Le carrefour régional des Abrets a, de tout temps, eu une grande importance. Ainsi, «sous l’empereur Claude, écrit l’Histoire de Chambéry, la grande route de Milan à Lyon est abrégée par Chambéry et Aoste, en Isère» (7 km au nord des Abrets). Plus tard, la carte de Cassini (XVIIIe) publiée par le Géoportail de l’IGN, nous éclaire grandement sur ces problématiques routières: Au nord, venant d’Aoste, on trouvait la «route de Grenoble à Genève», à l’ouest, venant de la Tour-du-Pin, la «route de Lyon» se poursuivant à l’est en direction du Pont-de-Beauvoisin (frontière avec la Savoie jusqu’en 1860). Un itinéraire qui est, dès le Moyen Age, «la voie du Mont-Cenis», précise encore l’Histoire de Chambéry. Enfin, au sud, on avait la «route de Valence au Pont-de-Beauvoisin». Il fallait, en effet, sous l'Ancien Régime, descendre jusqu’à Moirans pour reprendre la route royale jusqu’à Grenoble. Et c'est «au milieu du XVIIIe siècle», que l'on voit se mener «les travaux de la route de Valence à Genève, qui gagnait Paladru et Aoste» depuis Moirans et Voiron, confirme M. Jouanny, dans son article «Voiron, étude de géographie urbaine». A la sortie des Abrets, la route prend donc la direction de Voiron. Voilà un apaisant paysage de collines que la voie coupe parfois au plus droit, au prix souvent de fortes montées, comme à la Bâtie-Divisin ou à Montferrat. D’ailleurs, pas sûr que le Conseil général de l’Isère ait été entendu, quand il a réclamé, en 1828, «un changement dans la direction de la route royale n°75, afin d'éviter les pentes rapides que présente la direction actuelle sur la commune de Montferrat»... Trois ans plus tôt, le Journal de Grenoble, administratif, politique et littéraire donnait la liste des rampes sur cette chaussée «à la montée desquelles on pourra prendre un cheval de renfort»: c’étaient les grimpées de Montferrat, du Banchet, de l'Arsenal, de Chirens, de Sermorens et de la Buisse. A droite de la route, se cache un petit joyau d'origine glaciaire, le lac de Paladru (détour possible par la D50). Ce lac, annonce la Description topographique, historique et statistique des cantons formant le département de l'Isère, «long de cinq kilomètres et large d'environ un kilomètre, était, avant l'annexion de la Savoie, le deuxième lac de France par son étendue; le lac de Grand-Lieu, près de Nantes, était le seul qui eût une surface plus considérable. Il est entouré d'une vaste ceinture de coteaux mollement ondulés, qui offrent, par leurs formes gracieuses, un des plus riants paysages».
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Le
joli et vaste lac de Paladru est d'origine glaciaire. Dommage qu'il
soit autant loti sur son pourtour (photo: Marc Verney, avril
2011). |
Après avoir laissé derrière nous le «col du Banchet» (près de 700 m d'altitude), la R.N.75 historique, traverse Chirens et entame son approche de Voiron. «La vue, nous dit le Guide Bleu de la France automobile de 1954, est belle sur l'extrémité nord du massif du Vercors». L’ancienne entrée dans la ville de Voiron correspond à la montée du Verdin qui se poursuit avec l’avenue du 8-Mai-1945 puis la rue du Faubourg-Sermorens. Mais c'est un peu compliqué de suivre ce trajet historique. Ronds-points et centres commerciaux ont, comme toujours, fortement bouleversé l'organisation de la zone périurbaine. La forte descente de l'ancienne nationale, désormais en sens unique (en direction des Abrets) doit être contournée en suivant les indications «centre ville» et en évitant de suivre la rocade ouest. Si l’on est «puriste» et que l’on souhaite se rapprocher au mieux de l’itinéraire des années cinquante, il ne faut pas rouler sur la «pénétrante ouest» (l’avenue Jules-Ravat) datant de 1966, mais aller rue Sermorens et rue des Quatre-Chemins… Ce quartier, aux rues étroites, dessine d’ailleurs «un noyau correspondant au fondement de Voiron à l'époque antique», explique le site du patrimoine d'Auvergne-Rhône-Alpes (vpah-auvergne-rhone-alpes.fr), qui publie un intéressant plan de Voiron en 1842. Plus tard, «la ville s'est peu à peu développée et le bâti s'est répandu au pied du château édifié au Moyen Age et à l'intérieur des remparts, situés à l'est». On ne semble pas avoir de traces de la cité avant le VIIIe siècle, signale M. Jouanny, dans l’article «Voiron, étude de géographie urbaine»; le château de Voiron étant mentionné avec certitude par le «cartulaire de Saint-Hugues, qui attribue à l’évêque de Grenoble, onze châteaux dont le castrum Voironem» en 1107. Puis les comtes de Savoie, dont Pierre II, favorisèrent l’agglomération naissante au détriment de Sermorens (ou Salmorenc). Au XIIIe siècle, des remparts sont bâtis, un marché et une charte municipale sont établis. Au Moyen Age, la place Sainte-Catherine s’imposait comme le centre des affaires avec le grenier à sel et l’auberge de l’Ecu de France. Au XVe siècle, poursuit M. Jouanny, «les échanges devinrent nombreux avec les environs: à dos de mulet, la région de la Grande-Chartreuse envoyait son bois, ses planches, ses solives, surtout des toiles, des barattes, des bennes, des berceaux... Le colportage prit un essor considérable grâce à des exemptions de péages concédées aux Voironnais». Par ailleurs, à la même époque, c’est l’industrie du chanvre et des toiles qui se développe dans la région. Plus tard s’y ajoutent celles du papier et de la soie.
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R.N.92:
AUX CONTOURS DES MONTS
Entre
Genève et Valence, cette belle route au parcours
atypique visite monts et merveilles avant d'atterrir au pays
des cigales... Une course au soleil qui va vous plaire (lire) |
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La route nationale 75 en 1933 entre Grenoble et Sisteron. Juste à côté, on remarque le tracé presque parallèle et finalement concurrent de la R.N.85. Extrait d'une carte des voies à grande circulation éditée pour le corps médical par le Laboratoire de médecine expérimentale. |
Au XVIIe siècle, peut-on lire dans l'Histoire de Voiron, «le seul passage pour les voitures ou piétons se rendant à Grenoble se fait par la rue Marchande, par celle du Four (en forte pente) et enfin par la rue Genevoise». Cette dernière existait déjà depuis longtemps, d'abord sous la forme d'un chemin, puis bâtie à partir du XIVe siècle. La rue Genevoise –désormais pavée- deviendra d'ailleurs peu à peu la voie «huppée» de Voiron! Aux XIXe et XXe siècles, la cité se tourne vers l'industrie et on verra s'installer des fonderies, des constructions métalliques, des fabriques de skis... Aujourd’hui, le secteur de l’alimentation prédomine: avec le chocolat Bonnat, deux boissons contribuent fortement à la notoriété de Voiron, la liqueur de chartreuse et l'Antésite, une boisson à base de réglisse. La nationale 75 historique prend maintenant la direction de Grenoble par les boulevards du Quatre-Septembre et Edgard-Kofler. Entre Voiron et La Buisse, le regard s'attarde sur deux massifs vertigineux qui comblent le regard: en face, la Chartreuse et à droite, le Vercors. La D1075 entre dans la cluse de Voreppe. Le tronçon de Voiron à Voreppe sera établi en 1845, signale l'article «Voiron, étude de géographie urbaine». Le trafic en direction et en provenance de Grenoble s'intensifie car c'est ici que se rejoignent les routes de Bourg, de Lyon et de Valence. Dans Le département de l'Isère sous la IIIe République (1870-1940), on signale que l'on a pu compter en ces lieux «dès avant 1940, 5000 véhicules (...) en 24 heures»! «Un vrai vestibule pour la ville de Grenoble», lit-on encore dans l'ouvrage. Et, c’est pour cela que des réalisations routières d’importance y ont été menées très tôt (le projet est bien visible sur la carte Michelin n°77 de 1943)... Depuis le lieu-dit «le Grand-Chemin», à l’ouest de Rives, la R.N.85 venant de Lyon, est aménagée en site propre jusqu’après Moirans. Puis, au niveau du carrefour avec la R.N.75, on retrouve un tronçon contournant la Crue-de-Moirans (lieu-dit la Poste) et un autre passant au large de Voreppe. Ces derniers travaux ont été, semble-t-il menés dans les années quarante, selon Wikisara: 1947 avant Voreppe à la Poste et 1942 (donc pendant la guerre) autour de Voreppe! Dans cette cluse, se sont succédées plusieurs routes; c'est d'ailleurs sur l'emplacement d'un premier chemin gaulois qu'est construite la voie romaine. «Venant de Vienne par Tourdan et Moirans, elle se dirigeait vers Grenoble, d'où ensuite elle gagnait Turin et l'Italie par Briançon», dit J. Marchal dans l'article «La cluse de l'Isère» paru dans la Revue de géographie alpine en 1913. Avant l'actuel chef-lieu départemental, son tracé devait l'amener «le plus près possible du rocher, à l'écart de l'Isère et de ses caprices»... Ce qui est à peu près le tracé des routes postérieures, par Fontanil-Cornillon, Saint-Egrève et Saint-Martin-le-Vinoux. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la chaussée entre Lyon et Grenoble fut l'une des plus fréquentées du Dauphiné. Mais, malgré l'argent qui lui était consacré, insiste J. Marchal, elle n'offrait pas «les garanties suffisantes de solidité». En cause, les remous violents de l'Isère, qui «viennent battre la berge de la route» et les «torrents affluents», qui l'endommagent «soit en y creusant des ravinements, soit en y déposant leurs pierrailles». Il fallait donc endiguer l’Isère. Un chantier considérable qui sera mené en parallèle avec la réfection de la voie, de la fin du XVIIIe au début du XIXe.
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Plaque de cocher à La
Buisse (photo: Marc Verney,
avril 2011). |
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A onze kilomètres de Grenoble. L'Isère est un des rares départements de France à avoir conservé quelques-unes de ses bornes RN gravées (photo: Marc Verney,
avril 2011). |
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Peu avant Saint-Egrève (photo: Marc Verney, avril 2011). |
D’autres aménagements ont eu lieu plus récemment aux approches de Grenoble: selon Wikisara, un écrêtement en 1944 au Chevalon-de-Voreppe, la déviation de Fontanil-Cornillon en 1940, celle de Saint-Robert en 1943, de Buisseratte en 1939 et celle de Pique-Pierre en 1950. En arrivant aux abords de Grenoble, il faut, par contre, remonter plusieurs siècles en arrière: le duc de Lesdiguières (fin XVIe-début XVIIe siècle), explique J. Marchal, «fit subir à la route une transformation essentielle. Abandonnant l'ancien tronçon qui passait par le Rabot, il fit creuser une nouvelle route dans le rocher de la Porte-de-France, à un endroit où auparavant n'existait qu'un sentier étroit et dangereux auquel on avait donné le nom significatif de Maupas. Cette route se trouvait en surélévation de la plaine et pas conséquent à l'abri des inondations». Aujourd’hui, on peut s'approcher du centre de Grenoble par un petit bout d'autoroute. C'est une bretelle construite à l'occasion des Jeux olympiques de 1968 et qui emmène l'automobiliste directement sur la place Dubedout après avoir franchi l'Isère sur le pont de la Porte-de-France. Auparavant, la route nationale 75 suivait la route de Lyon peu avant le franchissement de l'Isère. C’est en 43 avant J.C. que «Lucius Munatius Plancus, gouverneur de la Gaule transalpine et ancien lieutenant de César, indique qu’il a édifié un pont de bois près de Cularo (le nom romain de Grenoble, NDLR) pour permettre à ses légions de franchir la rivière», signale le site grenoble-patrimoine.fr. Mais ce pont, à la fonction militaire, sera détruit peu après. Le pont permanent de Cularo aurait été, quant à lui, situé à l’emplacement de l’actuel pont de Chartreuse. Dès l’époque antique, continue le site du patrimoine grenoblois, «la présence d’un pont de bois, maintes fois reconstruit, en fait un point de passage obligé pour les marchands et les voyageurs. Site de pont, Cularo sera le seul lieu aisé de franchissement de la vallée de l’Isère jusqu’à la construction du pont de Romans au IXe siècle». De la fin de l’Antiquité au Moyen Age, pouvoirs civil et religieux se bagarrent pour la domination du site. C’est à l'évêque Saint Hugues (1053-1132), que l’on doit la création du premier pont en pierre sur l’Isère. Mais, dans la nuit du 14 et 15 septembre 1219, une phénoménale crue du Drac, qui, à l’époque, a un des ses bras qui contourne la ville par l’est, va réduire l’ouvrage à néant. Le suivant, également de pierre, «vivra» cahin-caha de la moitié du XIIIe siècle jusqu’au XVIIe siècle… Les crues s’enchaînent et détruisent systématiquement le labeur humain… Un «pont de chêne» succédera au pont de pierre, décidément trop coûteux à maintenir en place! L’année 1837 voit l’édification d’un pont en «fil-de-fer» qui a survécu jusqu’à aujourd’hui sous le nom de passerelle Saint-Laurent. Mais ce n’est plus là que passe le trafic… En 1621, le duc de Lesdiguières lance le chantier du pont Créqui ainsi dénommé en hommage au petit-fils du duc qui le fait achever en 1671. Reconstruit en 1740 avec un tablier en bois, il est remplacé en 1839 par l’actuel franchissement, en pierre de Sassenage, dans le cadre des travaux d'endiguement de l'Isère, le pont Marius-Gontard. Mais, l’arrivée du chemin de fer à Grenoble et la nécessaire réorganisation du trafic dans l’ouest de la cité, allait rendre impérieux la réalisation d’un nouveau pont, à la hauteur de la Porte-de-France. C’est, nous dit le site patrimoine-grenoble.fr, la société de Gustave Eiffel qui s’y colle, et réalise une structure métallique de 100 m de long pour 7 m de large qui sera inaugurée le 28 mai 1893. Aujourd’hui, notre multivoie R.N.481 (A48 déclassée) aboutit sur la rive gauche par un pont en béton construit entre 1956 et 1958.
DOCUMENTATION EN LIGNE Vous pouvez consulter la page Wikisara de la R.N.75 (lire) mais aussi la page Wikipédia de cette même route nationale historique (lire). |
En face de nous s'ouvre désormais l'ample cours Jean-Jaurès, créé au XVIIIe siècle sous le nom de cours Saint-André, et qui coupe l'agglomération de part en part sur huit kilomètres en suivant la direction de Sisteron jusqu'à Pont-de-Claix. La ville, rattachée au royaume de France en mars 1349 connaîtra un développement spectaculaire aux XIXe et XXe siècles. Grenoble aura, là, à sa tête, des personnalités décidées et volontaires, comme Honoré-Hugues Berriat, maire de 1835 à 1842 qui fait complètement repaver les rues en pierre équarrie en remplacement des galets ronds du Drac. Mais la ville elle-même n'est pas attirante; voilà ce qu'en dit Joanne, dans son Guide du voyageur en Dauphiné au XIXe: «Autant la nature est admirable, autant la ville déplaît aux étrangers... la vue et l'odorat y ont trop à souffrir. Il faut être habitué dès l'enfance à de si dégoûtants spectacles, à de si puantes odeurs. (...) Les maisons sont beaucoup plus malpropres que les rues»... Du coup… «Messieurs, la ville étouffe», clame donc Edouard Rey, un autre de ces maires visionnaires face à son conseil municipal... En mai 1881, Rey propose un vaste plan de développement étalé sur quatre ans. Celui-ci profite du déclassement des terrains militaires jouxtant la cité. La superficie de Grenoble quadruple; on trace seize nouvelles rues et une nouvelle place de 120 mètres de côté, l'actuelle place Victor-Hugo. Plus tard, en 1921, le déclassement de Grenoble en tant que place-forte militaire autorise d'autres développements, profitant cette fois de la disparition de l'enceinte fortifiée. C'est ainsi qu'eut lieu, en 1925, sur ces terrains, une célèbre exposition vantant les bienfaits de l'énergie hydraulique (la houille blanche) pour produire de l'électricité. Plus tard encore, Grenoble sera nommée Compagnon de la Résistance (fait rare pour une ville toute entière!) pour son rôle dans la lutte contre l'occupant nazi, puis, en 1968, la cité recevra les Jeux olympiques d'hiver qui amplifieront encore le développement urbain. Aujourd'hui, la métropole iséroise est un grand centre universitaire et industriel, ce qui engendre bien souvent de chaotiques conditions de circulation... A noter enfin: c'est à Grenoble que naît en 1889 le tout premier syndicat d'initiative de France.
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A Pont-de-Claix, le fameux pont Lesdiguières (XVIIe siècle) et son remplaçant (bien moins élégant)... Source: Wikipédia, photo: Milky. Ce document a été signalé libre de droits par son auteur. |
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Bel
ensemble Michelin de la R.N.75 peu après Pont-de-Claix (photo: Marc Verney, octobre 2008). |
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R.N.85:
L'EMPIRE D'ESSENCE (I)
Entre
Grenoble et la Côte d'Azur , cette "route Napoléon" a fait tourner bien des têtes... Un cheminement mythique sur le site Sur ma route (lire) |
Le cours Saint-André (ancien chemin des Essarts) nous emmène à Pont-de-Claix. En 1927, peut-on lire dans l'ouvrage Les routes de France du XXe siècle (1900-1951), deux kilomètres de ce long boulevard furent réalisés en chaussée bétonnée. Au Pont-de-Claix, la route nationale 75 historique se sépare de la R.N.85, la célèbre «route Napoléon», qui, quelques kilomètres plus loin va entamer, à Vizille, la difficile rampe de Laffrey (construite en 1771 afin d'apporter à Grenoble l'anthracite de La Mure). On franchit maintenant le Drac en longeant un pont ancien d'une élégante portée de 46 m, bâti entre 1608 et 1611 par la volonté du duc de Lesdiguières. Ca tombe bien, l'ouvrage fait désormais partie des «sept merveilles du Dauphiné»!! Mais bon, passer ce torrent capricieux -surnommé le Dragon- et qui a souvent ravagé Grenoble et ses environs n’a pas toujours été une mince affaire… C'est une charte du 8 avril 1277, nous signale Auguste Bouchayer, dans son article «Le Drac dans la plaine de Grenoble de 1280 à 1651», qui mentionne «pour la première fois l'existence d'un pont sur le Drac (pontem de Clayx), tandis qu'un document du 14 juin 1307 fait allusion au même pont détruit naguère, et qui ne pouvait être reconstruit sans une grande dépense d'argent»... A la fin du XIVe siècle, des ouvriers de Vizille bâtissent un ouvrage en bois et en pierre de «dix arches». A cette époque et jusqu’au XVIIe siècle, raconte l’historien, les tentatives d’endiguement du Drac sont incessantes, parfois même détruites par les habitants de communes situées en aval et qui s’inquiètent de voir les eaux couler plus vite en leur direction… Arrive le XVIIe siècle et le fameux pont Lesdiguières, qui est aujourd’hui doublé –depuis 1873- d’un ouvrage plus conforme au passage des automobiles sur notre R.N.75 historique (D1075). Mais le combat contre les crues du torrent se poursuit aux XVIIIe et XIXe siècles. Ce n’est qu’en 1820 qu’une digue continue jusqu’au confluent avec l’Isère a pu protéger durablement des excès du Drac la plaine de Grenoble et le chemin qui mène à Pont-de-Claix, écrit R. Blanic dans la revue La Houille blanche en 1974. Et ce, malgré une ultime grande crue en 1859… La «route de Chalon-sur-Saône à Sisteron» va maintenant remonter la vallée de la Gresse. Sur notre droite, voilà Varces, traversée par l’avenue Joliot-Curie, puis de Provence. «En raison des fréquentes crues de la Gresse, découvre-t-on sur le site varces.fr, le centre du bourg n’a été façonné qu’à partir du milieu du XIXe siècle, quand une digue a été construite ramenant la rivière dans son lit. Commencée sous l’Ancien Régime, la petite route de Provence, actuelle avenue Joliot-Curie, est alors terminée. En 1895, le tramway remplace la patache et amène jusqu’à Varces les Grenoblois de la Belle Epoque qui souhaitent passer le dimanche à la campagne». A quatre kilomètres au sud, voilà Vif, petite bourgade elle aussi située le long de la Gresse. Au début du XVIIIe siècle, L’un des grands soucis du habitants de Vif est, comme à Varces, «l’édification de digues pour emprisonner la Gresse dans son nouveau lit après la grande crue de 1646 et la construction d’un pont», explique ville-vif.fr. Succédant à un pont de bois, un ouvrage en pierre avec ses trois arches, est réalisé en 1830 sur la chaussée du col de la Croix-Haute, poursuit ce site.
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VOIR LE COL, COMME EN 1933!!
Les
vieux textes ont du bon. Grâce à eux, on peut
revivre par exemple la promenade automobile de la montée
vivifiante au col de la Croix-Haute! Une attention signée
Michelin. (lire) |
Après Vif, nous abordons la montée en direction du col. Cette chaussée, nous raconte Georges Reverdy dans Les routes de France du XIXe siècle n'a pas été tout d'abord conçue comme une voie nationale. C'est en effet le département de l'Isère qui prend en charge les premiers travaux. La départementale 1 (ainsi nommée en 1802) doit aller en direction de Marseille par le col de la Croix-Haute. Là, le département de l'Isère ne fait d'ailleurs que suivre d'anciens exemples: l'Atlas culturel des Alpes occidentales indique qu'une piste traversait déjà la région du Trièves au IIIe siècle avant J.C. et que l'étymologie même des noms de la région est ici liée aux structures routières romaines (Trièves: carrefour de trois routes). Pour le préfet de l'Isère, en 1815, le travail de construction n'allait pas être compliqué. Cité dans l'ouvrage Histoire du Trièves, il écrivait ainsi à l'époque que la nature n'ayant «mis aucun obstacle invincible à la réalisation de la route, (...) à notre avis, les seuls ouvrages un peu essentiels qui restent à faire pour ouvrir la route aux voitures sont le pont de Saint-Michel, les portes et les escarpements des rochers de la Croix-Haute au lieu-dit Le Châtelet. Tout le reste se fera à la pioche»... Les travaux dureront de 1828 (date à laquelle la voie est classée royale) à 1838. C'est cette dernière année que seront effectués les empierrements de la chaussée jusqu'aux limites de la Drôme. C'est «un jeune polytechnicien, Louis Crozet, nommé vers 1825 ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de l'Isère», qui décida de rompre l'isolement du Trièves en faisant réaliser cette voie, précise encore l’Histoire du Trièves. Les premiers virages arrivent au village du Crozet (où l’on passe sous les viaducs de l’A51, mais c’est une autre histoire…). Du Genevray au lieu-dit Charouse, la D1075 «colle» littéralement à l’autoroute et à la «route ferrée» des Alpes, un chemin de fer ouvert en 1878 entre Grenoble et Gap. Peu avant le lieu-dit les Cadorats, la voie tracée au XIXe diverge nettement de la R.N.75 des années cinquante. Par le chemin des Cadorats et la D110, elle va rejoindre le Collet pour retrouver la D1075 juste avant Monestier-de-Clermont. De son côté, la route moderne, telle qu’elle est dessinée sur la carte Michelin n°77 de 1943 suit avec une grande fidélité le tracé de la voie ferrée (mais je n’ai pas de date d’exécution). Principal bourg traversé durant la montée, le Monestier-de-Clermont. L'hôtel du Lion d'Or était la plus ancienne auberge-relais du village. L'établissement, dont l'écurie pouvait accueillir jusqu'à 60 chevaux, est cité dès le XVIIe siècle, annonce le site monestierdeclermont.fr. Ici se tient en 1908 un mémorable concours de ski. Sur l'arc de triomphe qui accueillait les milliers de visiteurs on pouvait lire la devise «la montagne est l'école du fort»! En 1959, on traverse Monestier par la Grand-Rue. Dans le village voisin de Gresse-en-Vercors, des téléskis sont installés dès 1962. La neige, qui, parfois tombait en abondance dès les abords du col du Fau (899 m) pouvait d'ailleurs poser de sérieux problèmes aux voyageurs: dès 1924, des essais de déneigement à l'aide «de tracteurs à chenilles» sont réalisés au col de la Croix-Haute, mentionne George Reverdy dans Les routes de France du XXe siècle (1900-1951).
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L'impressionnant
Mont-Aiguille (à gauche). Photo: Marc Verney, avril 2011. |
Sinon, le voyageur est charmé par les paysages traversés. Dès le col du Fau, l'oeil s'émerveille devant toutes les chaînes de montagnes qui entourent le plateau du Trièves. Mais surtout, voilà, à droite de la route, le Mont-Aiguille, «extraordinaire récif calcaire», nous dit le Guide Bleu de la France automobile 1954 qui culmine à 2086 m et dont l'ascension fut réussie pour la première fois en 1492. En 1837, la route est «élargie et régularisée» jusqu’au pont de Saint-Michel, signale Reverdy dans Les routes de France du XIXe siècle; c’est un passage qui n’est plus utilisé par la route moderne, déviée plus haut. Un «grave éboulement» survenu en mars 1952 a imposé ce changement, dit Wikisara. Plus loin, dans la deuxième partie du XXe siècle, on contourne désormais la gare de Clelles, on rectifie des virages au niveau du hameau des Blancs et du château de Casseire. Notre route nationale 75 historique surplombe maintenant Saint-Maurice-en-Trièves. Ce petit village d’altitude sans histoire abritait, à la fin du XIXe siècle, une fonderie d’or, nous dit le site trieves-vercors.fr. Mais pas de «ruée vers l’or» dans le coin… la matière première arrivait de toute la France par le chemin de fer jusqu’à la petite entreprise, située au bord du ruisseau de Bonson. Encore un peu plus loin, non loin de Lalley, au lieu-dit la Remise, se trouvait une «maison de poste», visible sur la carte d’état-major du XIXe. Encore quelques virages autour de la maison cantonnière des Déviras, et voilà le col de la Croix-Haute (1179 m)! Les lieux ne sont pas si impressionnants… la voie ferrée est juste à côté. Des trains de voyageurs Paris-Briançon sont passés par là en 1976, hissés en triple traction par de puissantes machines diesel BB67400. Aussitôt le col franchi, nous voici dans le département de la Drôme. L'itinéraire (D1075 toujours), qui redescend désormais en pente douce vers Aspres-sur-Buëch, fera partie de la route d'hiver des Alpes, créée en 1923 par le Touring Club de France. Cette voie, éminemment touristique, carrossable en toutes saisons et sillonnée par plusieurs lignes d'autobus, reliait Aix-les-Bains à Nice en passant par Grenoble et Sisteron. Dans les temps anciens, le seuil du col de la Croix-Haute, raconte Suzanne Sauvan dans l'article «Le Haut-Bochaine (du Col de la Croix-Haute au Pont-La-Dame)», est «praticable pour les gens à pied ou à dos de mulet toute l'année (...). La route qui y passe, dite "petite route de Provence", a été fort anciennement pratiquée: en 1445, on la trouve jalonnée d'auberges à Saint-Julien, au Monestier-du-Percy. Le connétable de Lesdiguières l'améliore et en 1683 elle figure sur l'Etat des grandes routes du royaume. Le 6 juillet 1683, une ordonnance du Bureau des finances du Dauphiné lui impose la largeur de 20 pieds. (...) En 1746, lors de l'irruption des Impériaux en Provence, on y fait passer les troupes et les munitions envoyées de Lyon et de Grenoble». Mais les véhicules à roue n’y passeront régulièrement que bien plus tard, on l’a vu.
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Ancienne borne de limites entre Isère et Drôme au col de la Croix-Haute (photo: Marc Verney, avril 2011). |
Voici donc ce que dit la Statistique du département de la Drôme (1835) sur la route n°75: «C'est une route de troisième classe nouvellement tracée, qui longe le département de la Drôme à l'est, sur une longueur de 9.934 mètres. La grande communication vicinale de Die à Grenoble, par Châtillon et le col de Grimone, rejoint cette route à Lus-la-Croix-Haute». Là, nous dit le Guide Bleu 1954, les environs prennent «un aspect méridional». «La nature devient plus âpre et plus sauvage, les montagnes sont encore plus encore plus nues. Descendant rapidement le long des eaux du ruisseau de Lunel, on traverse le petit village de la Croix-Haute», évoque de son côté, Adolphe Joanne, dans l'Itinéraire général de la France en 1865. Notre chaussée passe les lieux-dits le «Bel-Hôte» puis le «Grand-Logis» en amont de Lus-la-Croix-Haute. La carte d’état-major du XIXe publiée par le Géoportail de l’INA montre, elle, une auberge, située à «la Meyrie», face à Lus. Outre l’élevage, la vallée vivait de l’industrie du bois; «les troncs étaient transportés par flottage sur le Buëch, pointe le site lus-la-croix-haute.fr. Au printemps, quand les eaux devenaient grosses, on constituait des radeaux en assemblant au moins 7 à 8 grandes pièces de bois et les radeliers les conduisaient sur les eaux du Buëch jusqu’à Sisteron où ils étaient ensuite dirigés vers la Durance». Une autre activité originale, signalée par le site municipal, la fabrique de glace. Au sud du village, au lieu-dit Champ-Bertrand, un lac artificiel gelé permettait de «produire de la glace naturelle qui découpée, puis stockée dans la sciure était ensuite expédiée par le train jusqu’à Marseille et la Côte d’Azur». Cette industrie perdurera jusqu’en 1925. La chaussée emprunte désormais la vallée du Buëch, un torrent qui naît dans le vallon de la Jarjatte, et suivra ce torrent jusqu'à Sisteron. La route, environnée en 1954 de champs de lavande «gagnés sur la pierraille environnante» entre rapidement dans le département des Hautes-Alpes. En 1845, relatent les Préoccupations statistiques, géographiques, pittoresques et synoptiques du département des Hautes-Alpes, le Conseil général de ce département émettait le voeu que soit «établi une malle-poste de Paris à Marseille, passant par Lyon, Grenoble, la route de la Croix-Haute n°75 (...) ainsi qu'un service de dépêches de Chalon-sur-Saône à Antibes par la (même) route n°75». Le premier village croisé est Saint-Julien-en-Beauchêne, un lieu très lié à une ancienne chartreuse, située 5 km à l’est. La chartreuse de Durbon est richement dotée en 1116 par l'évêque de Gap, qui l'a reçue de l'empereur lui-même (la région dépend du Saint-Empire jusqu'au XVe siècle). Sous l'Ancien Régime, son patrimoine foncier et industriel était considérable (élevage, vin, mines, métallurgie, et même une saline à Hyères...). A peu de distance, notre chaussée franchit le Buëch au lieu-dit le «Pont-Bleu». Au XIXe, la route y faisait un coude prononcé; un nouvel ouvrage, en biais, permet de filer tout droit (ou presque) depuis les années trente. Un peu plus au sud encore, on repasse le Buëch au lieu-dit «la Rochette»; ici, le Recueil général des lois, décrets et arrêtés (1861) signale que l'on a décidé en 1854 la «reconstruction du pont sur le torrent» et à «la rectification de la route aux abords de cet ouvrage». Il faut signaler aussi que, depuis Saint-Julien, la carte de Cassini (XVIIIe) mentionne une chaussée jusqu’à Aspres… Voilà maintenant «Pont-la-Dame», où l’on laisse partir –à gauche- la R.N.94b en direction de Veynes. L’ancien pont de pierre, sur le Buëch, construit grâce aux libéralités de Mme de Revillasc, a, depuis, été remplacé par un ouvrage plus récent.
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Passé
le col de la Croix-Haute, la route traverse rapidement la Drôme pour rejoindre les Hautes-Alpes.
Les paysages, peu à peu prennent un caractère
méditerranéen affirmé (photo: Marc Verney,
avril 2011). |
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Entrée du village de Mison-les-Armands en 2006. Source: Wikipédia, photo: Floflo. Ce document a été signalé libre de droits par son auteur. |
On arrive rapidement à Aspres-sur-Buëch, localité où l'on rejoint la route de Die (ancienne R.N.93). Cette localité est, au début du XIXe siècle la conclusion de la route n°75. La réalisation –dans le premier tiers du XIXe- d'une nouvelle chaussée plus directe par Aspremont a repoussé, jusqu’au lieu-dit «Pont-la-Barque», la fin de la route 75. «A l'époque, la voie n°75 passe à Aspres-les-Veynes, à Aspremont, et s’embranche à la voie n°94 au pont la Barque», écrit J.C.F. Ladoucette en 1848 dans l’ouvrage Histoire, topographie, antiquités, usages, dialectes des Hautes-Alpes. A Serres, la carte d’état-major du XIXe publiée par l’IGN mentionne, en amont de la cité, un «pont de pierre», puis, sur la «route de Laragne», un «pont de bois». Après 1950, nous devons constater que c’est bien la R.N.75 qui se poursuit au-delà de Serres jusqu'aux portes de Sisteron. A Eyguians, la carte du XIXe du Géoportail signale une «auberge» et un «pont suspendu» sur la route de Lagrand. Ici, raconte un article du Dauphiné Libéré, «la vraie révolution se produit dans les années 1840. La route du col de la Croix-Haute vient d’ouvrir, empruntée par les diligences. Des ponts sont jetés sur le Buëch, dont Pont-Lagrand. Au bord de la rivière poussent une auberge, un moulin, une scierie, une église»… incitant les habitants du vieux village, situé sur les hauteurs, à s’installer au bord de la nouvelle chaussée! Pour continuer le voyage, il faut passer Laragne, où l'on trouvait jadis une ancienne auberge d'étape dont l'enseigne était une araignée (Aragne en provençal). On franchit la Véragne sur un pont bâti vers 1845, indique laragne.net. Là, écrit encore J.C.F. Ladoucette dans l'ouvrage Histoire, topographie, antiquités, usages, dialectes des Hautes-Alpes, «un embranchement de 6000 mètres, qui a coûté 15.000 francs y compris les acquisitions de terrains, sert de communication entre la route et celle de Paris à Marseille par Gap. Ouvert depuis quinze à vingt ans, il part de Rourebeau et va à Monteglin». Mais notre chaussée va jusqu’à Sisteron. Dès lors, nous dit le Guide Bleu 1954, «la route s'écarte un peu du Buëch dont la sépare un rang de collines et vient longer la Durance». On entre dans le département des Alpes de Haute-Provence (anciennes Basses-Alpes). Voilà le village de Mison (lieu-dit «les Armands»), où se trouvait un relais. Notre chaussée porte désormais le numéro 4075. Les retrouvailles avec la «route Napoléon» se font vers le «Logis-Neuf», près de 5 km au nord de Sisteron, terminus de notre promenade.
Marc Verney, Sur ma route, avril 2020
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R.N.85:
L'EMPIRE D'ESSENCE (II)
Entre
Grenoble et la Côte d'Azur , cette "route Napoléon" a fait tourner bien des têtes... Un cheminement mythique en ligne sur le site Sur ma route (lire) |
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