).On emprunte l’avenue des Canadiens pour accéder au pont sur la Marne. Ce nom rappelle la présence d’un hôpital militaire canadien à Joinville entre 1915 et 1919.
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Sur le pont de Joinville, au niveau de l'île Fanac
(Photo: Marc Verney, mai 2007). |
Le pont routier actuel (1937-1943) de 450 m de long et de 24 m de large, qui se place au bout du percement de la R.N.4 (rue Jean-Mermoz en 1939), enjambe de haut (neuf mètres) l’île Fanac pour rejoindre ensuite la rive droite de la Marne. C’est sur cette petite île que s’établit au milieu du XIXe siècle la première guinguette de la région, «Chez Julien». On traverse les quartiers Polangis et Palissy. Voilà maintenant, au bout de l’avenue Gallieni, autrefois appelée «route de Paris à Tournan», le lieu-dit La Fourchette, à Champigny-sur-Marne. A gauche, la R.N.303 historique (aujourd’hui D3) part en direction de Villiers-sur-Marne en longeant l’ancien hippodrome du Tremblay, créé en 1906 (c’est un vaste parc de nos jours). A droite, la R.N.4 historique (aujourd’hui D4) file vers le centre de Champigny. On y trouvait, depuis fort longtemps, «une auberge, qui souffrit beaucoup lors des combats de 1870», dit George Poisson dans Le Val-de-Marne: art et histoire. De là, sont parties les courses automobiles Paris-Berlin en 1901 (première course automobile internationale) et Paris-Vienne en 1902. En 1859, les rares bâtiments de Champigny restent encore groupés autour de l’église et le long de la «route de Brie». Le village est totalement détruit en 1420 durant la Guerre de Cent ans. Beaucoup plus tard, à la fin novembre 1870, une terrible bataille se déroule à Champigny; les Français échouant dans leur tentative de briser l’encerclement de Paris, entouré par les troupes prussiennes. Un mausolée, ou reposent les corps de 1007 Français et de 377 Allemands, se trouve à quelques mètres de la route Paris-Strasbourg (rue du Monument, l’ancienne montée de Chennevières). Longtemps couverts de vignes, les coteaux de Champigny produisaient un cru local à la tonalité un peu acidulée, le «piccolo». Le vin étant taxé aux portes de Paris, ce sont les Parisiens qui venaient le boire dans les guinguettes de bord de Marne… Mais la principale activité de la cité, c’est la fabrication de la chaux, un travail qui s’interrompt à la fin du XIXe siècle devant l’urbanisation des lieux. Plusieurs opérations d’alignement sont menées dans la Grand-Rue de Champigny dans la première partie du XXe siècle afin de remédier à l’étroitesse de la chaussée.
LA R.N.4 ET LES LIVRES
«Normand roule, le carton posé sur le siège, à son côté. Au Pavé-de-Pontault, il tourne sur la droite et prend la nationale 4... La Queue-en-Brie... La descente de Champlain... En bas, le Morbras, un ruisseau pollué, déversoir». Extrait du polar Le poulet, par William Camus, Nathan (1977)
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Au sommet de la côte, voilà Chennevières-sur-Marne. Le premier acte mentionnant Caneveria date de 1170. Puis la route passe devant l’auberge du Petit caporal (surnom de Napoléon Ier) Voilà ensuite le carrefour de la Pompe, écart de la Queue-en-Brie, village portant un nom qui viendrait du latin cauda, indiquant la situation du village aux confins de la Brie. Là encore, la banlieue égrène ses litanies de maisons grises, de grandes surfaces aux néons criards, d’espaces perdus, où le regard s’égare... On passe du Val-de-Marne à la Seine-et-Marne. Voilà le Pavé de Pontault, sur la «route de Paris». Dans les années cinquante, se préfigure par ici l’aménagement de la R.N.4: des déclarations d’utilité publique (DUP) éclosent dès les années quarante, pour –par exemple- la déviation de Tournan-en-Brie (1941), finalement mise en service -à une chaussée- en 1955 (Wikisara). Au XXIe siècle, c’est une chaussée à quatre voies (D1004) qui emmène l'automobiliste de Pontault-Combault à Vaudoy-en-Brie. Pontault et Combault sont deux communes fusionnées à partir du 4 mars 1839. Là, de grands travaux s’y déroulent au Second Empire: empierrement des rues, construction des ponts sur le Morbras, bornage des chemins, rénovation des bâtiments. On entre dans Ozoir-la-Ferrière par l’avenue du Général-de-Gaulle. «A son origine, raconte le site municipal mairie-ozoir-la-ferriere.fr, la localité n’était qu’un petit bourg rural. Jadis, l’immense forêt sur laquelle est située la commune abritait autrefois des forges de fer: les "Ferrières"». Plus tard, au XIIIe siècle, l’archevêque de Paris qui avait réuni à son archevêché l’abbaye de Saint-Maur, «fit l’abandon de la forêt à ses hôtes en l’an 1238 à condition que ceux-ci la défrichent et qu’ils la mettent en culture», rapporte encore le site municipal. En 1759, la zone forestière revient au roi Louis XV qui y fait ouvrir routes et allées de chasse. Là, au XIXe siècle, il ne faut pas encore parler de «route nationale»: le rapport de 1884 du préfet au Conseil général de Seine-et-Marne mentionne à Ozoir des travaux de réfection du pavage de la chaussée de la RD8 pour 17 000 francs sur 154 m. Wikisara nous dit que le contournement d’Ozoir, qui laisse aussi Gretz-Armainvilliers de côté, est mis en service en 1968 (DUP en 1965). Auparavant, à Gretz-Armainvilliers, notre voie suivait l’avenue de la Liberté et la bien nommée rue de Paris. A la fin du XIXe siècle, voit-on sur le site gretz-armainvilliers.fr, tant la famille Péreire que le baron de Rothschild, possédaient de nombreux domaines autour du petit village de Gretz. Ces deux familles, très investies dans les compagnies de chemin de fer, aidèrent au développement de la région, avec notamment la création de la ligne Paris–Bâle ouverte par étapes entre 1856 et 1858 par la Compagnie des chemins de fer de l'Est. On poursuit maintenant vers Tournan-en-Brie. Sur la carte Michelin datée de 1955, une déviation contourne Tournan-en-Brie (indiquée chaussée en projet sur une autre carte de 1941). La ville a été durement touchée par un raid américain le 22 juin 1944. Le bombardement fait plus de 50 victimes et la moitié des bâtiments du centre-ville est détruite par les 1000 tonnes de bombes larguées…
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A l'entrée de Champigny, lieu-dit La Fourchette
(Photo: Marc Verney, décembre 2005). |
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R.N.36: TRANCHE DE BRIE
De Villers-Cotterêts à Melun, voilà une promenade tranquille dans un coin de Brie peu fréquenté sur une chaussée royale au tracé unique (lire) |
Nous avançons d’une dizaine de kilomètres vers Fontenay-Trésigny. Au XIIe siècle, raconte le Cercle historique fontenaisien (c-h-f.fr), «la modeste bourgade ne possède qu'un prieuré et un château fort. Celui-ci fut bâti sur un site stratégique, sur le chemin de Rome, une route de pèlerinage venant de Paris qui se poursuivait vers Troyes par Rozay-en-Brie et Provins et vraisemblablement utilisée par les marchands qui se rendaient aux célèbres foires de Champagne. Le seigneur y percevait un péage sur le Bréon, au passage sur son domaine». Le bourg est entouré d'une enceinte de murailles et de fossés du XVIe au XVIIIe siècles, dont la porte d'en bas dite «Porte de Rozoy» en 1544 et la porte d'en haut dite «Porte de Tournan» en 1661. Dès le XVIIIe siècle, signale encore le Cercle historique fontenaisien, «la cité se situe à la croisée des routes rectilignes de Paris à Rozay et de Melun à Meaux. La ville est pourvue d'un relais de poste, bâtiment situé dans la Grande-Rue à l'hôtellerie-ferme, dite de la Fleur de Lys». Profitant de cette position avantageuse, Fontenay-Trésigny se densifie au début du XXe siècle. D'anciennes marnières étaient exploitées sur le territoire de la commune, notamment vers le ru de Monnoury (carrières de Chaubuisson) et du Bréon (moulin du Pont). L'extraction des meulières était liée au besoin en matériaux de construction, pour les habitations et les murs d'une part, mais aussi pour la construction des routes, en plein essor aux XVIIIe et XIXe siècles (Wikipédia).La déviation de la nationale date du début des années soixante. De la même manière, la R.N.36 historique est largement déviée à l’ouest depuis 1989. On rejoint maintenant le bourg de Rozay-en-Brie distant de huit kilomètres. C’est là que s’arrêtait, au XVIIIe, la route carrossable venant de Paris. Rappelons que sous l’Ancien Régime, on passait par Coulommiers pour aller vers l’Alsace. A cette époque, nous précise l’ouvrage Champigny, hier, aujourd’hui, un service régulier reliait Rozay-en-Brie et Saint-Maur via La Queue-en-Brie et Champigny… Là encore, une déviation du centre-ville a été mise en service en 1955. Auparavant, la R.N.4 historique passait au centre-ville par la rue du Général-Leclerc après avoir passé l’Yerres sur un pont construit en 1787 dessiné par l’ingénieur Perronet (art-et-histoire.com). Fortifiée dès 986 par les chanoines de la ville de Paris, qui la gouvernent jusqu’à la Révolution, Rozay-en-Brie comptait une enceinte flanquée de quinze tourelles et de trois portes. La ville est définitivement rattachée au royaume de France en 1314. Les fortifications sont démolies au XVIIIe siècle. On continue par une longue ligne droite jusqu’à Vaudoy-en-Brie, où la R.N.4 historique passe, en 1959, un peu au sud du cœur du village. Depuis Voinsles, il n’y a plus de route dessinée sur la carte d’état-major du XIXe (1820-1866) publiée en ligne par l’IGN. C’est une situation qui faisait «pester» jusqu’en Alsace, où le Bas-Rhin, en 1823 et 1826, réclamait «son prompt achèvement», pour raccourcir de plusieurs lieues sa liaison avec Paris… mais «lorsqu’elle sera construite quelques décennies plus tard», écrit Georges Reverdy dans l’Histoire des grandes liaisons françaises (T. II), «ce sera comme route départementale», une situation qui perdurera jusqu’au XXe siècle! Juste après Vaudoy-en-Brie, au carrefour de Prévers, notre R.N.4 historique croise la voie romaine de Sens à Meaux. Ici, les paysages s'accordent sur un point: l’espace –plat- s’enfuit presque vers l’infini. La traversée de la Brie ennuie le voyageur. De longues rangées d'arbres prolongent les perspectives… Les petits bourgs s’égrènent au fil des kilomètres: Beton-Bazoche, sur les bords de l’Aubetin, Courtacon, où se déroulèrent de féroces combats en septembre 1914, le nécropoles nationales de Montceaux-les-Provins et Courgivaux. Qui rappellent les horreurs de la Première Guerre mondiale. Sur la carte d’état-major du XIXe publiée par le Géoportail de l’IGN, une chaussée est à nouveau tracée en direction d’Esternay.
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A
gauche, ancienne signalisation directionnelle (sans doute fabriquée par René Gaillard au début des années trente) à l'entrée
de Rozay-en-Brie, côté faubourg de Paris. A droite, signalisation
de la nationale à Beton-Bazoches. Noter l'étonnant cartouche
N4 (Photos: Marc Verney, oct. 2006). |
Voilà le département de la Marne. Peu avant Esternay, la R.N.4 historique rencontre la nationale 34 (déclassée en D934) au lieu-dit l’Arbre-Haut (ainsi appelé en raison d’un vieil arbre -abattu à la moitié du XIXe- situé à l’intersection des deux routes de Paris). On en trouve d’ailleurs la mention sur la carte d’état-major du XIXe publiée en ligne par l’IGN. Jusqu’en 1949, c’est la R.N.34 qui rejoint Vitry-le-François. Dans son livre écrit au milieu du XIXe siècle sur Esternay, l’abbé Boitel évoque un singulier personnage local, Calu, qui, «coureur sur les routes, devance toutes les diligences et toutes les malles-postes. Il se rend à Paris tout d’une traite»… Le petit bourg, désormais dévié à partir de 1958 (Wikisara), situé sur les rives du Grand-Morin, «comptait trois porcelaineries dont la plus importante, fondée en 1834 dans le hameau de Retourneloup, employait plus de 150 ouvriers pour une production essentiellement concentrée sur la vaisselle domestique», dit Wikipédia. L’ancien tracé passait par la rue de l’Arbre-Haut, les boulevards Carnot et Wilson pour traverser le Grand-Morin au niveau du Bas-de-la-Conchotte. Treize kilomètre restent à parcourir jusqu'à Sézanne, la première petite cité d'importance croisée sur ce long trajet. L'étape, à une petite centaine de kilomètres de Paris, devait avoir un certain charme dans les années 50, 60… Aujourd'hui, l'automobiliste pressé contourne la cité par une déviation quasi autoroutière -projetée dès 1941 réalisée en 1953 en 2x1 voies- qui surplombe la petit cuvette dans laquelle Sézanne est blottie. La cité actuelle date du Xe siècle, son développement est assuré, nous raconte le site de la ville «grâce aux moines de Saint-Julien qui, par une dérivation du Grand-Morin, permirent à une douzaine de moulins de tourner, et assurèrent enfin une alimentation en eau suffisante pour les habitants». A la même époque, le comte Thibaud Ier de Champagne fait construire un château, des fortifications et fonde deux grandes foires annuelles, celle de Pâques et celle de la Saint-Nicolas qui prospèrent jusqu'au XIIIe siècle. Puis les guerres contre le royaume de France d'abord, puis contre l'Anglais, après le rattachement à la couronne de France du comté ravagent Sézanne. En 1632, la ville est détruite par un incendie. «Le retour de la paix civile, au début du XVIIe siècle, lit-on encore sur le site ville-sezanne.fr, rend inutile l’entretien coûteux des remparts. Dès le milieu du XVIIe siècle, ils sont en voie de désaffectation, et, en 1771, débute le comblement des fossés» de la cité. Sous la Troisième République, une importante série de travaux, destinés à embellir la ville est entreprise, poursuit ville-sezanne.fr: «Alignement et élargissement des rues, nouveaux bâtiments, réaménagement des rues et des places». Dans Sézanne, le chemin, jadis, empruntait la descente de la rue du Calvaire, allait jusqu’à la place de la République, suivait la rue Notre-Dame et l’avenue de la Résistance pour sortir de la cité par la «route de Fère-Champenoise».
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Dans le centre-ville de Sézanne
(Photo: Marc Verney, oct. 2006). |
A VOIR, A FAIRE
On peut faire une visite de l’imposante église Saint-Denis, qui domine, du haut de sa tour de 42 m, les ruelles de la cité. Amusant: des commerçants ont eu le droit de s’installer entre chaque contrefort! Il existe un circuit à faire dans le Sézanne médiéval (maisons à colombage vers la rue Cogne-Fort). |
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R.N.51:
LA LOIRE DANS LA MEUSE
Depuis Sézanne, la
R.N.51 de 1959 poursuit son chemin vers Epernay et Reims, monte vers la Belgique en flirtant avec les boucles de la Meuse à Givet (lire) |
Après avoir passé le lieu-dit La Raccroche, où se trouvait un «relais de postillon» (linthes.fr), notre R.N.4 historique s’approche de Connantre. Là, notre chaussée des années cinquante longeait de vastes installations ferroviaires, une gare de triage notamment, construite durant le premier conflit mondial. Celle-ci était «chargée d’acheminer les trains à destination des zones de conflits» (cc-sudmarnais.fr). La gare fut utilisée à nouveau par les Allemands pendant l’Occupation et bombardée le 18 août 1944. C’est sur une partie de son site qu’est installée une vaste sucrerie, construite en 1975. Le village est contourné depuis les années quarante (Wikisara). A moins de trois kilomètres, nous voici aux abords de Fère-Champenoise. Le bourg s'étale au cœur de la plaine. Rien à l'horizon, sinon les hauts silos de l'agriculture extensive… Ici, la route de Paris à la Lorraine traverse la ville à partir de 1835 ainsi que le chemin de fer en 1869. En 1902, «l’éclairage public électrique remplace les becs de gaz» découvre-t-on sur le site de la mairie. Mais les habitants se souviennent aussi du terrible incendie qui a ravagé la ville en 1756. Puis de la bataille perdue, en mars 1814, par Napoléon Ier contre les troupes coalisée prusso-russes. En septembre 1914, la cité se trouve au beau milieu de la première bataille de la Marne. Un cimetière militaire, situé en bordure de nationale –déviée dès 1939 en 2x1 voies- rappelle ce choc entre les armées alliées et allemande. Enfin, le 6 juin 1940, la ville subit un lourd bombardement suivi d'un violent incendie qui détruit 80 maisons du centre… Il ne fait pas bon vivre sur un «couloir» d’invasion… L’ancien tracé (avant contournement), suivait l’avenue Charles-de-Gaulle, la rue Maréchal-Foch, croisait la place Georges-Clémenceau et sortait en direction de Vitry-le-François par la rue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny. On dépasse rapidement Connantray-Vaurefroy et le lieu-dit de la Maltournée. Plus loin, à Sommesous, la route, déjà déviée en 1940, croise la R.N.77 (aujourd'hui D977) qui relie Châlons à Troyes. En septembre 1944, la commune a été le terminus de la boucle est du «Red Ball Express», un système américain d'approvisionnement par convois routiers du front depuis le port de Cherbourg. Ces routes logistiques ont transporté jusqu'à 410.000 tonnes de marchandises transportées par près de 6000 véhicules qui ont notamment emprunté la R.N.4 entre Rozay-en-Brie et Sommesous (Wikipédia).
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R.N.77:
AUBE SUR LOIRE...
La
route nationale Sedan-Nevers traverse une grande partie de l'est
de la France. Ardennes, Champagne, Bourgogne... Un trio de régions
pour une superbe promenade! (lire) |
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La R.N.4 à Connantre
(Photo: Marc Verney, nov. 2006). |
Malgré le trafic poids-lourds intense et dangereux, l'automobiliste doit lutter pour ne pas s'assoupir sur ces longues lignes droites qui donnent au paysage des airs de Far-West. Au bord de la voie, à Soudé, le voyageur croise le relais routier Strasbourg-Paris, surplombé par un château d'eau à la cuvette sommitale marquée d'un imposant «SOUDE». Encore quelques kilomètres au compteur et nous voici à Coole (du nom de la rivière), la route passe d'une bosse à l'autre: altitudes moyennes virevoltant entre 170 et 210 m… on n'est pas au pays des montagnes, mais gare aux dépassements hasardeux! A la hauteur de Maisons, la carte d’état-major du XIX publiée par l’IGN mentionne une «auberge». Nul doute que les lignes droites donnent soif! Quatorze kilomètres à l'est de Coole, après avoir traversé la Marne, Vitry-le-François se blottit au bord de la rivièreet propose le quadrilatère bien organisé de ses rues au visiteur curieux. «L’histoire de Vitry-le-François commence en 1544», lit-on sur le site cabougeavitry.fr, quand les troupes de Charles-Quint détruisent Vitry-en-Perthois, à l’époque, l'agglomération principale de la région. Du coup, François Ier ordonne la reconstruction d'une ville fortifiée à quelques kilomètres, sur les rives de la Marne, à l’emplacement du village de Maucourt. Il lui donne le nom de Vitry-le-François et lui octroie ses armes. «C'est l'architecte italien Girolamo Marini, continue cabougeavitry.fr, qui imagine une ville en damier avec des rues tirées au cordeau, protégée par des remparts et des fossés au nord, à l'est et au sud ainsi que par un bras de la Marne à l'ouest». Au centre de tout cela, se trouve une place carrée de 117 mètres de côté, la place d'Armes. C'est là se rejoignaient les deux artères principales, dont la R.N.34 (R.N.4 après 1949). En 1896 cependant, les remparts et les fossés sont détruits pour permettre l’expansion de la cité qui voit se développer une importante activité de batellerie (commerce de bois et de céréales) avec les canaux de la Marne à la Saône, de la Marne au Rhin et latéral à la Marne. Mais les malheurs de la région ne sont pas finis: les bombardements de la Seconde Guerre mondiale détruisent la ville à plus de 90% et la reconstruction par l’architecte Maurice Clauzier ne s’achèvera que dans les années 1960. Jusqu’aux abords de la Deuxième Guerre mondiale on arrive dans la ville en traversant une porte monumentale, appelée porte du Pont, érigée en 1748 à la gloire de Louis XIV. Voilà ce que l’on en disait en 1926 lors d’une délibération au Conseil général de la Marne: «La R.N.34 de Paris à Vitry-le-François, qui est la grande voie de communication» doit passer sous cette porte dont la largeur est «exactement de 3,42 m»… «C’est un passage très dangereux et de très graves accidents sont à appréhender en cet endroit». La porte ne sera pas détruite, fort heureusement… Démontée en 1938, elle survit à la guerre et on la remonte en 1982, place du Maréchal-Leclerc, plus au nord. Il nous reste environ 280 kilomètres à parcourir sur la R.N.4 de 1959…
Marc Verney, Sur ma route, janvier 2025
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R.N.44:
LA NATIONALE PERDUE
Au sud de Saint-Quentin, se trouvent les vestiges d'une autostrade jamais achevée. Un site d'archéologie routière majeur que Sur ma route a visité pour vous... (lire) |
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L'arrivée à Vitry-le-François en venant de Paris
(Photo: Marc Verney, nov. 2006). En cliquant sur l'image vous continuez la promenade sur la R.N.4 historique! |
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