Seyssel (Ain) accueille maintenant le promeneur des nationales.
La cité, dont les puissants quais ont été bâtis en 1844 a longtemps
fait office de ville-étape. Les peintures des murs, bien défraichies
témoignent encore de ce passé hôtelier sympathique, comme cette
auberge à Seyssel (Haute-Savoie), où l'on loge, selon la formule
consacrée "à pied et à cheval"! Dès la sortie du bourg, la
route longe l'imposant massif du Grand-Colombier -une partie des
monts du Jura- qui culmine à 1525 m.
Après une longue ligne droite, la RN92 historique croise
non loin de Culoz la route d'Ambérieu à Aix-les-Bains. Plus loin,
l'influence du cours du Rhône sur les paysages se fait sentir: la
chaussée, surélevée sur une digue de 1841 à 1845 entre Culoz et
Rochefort, longe les marais de Lavours. Un endroit extraordinaire,
modelé par la fonte, il y a 15 000 ans des glaciers du Rhône. A
cette époque, le climat se réchauffe et c'est un immense lac où
se déversent le Rhône et le Séran qui recouvre toute la vallée.
Au fil des siècles, ce lac post-glaciaire se vide, laissant place
aux marais de Lavours et de Chautagne. Le lac du Bourget, situé
juste à côté dans une cuvette plus profonde est l'ultime héritier
de cette époque.
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R.N.504: PETITS VIRAGES ENTRE AMIS
Entre Roanne et la Savoie, la route nationale 504 historique traverse des paysages qui nous sont chers... Beaujolais, Bresse, Bugey, Alpes... (lire) |
L'élevage est, depuis le XIIe siècle, l'activité essentielle
de la région du Lavours. Religieux et paysans y mènent paître leurs
bêtes. Mais, l'été venu, les prairies du marais sont intégralement
fauchées. Le foin, que l'on appelle ici la blache est utilisé pour
pailler les vignes de la Chautagne proche et sert de litière pour
le bétail. Ces activités cessent peu à peu à la fin du XIXe siècle.
Petit à petit, le marais se couvre de bois. Un assèchement lent
encore aggravé par les endiguements fluviaux et la mise en service
des centrales hydroélectriques le long du fleuve. Info complémentaire:
il semble, au vu d'un décret du 12 décembre 1849, que la route nationale
n° 92 de Valence à Genève contournait la zone des marais de Lavours
par Béon avant la construction de la digue du Rhône.
Ici, peu avant Belley, c'est d'ailleurs la géographie de
toute la région qui a été modifiée par les gigantesques projets
d'aménagement et de dérivation du Rhône réalisés ici à la fin du
XXe siècle. Mais remontons d'abord un peu le temps... Placée sur
la route de l'Italie et proche de Lyon, la région du Bugey connaît,
après la conquête romaine en 58 avant JC, un développement rapide.
La densité des peuplements gallo-romains qui s'y trouvaient et des
voies romaines qui y passaient montre bien cette vitalité. C'est
à ce moment de l'histoire que naît la ville de Belley, sans doute
fondée au siècle d'Auguste.
Le commerce et les transports sont les deux "mamelles" de la
ville. Il y a le Rhône, tout d'abord, formidable voie d'eau
qui est utilisée entre Lyon et la cité du Bugey, puis il y a aussi
la voie terrestre: Belley se trouvait en effet sur la voie de Lyon
à Genève passant également par Cordon et Seyssel. Plus tard, officiellement
soumise au Saint-Empire, mais sous l'influence de la Savoie, la
cité est définitivement incorporée à la France en 1601 avec le traité
de Lyon. Belley est promue au rang de sous-préfecture sous Napoléon
Ier. Puis, c'est l'installation, entre 1874 et 1948 d'un régiment
d'infanterie... Aujourd'hui, Belley s'est un peu assagie et la route
nationale 92 historique traverse tranquillement son centre-ville...
Un mot sur LE personnage de la ville: Jean Anthelme Brillat-Savarin,
maire de la ville sous la Révolution et épicurien notoire... il
est l'auteur de la Physiologie du goût, publiée en décembre
1825, deux mois avant sa mort. Un fromage porte même son nom!!
Dès la sortie de Belley, la route traverse le bois de Rotonne
(un ancien tracé du XVIIe siècle passe plutôt par Brens). Ce bois
a été donné en 1175 au seigneur, évêque et chanoine de Belley par
une bulle d'or signée par l'empereur Frédéric Barberousse himself!!
Voilà ensuite le pont sur le Furans, rivière à truites de première
catégorie, nous signalent les offices du tourisme locaux... c'est
vrai qu'il y a de l'eau dans le coin... et tout est bien vert! Non
loin de là, un peu plus au sud, voilà Peyrieu, premier village,
nous dit l'encyclopédie Wikipédia, "à avoir inauguré un
monument aux morts". A noter que l'un des hameaux du village,
Fay, est célèbre pour sa pierre calcaire (le choin de Fay). Celle-ci
a été utilisée pour la construction de nombreux bâtiments à Lyon
et à Vienne au temps des Gallo-Romains.
On longe à nouveau le Rhône et les paysages deviennent amples.
L'ancienne nationale se désolidarise du tracé contemporain et il
faut suivre la direction de Murs-et-Gelignieux par Tremurs. Ici,
de délicieux panneaux de bois Dunlop de la RN92 s'accrochent toujours
aux vieux murs...
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Gros
plan sur le panneau de bois Dunlop de Tremurs. Photo: Marc Verney,
juillet 2011. |
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Le
panneau de bois Dunlop de Tremurs est plutôt bien conservé.
Ce type de signalisation semble propre à la région
iséroise. En parcourant la N6,
j'en ai repéré un après Lyon. Photo: Marc
Verney, juillet 2011. |
Encore
une fois, les grands travaux sur le cours du Rhône ont modifié
les paysages: la dérivation de Brégnier-Cordon est un canal artificiel
creusé à partir de 1981 qui a fait disparaître de nombreux appendices
du Rhône appelés lônes. Cette nouvelle voie d'eau a dévié les eaux
du fleuve sur une longueur de 8,1 km entre Murs-et-Gélignieux et
Evieu dans l'Ain. En suivant la direction d'Aoste, nous traversons
donc un pont qui n'existait pas dans les années cinquante. Le pont
sur le Rhône est un peu plus loin, peu avant Saint-Didier dans l'Isère.
C'est l'ouvrage de Cordon, reconstruit après la Deuxième Guerre
mondiale en remplacement d'un pont détruit en 1940 par les troupes
françaises afin de tenter de stopper l'avance allemande. Peu d'infos
sur les constructions précédentes: selon Wikipédia, le pont
détruit, un ouvrage suspendu, avait été bâti par l'ingénieur Adolphe
Boulland et mis en service en 1840.
La chaussée surélevée descend lentement en courbe vers la
gauche; le bitume s'oriente en direction d'Aoste à quatre kilomètres
de là. Le site internet Isère-Patrimoine nous explique que
"la bourgade gallo-romaine d'Aoste, du nom de l'empereur Auguste,
est née en l'an 15 avant JC". Celle-ci doit sa prospérité "à
sa situation de carrefour en bordure du Rhône, des axes qui relient
Vienne à l'Italie et au plateau Suisse, ainsi qu'à ses ateliers
de potiers dont les productions ont été diffusées jusque dans les
îles britanniques". Un musée gallo-romain et un vieux four de
potier situé au centre du bourg rappellent cette époque. Encore
un peu plus au sud, voilà le bourg des Abrets, où la RN92 historique
se fond dans l'ancienne RN75 jusqu'à Voiron tout en croisant la
nationale 6.
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R.N.6: LA ROUTE DES ALPES
Au sortir de Lyon, la route s'oriente plein est avec
pour horizon, la fantastique chaîne des Alpes. Il faut 112 km
de bitume pour rejoindre Chambéry... (lire) |
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R.N.75: LA "GRIMPEE" DES ALPES
C'était,
dans les années soixante, la route des Parisiens se précipitant
dès les premières neiges à l'assaut des stations de ski des
Alpes... (lire) |
On
reprend le trajet de la RN92 historique à la sortie de Voiron,
en direction de Moirans. Là, nous raconte le Guide Bleu de la
France automobile, "on continue de descendre par la rive
droite la basse vallée de l'Isère au pied des côtes qu'une large
plaine d'alluvion sépare de l'Isère, tandis que, à l'est, se dresse
la muraille du Vercors". Cet axe, un des plus importants de
la région a vu passer jusqu'en 1864 les voitures de poste entre
Grenoble et Valence. Les relais se faisaient notamment à Voreppe,
Tullins, l'Allègrerie de Vinay, Saint-Marcellin, les Fauries, Romans...
Anecdote amusante: en mars 1605, un arrêté ordonne que la route
royale reliant Grenoble à Valence par la rive droite de l'Isère
ait 20 pieds de largeur, fossés non compris. Le travail ne fut sans
aucun doute pas fait puisqu'une ordonnance du 6 juillet 1683 prescrit
de donner à la route cette même largeur!!
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R.N.85:
L'EMPIRE D'ESSENCE (I)
Entre
Grenoble et la Côte d'Azur , cette "route Napoléon" a fait tourner bien des têtes... Un cheminement mythique sur le site Sur ma route (lire) |
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Sans
doute apposée ici par l'Automobile Club de la Drôme
(ACD), cette limitation de vitesse (9 km/h!!) se trouve à
L'Albenc. Photo: Marc Verney, juillet 2011. |
La
plaine, fertile, est constellée de rangées de noyers. Entre
Tullins et Saint-Marcellin, nous raconte le Guide Bleu de la
France automobile 1954, se trouve "le centre de production
des meilleures noix de table de France". La route, la plupart
du temps en ligne droite, entre maintenant dans Saint-Marcellin.
Une
visite bien coûteuse!
En 1701, les ducs de Bourgogne et de Berry chevauchent ensemble
dans la vallée de l'Isère et envisagent de faire une halte à
Saint-Marcellin. Le petit bourg est vite en émoi. Comment recevoir
convenablement ces puissants (ce sont les petits-fils de Louis
XIV...)? Malgré la grogne des habitants, les plus beaux logements
sont réquisitionnés, on créée des écuries provisoires dans les
rez-de-chaussée de la cité; il y a 550 chevaux dans le cortège...
Et puis la nourriture... on présente à la table les meilleurs
crus de la région, les mets les plus fins sont cuisinés... On
convie même neuf tambours pour la musique! Le tout pour une
facture de 1500 livres entièrement à la charge de Saint-Marcellin!!
On n'oubliera pas qu'à l'époque, la misère ravageait la France:
il y avait alors deux millions de mendiants pour une population
nettement plus réduite qu'aujourd'hui! |
Dès
la sortie de Saint-Marcellin, un parcours quasi rectiligne nous
emmène jusqu'à Romans. A la hauteur de Saint-Hilaire-du-Rosier,
on remarque cependant, sur la gauche, la vaste entaille par laquelle
la rivière Bourne s'extrait des hautes falaises du Vercors. C'est
par là que se trouvent de bien belles routes touristiques ouvertes
avec peine à la fin du XIXe siècle: la vertigineuse combe Laval
(1861-1898), les Grands-Goulets (1843-1854), les gorges de la Bourne
(1861-1872)...
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Belle
vue sur le sublime Vercors, que la RN92 d'antan longe de Moirans
à Romans. Photo: EF, juillet 2011. |
Les
moyens utilisées pour creuser le rocher furent à peine croyables
pour nous, citoyens d'un XXIe siècle hypertechnologique... Ainsi,
on peut lire dans la Revue de géographie alpine: "Constamment,
les ouvriers durent, suspendus à des cordes munies d'une sorte de
siège, travailler au-dessus du vide à poser des crampons dans le
roc. Plus d'une fois il y eut mort d'homme. La percée des tunnels
nécessita des efforts gigantesques. Si l'on joint à cela la difficulté
d'apporter à pied d'oeuvre le matériel indispensable, on comprendra
quel labeur de titans a été réalisé en ce point. Pour l'époque où
elle a été exécutée, c'est vraiment une oeuvre grandiose".
Saint-Lattier est le dernier village isérois traversé. On
y remarque, nous dit le site internet du village, sur une colline,
le Pain de sucre, les restes d’une sorte de tour de guet ou de défense,
servant parfois de lieu d’hébergement. De là, part une voie médiévale,
dite "le pavé". C'est, nous annonce encore le site de la mairie,
une "ancienne voie romaine qui permettait des échanges commerciaux
entre le Midi et les Savoies".
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Ancienne
plaque directionnelle à Saint-Paul-lès-Romans.
Photo: Marc Verney, juillet 2011. |
La
Drôme nous accueille dans le petit bourg de Saint-Paul-les-Romans.
Nous ne sommes plus qu'à 5 km de Romans-sur-Isère. La ville,
nous précise le Guide Bleu de la France automobile 1954,
"doit son origine à une abbaye, fondée en 837 par Saint Barnard,
l'archevêque de Vienne". C'est, de nos jours, une petite ville
méridionale, visitée plus pour ses magasins de chaussures low cost
que pour son architecture ancienne...
Une fois de plus, voilà une ville-carrefour, regroupée autour
de son pont à l'histoire centenaire. Dans l'ouvrage Romans et le
Bourg-de-Péage avant 1790, on lit que ce sont des bacs qui traversent
l'Isère jusqu'en 1033. Le premier pont en bois daterait de cette
époque. Il aurait été construit par les religieux de la cité. De
terribles inondations (le "déluge de Grenoble"!!) emportent l'ouvrage
au début du XIIIe siècle. Construit par la suite partiellement en
pierre, il est cependant régulièrement détruit par les eaux de l'Isère.
Du coup, le roi de France offre 10 000 livres pour sa reconstruction;
les travaux débutent à la moitié du XVIIIe siècle pour un montant
total de 53 895 livres, dont la moitié à la charge de Romans. Il
résiste à une forte montée des eaux en 1744 mais saute sous les
explosifs français devant l'avancée des Autrichiens en 1814. On
le répare en 1818; un projet d'aménagement des accès est mené de
1855 à 1860: les maisons gênantes sont détruites, des quais protecteurs
sont bâtis, on pose des trottoirs... La présence -longtemps!- d'un
péage sur l'ouvrage conduit à la naissance en face de Romans, de
Bourg-de-Péage.
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R.N.538:
TOUT UN ROMANS!
Au sortir de Vienne, un chemin nous emmène vers le Sud par les plus beaux détours provençaux. Un véritable régal piur le conducteur tranquille (lire) |
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Encore
une belle plaque Dunlop en bois à Saint-Paul-lès-Romans.
Photo: Marc Verney, juillet 2011. |
La
route, explique maintenant le Guide Bleu de la France automobile
1954, coupe droit à travers la plaine d'alluvions glaciaires
qui sépare l'Isère du Rhône. Plus grand chose à voir, d'autant que
la nationale de 1959 a été remplacée par une moderne quatre voies,
la N532. On arrive à Valence par les faubourgs de l'est. C'est là
que la N92 achève son périple et se "jette" dans la nationale 7
Paris-Menton.
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R.N.7:
L'APPROCHE DE LA GRANDE BLEUE
Troisième partie de notre balade vers l'azur: la vallée
du Rhône. Après Lyon, finie la grisaille du Nord. Balayé par
le capricieux mistral, le sillon rhodanien nous précipite au
pays des cigales (lire) |
Marc
Verney, Sur ma route, septembre 2011
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