"Cimetière" de bornes de la R.N.85 historique vers Castellane (photo: MV, octobre 2008).
Après Sisteron en direction de Château-Arnoux (photo: Marc Verney, août 2022).
AUX LECTEURS: les textes, photos et dessins de ce site sont soumis au droit d'auteur. Pour toute autre utilisation, contacter l'auteur de Sur ma route. Merci de votre compréhension...
Entrée de Digne sur la nouvelle chaussée de contournement (photo: MV, août 2022).
A Barrême (photo: MV, août 2022).
SOURCES ET DOCUMENTS: Atlas des grandes routes de France, Michelin (1959); carte n°81 Avignon-Digne, Michelin (1970); Annales des ponts et chaussées, chez Carilian-Goeury, libraire-éditeur (1834); «Castellane-Salinae (Alpes-de-Haute-Provence)», Guy Barruol, supplément à la Revue archéologique du centre de la France (2004); Description routière, géographique, historique et pittoresque de l'Empire français, Régis Jean François Vaysse de Villiers, librairie Potey (1813); Guide Bleu Provence, Côte d'Azur, Hachette (1971); Guide du Routard Côte d'Azur, Hachette (2008); Guide Rouge Côte-d'Azur, Michelin (1930-31); Guide Rouge Alpes, Michelin (1933-34); Itinéraire descriptif et historique du Dauphiné, Adolphe Joanne, librairie de L. Hachette (1863); «La poursuite de l'aménagement de la Durance: la chute d'Oraison», Jean Nicod, Méditerranée (1960); «La ville de Digne est-elle enclavée?» Jacqueline Borel, Bulletin de l'Association de géographes français (2007); Napoléon et sa traversée des Basses-Alpes, Jean-Chistophe Labadie, archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence (mars 2015); Recueil de documents statistiques, ministère des Travaux publics, Imprimerie royale (1837); Situation des travaux au 31 décembre 1837, ministère des Travaux publics, Imprimerie royale (1838); Situation des travaux, ministère des Travaux publics, Imprimerie royale (1839); Situation des travaux au 31 décembre 1843, ministère des travaux publics, Imprimerie royale (1844); chateau-arnoux-saint-auban.fr; dignelesbains.fr; lepoet-hautes-alpes.com; malijai.fr; mairie-castellane.fr; provenceweb.fr; route-napoleon.com; sisteron.com; sisteronnews.wixsite.com; structurae.net; ville-grasse.fr; Géoportail (IGN); Persée; Wikipédia; Wikisara.
VILLES ET VILLAGES traversés par la R.N.85 historique (1959), en italique, les anciennes RN principales croisées:
Gap (N94)
La Tourronde
La Saulce
Monêtier-Allemont
Valenty
Rourebeau
Le Poët
Sisteron (N75)
Les Bons-Enfants
Château-Arnoux
L'Escale
Malijai
Les Grillons
Les Sieyes
Digne-les-Bains (N100)
Les Hostelleries
Châteauredon
Chabrières
Chaudon-Norante
Barrême (N207)
Senez
La Tuilière
Taulanne
Castellane
La Garde
La Bâtie
Le Mousteiret
Le Logis-du-Pin
Vilaute
Séranon
Escragnolles
Saint-Vallier-de-Thiey
Grasse (N567)
Magagnosc
Saint-Pons
Le Collet
Le Plan
Les Maillans
Villeneuve-Loubet
Cagnes-sur-Mer (N7)
A VOIR, A FAIRE
Sisteron: la vieille ville, un véritable labyrinthe de petites ruelles (les andrones), places et passages; la citadelle, au sommet du rocher et qui «tient» le défilé de la Durance (panorama); mais aussi le musée gallo-romain: statuaire, décor d’architecture, objets du quotidien, le musée Terre et Temps Edith-Robert, dans le cadre de l'ancienne chapelle restaurée des Visitandines (XVIIe siècle), qui nous invite à l’heure du temps de l’homme et de la terre, l'écomusée du Sisteronais-Buëch, qui conserve une centaine d'objets de la vie quotidienne, des objets de l'artisanat et des métiers d'antan, des outils de la vie agricole...
Malijai: le château, construit en 1770, a abrité Napoléon, lors de sa remontée vers Paris les 4 et 5 mars 1815.
Digne-les-Bains: un petit tour dans la vieille ville (montée Saint-Charles et place du Marché). Le musée Gassendi; la cathédrale Notre-Dame du Bourg, une des plus belles églises romanes de Provence; le musée-promenade. Lorsqu’il est en service, le train des Pignes dessert de forts beaux villages, comme Annot ou Entrevaux. Dans les environs: visite de la vallée du Bès (clue de Barles).
Chabrières: la clue. L’ancienne chaussée de la «route Napoléon» se glisse entre de hautes murailles calcaires (un moderne tunnel évite les croisements difficiles).
Barrême: le bourg est réputé dans le monde entier pour sa richesse géologique, dit le site provence-alpes-cotedazur.com, avec un nombre exceptionnel de fossiles d’ammonites. Cette concentration remarquable a même valu à Barrême de passer dans la postérité, puisque la commune donne son nom à une époque de l’ère secondaire: le Barrémien. La fête de la lavande, est organisée chaque année en juillet.
Taulanne: la clue. La route tournicote autour du relief rocheux. Panorama vers le col des Lèques.
Castellane: joli bourg très touristique en été aux portes des gorges du Verdon (randonnées, canyoning). Montée à la chapelle Notre-Dame du Roc (vue).
Saint-Vallier-de-Thiey: nombreuses randonnées.
Grasse: visite de la vieille ville depuis la place aux Aires. Le musée Fragonard se trouve dans une élégante maison de campagne de la fin du XVIIe siècle; il abrite les œuvres du célèbre peintre; le musée d’Art et d’Histoire de Provence (MAHP) rassemble, au sein de l’hôtel de Clapiers-Cabris, d’importantes collections consacrées à la vie quotidienne en Provence et des oeuvres d'art du XVIIe au XXe siècle; le musée international de la Parfumerie, unique au monde, permet aux visiteurs de découvrir l’histoire et l’originalité du métier des industriels et des grandes maisons de parfumerie.

Villeneuve-Loubet:
le musée Escoffier de l'Art culinaire raconte la vie et l'oeuvre de cet inventeur de la cuisine moderne.
Cagnes-sur-Mer: Renoir, le maître impressionniste a passé les douze dernières années de sa vie ici, au bord de la Méditerranée, un musée, qui possède quatorze toiles du peintre, retrace cette période. A voir aussi, la promenade de la Plage, au Cros-de-Cagnes.
Une des ultimes bornes hectométriques de la R.N.85 historique (photo: MV, août 2022).
AUTRES RESSOURCES sur la R.N.85 historique:
l’Action nationale des élus pour la route Napoléon (Anern)
, née en 1969 regroupe les 42 communes situées sur cette route. Elle a pour mission de faire valoir le caractère essentiel et national au sens de l’aménagement du territoire de ce parcours emprunté par Napoléon (lire).
La page Wikisara
L'encyclopédie en ligne Wikipédia
Descente vers Castellane (photo: MV, août 2022).
De Gap à Digne. Extrait d'une carte des voies à grande circulation éditée pour le corps médical par le Laboratoire de médecine expérimentale (1933).

Grandes routes de France
R.N.85: L'EMPIRE D'ESSENCE (II)
La deuxième partie de ce voyage sur la «route Napoléon» de 1959 nous fait rouler de Gap à à Cagnes-sur-Mer. On traverse les Hautes-Alpes, les Alpes de Haute-Provence et les Alpes-Maritimes. La R.N.85 longe la Durance jusque vers Sisteron  avant d’obliquer en direction de Digne. Ce crochet nous amène vers Barrême, où l’on laisse partir la route de Nice sur notre gauche, puis Castellane, aux portes du «grand canyon» du Verdon. On passe les fameuses «clues», comme celle de Taulanne, où la route se confond avec les plissements calcaires dans un vertige de roches… Hormis l’été, le trafic n’est pas très intense sur cette partie de la voie, totalement déclassée depuis Barrême. L’arrivée sur Grasse marque l’entrée dans la Côte d’Azur. On y aime les spectaculaires échappées visuelles en direction de la «grande bleue»… On y aime moins les entassements automobiles qui marquent la proximité niçoise. Quelle salade! A noter que c'est en 1932 que la R.N.85 a reçu officiellement le nom «route Napoléon»!

La R.N.85 après Castellane (photo: Marc Verney, août 2022). En cliquant sur l'image vous arrivez sur le trajet de la R.N.7 historique sur la Côte-d'Azur!

A l’époque antique, Vapincum (Gap) et Segustero (Sisteron) étaient reliés par la voie Domitienne qui suivait le val de Durance. Sur la carte de Cassini (XVIIIe) publié par le site de l’IGN, on trouve également un tracé vers Aix-en-Provence et Marseille. Après avoir quitté Gap par les avenues Jean-Jaurès et François-Mitterrand, la route n°85 prend le nom d’«avenue de Provence» juste avant la Tourronde. Là, le contournement des années 1980 ne doit pas faire oublier la rectification indiquée par la Situation des travaux de 1839 qui emprunte la «route des lacets de la Tourronde». Les aficionados de la chose impériale auront remarqué sur le Géoportail de l’IGN le «chemin de l’Empereur», juste à côté, marquant l’ancien tracé. Quelques kilomètres plus loin, nous rejoignons le village de la Saulce, longtemps possession de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Pas d’erreur, on y suit l’avenue Napoléon, puis celle de Marseille, qui se poursuit –en 1959- sans interruption vers le lieu-dit la Romeyère en l’absence du grand canal EDF de Sisteron, réalisé au milieu des années soixante. Ici, notre voie «passait» à l’époque le canal de Beynon, qui alimentait la centrale du même nom. Dès lors, notre R.N.85 de 1959 va suivre la rive droite de la Durance jusqu’au Logis-Neuf et à sa rencontre avec la route n°75. On longe le village de Monêtier-Allemont, qui était «un poste romain» sur la voie Domitienne, dit Wikipédia. Plus loin, la traversée du «ravin du Beynon» a été rectifiée en 1956. Le viaduc actuel passe littéralement au-dessus de l’ancien ouvrage. A quelques kilomètres de là, la route historique entre dans Rourebeau (commune d’Upaix) et se poursuit jusqu’au Poët, 2,5 km plus au sud. Voilà un «hameau peu important par lui-même, écrit en 1813 l’auteur de la Description routière, géographique, historique et pittoresque de l'Empire français, mais beaucoup par son commerce, consistant dans l’entrepôt et l’expédition des amandes». La voie a été renommée en D22 mais s’appelle encore «route Napoléon» jusqu’au village du Poët, «construit sur le penchant méridional d'une colline de 650 mètres d'altitude, qui sépare la plaine qui porte son nom de celle d'Upaix», découvre-t-on sur le site internet du village, lepoet-hautes-alpes.com. «Au milieu du XVIIIe siècle, poursuit M.J. Roman, publié par le site du village, une belle route fut construite par les ingénieurs royaux et traversa le Poët; lorsqu’un roulage considérable s’y établit, le Poët entra dans l’ère de prospérité. Pour n’en donner qu’un exemple, ses maîtres charrons étaient célèbres dans la contrée et ne pouvaient suffire aux commandes qui leur étaient faites. Cela a bien marché pendant cent cinquante ans, puis le chemin de fer a été construit laissant de côté la vallée de la Durance, la route est devenue déserte et le Poët est retombé dans sa solitude».

Dans la large vallée de la Durance (photo: Marc Verney, août 2022).

Au sud du Poët, c’est l’entrée dans le département des Basses-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence depuis 1970). Notre route croise maintenant la R.N.75 dans laquelle elle va se «fondre» jusqu’à Sisteron. Mais il faut auparavant traverser le Buëch, rivière fort abondante qui prend sa source sur la commune de Lus-la-Croix-Haute. «Le pont sur ce torrent, proche du confluent avec la Durance, date de 1727», lit-on sur le site sisteronnews.wixsite.com. Avec l'accroissement du trafic, il est élargi une première fois en 1865, puis une deuxième fois en 1975 par une dalle posée en encorbellement. Reposant sur trois arches en plein cintre, l’ouvrage de 56 m remplace un précédent pont construit en 1202, et réparé en 1399. Et l’on entre dans la ville par le cours Melchior-Donnet.

R.N.75: LA "GRIMPEE" DES ALPES
C'était, dans les années soixante, la route des Parisiens se précipitant dès les premières neiges à l'assaut des stations de ski des Alpes... (lire)

SISTERON PORTE DE LA PROVENCE La cité (appelée Segustero sous l'Antiquité), située à cheval sur la cluse de la Baume, est un point de passage stratégique dès l’époque romaine et la construction du pont sur la Durance. Au XIe siècle, la ville devient d'abord une place forte des comtes de Forcalquier puis propriété des comtes de Provence dont elle est leur frontière du nord. Léguée en 1483 à Louis XI, la Provence rejoint le royaume de France à cette époque. Au XVIe siècle, les guerres de religion voient les protestants et les catholiques se disputer Sisteron car la forteresse contrôle toujours le seul pont sur la Durance. La citadelle de Sisteron, classée monument historique en 1925, est certainement l'oeuvre d'un précurseur de Vauban, Jean Errard, ingénieur d’Henri IV. Ce bâtiment est cependant constitué d'un ensemble d'ouvrages d'époques très diverses résultant de modernisations et de reprises successives, mentionne Wikipédia. Les 15 et 17 août 1944, suite au débarquement de Provence, des bombardiers alliés attaquent les ponts de Sisteron sur la Durance et le Buëch. Plusieurs bombes tombent sur la ville, endommageant la citadelle et de nombreux bâtiments. Morts et blessés jonchent les décombres mais la ville est libérée le 19 août par la Task force US du général Butler.

Le tunnel de Sisteron sous la citadelle (photo: Marc Verney, août 2022).
A Château-Arnoux-Saint-Auban (photo: Marc Verney, août 2022).

La traversée de Sisteron, jusqu’à la construction de l’autoroute A51, qui perce la montagne de la Baume, de l’autre côté de la Durance, n’a jamais été facile. Rues étroites, encombrements, bouchons… Et pourtant, à la fin des années cinquante, un premier effort fut fait: un tunnel de 162 m de long est creusé sous la citadelle pour éviter les rues Saunière et Droite. Ce qui nous amène sur l’avenue Paul-Arène puis de la Libération. Il faut noter qu’au XVIIIe, notre chemin vers Digne passait la Durance sur l’ancien pont enjambant cette rivière, puis s’orientait vers Volonne (actuelle D4). C’est le chemin qu’a suivi Napoléon en 1815. Plus tard, la route de Lyon à Antibes par Grenoble et Gap passera par la rive droite et Château-Arnoux-Saint-Auban (décret du 3 décembre 1834 actant le «changement de direction de la route royale n°85»). A la Peyrouse, la route traverse le Jabron sur un pont (1846, selon Wikisara). Le fait majeur dans la région, écrit le site chateau-arnoux-saint-auban.fr, c'est l’établissement sur la commune de Château-Arnoux au lieu-dit Saint-Auban en 1916 d'un établissement chimique destiné à l’effort de guerre: «Les usines produisaient le terrible gaz moutarde. Ainsi naquit un des principaux sites industriels alpins comptant jusqu’à 2500 ouvriers au tournant des années 1970». En 1829, on entame donc la construction dans ces parages d’un pont suspendu destiné à «doubler l’antique pont de la Baume de Sisteron», lit-on dans l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Le chantier se poursuit jusqu’en 1833 mais le pont, de 114 m de long, ne résiste pas à l’épreuve de charge. Il faut reconstruire et la mise en service n’aura lieu que trois à quatre ans plus tard. Lourdement réparé en 1899 et 1919, il ne sera fermé qu’en 1959 avec la construction du pont-barrage de l’Escale, nom du village situé sur la rive gauche. Mention intéressante piochée dans le Guide Rouge Alpes de 1933-34 qui signale que le croisement était «impossible» sur l’ancien pont suspendu. Jusqu’à Malijai, la R.N.85 côtoie un canal E.D.F. créé au moment de la réalisation du pont-barrage et qui emmène l’eau de la Durance à Oraison. Malijai, notre prochaine étape, est un village qui porte un drôle de nom… celui-ci viendrait «soit du latin male jactus, mal situé ou de l’occitan mal i jai, y couche mal, pour désigner une habitation de mauvaise qualité, peut-être une ancienne auberge», dit le site malijai.fr. Le village est dévié dès les années quarante, souligne Wikisara. Dès lors, notre voie remonte la vallée de la Bléone; il y a 19 kilomètres à parcourir jusqu’à Digne, cité construite au carrefour de trois vallées. Aux abords de cette ville, les férus d’anciennes routes ne suivront pas la moderne chaussée, bâtie entre 1996 et 2000 et qui longe la rivière, mais plutôt les avenues du Colonel-Noël et de Verdun qui aboutissent au Grand-Pont sur la Bléone (aujourd’hui les sens interdits ne permettent plus ce trajet).

Vers Digne-les-Bains (photo: Marc Verney, août 2022).
Au lieu-dit Moulin-Aiglun (photo: Marc Verney, août 2022).

DIGNE THERMES! En 78, raconte le site municipal dignelesbains.fr, Dinia est une cité gallo-romaine implantée en fond de vallée, près du torrent du Mardaric, sur le site de l’actuel quartier du Bourg. D'ailleurs, nous dit le site route-napoleon.com, les Romains installent des thermes dans le vallon des Eaux-Chaudes. Les eaux, qui jaillissent naturellement au pied de la falaise, ont effectivement une température comprise entre 22 et 42°C. Plus tard, au VIe siècle, on fortifie les hauteurs de la ville afin de résister aux invasions barbares. Deux quartiers distincts se forment ainsi: le Bourg, sous la tutelle du prévôt du chapitre, et la Cité, qui relève de l'évêque. Déjà décimée par les guerres de religion, la cité est ravagée au XVIIe siècle par une épidémie de peste qui fait chuter la population de dix mille à mille cinq cents habitants. A la fin de l'Ancien Régime, un bureau de la poste royale est installé à Digne. Dès le XVIIIe siècle, et après être devenue chef-lieu du nouveau département des Basses-Alpes (1790), la localité sort peu à peu de ses remparts et s’étend, au XXe siècle, de plus en plus loin de sa vieille ville.

L’actuel Grand-Pont de Digne date de 1867. Long de 115,40 m et possédant sept arches, il remplace de précédents ouvrages en bois posés sur des piles de pierres qui furent emportés «maintes fois par les crues de la Bléone», dit structurae.net. En direction de Nice, l’automobiliste moderne emprunte cependant le nouveau pont Alexandra-David-Néel (mis en service en 2004) mais suit toujours le boulevard Gambetta pour sortir de la localité. En 1837, ce n’est pas le cas: le Recueil de documents statistiques (routes royales, routes départementales) du ministère des Travaux publics nous indique, cette année-là, que la route n°85 est «en lacune de la fin de la digue des Bains, un peu au-delà de Digne, à Barrême», soit sur une distance d'une trentaine de kilomètres. Mais il y avait un chemin! De Digne à Barrême, la carte de Cassini (XVIIIe siècle) publiée sur le Géoportail de l'IGN montre un itinéraire passant par les cols de Pierre-Basse, de Corobin et le hameau de Chaudon. Napoléon, le 4 mars 1815, lors de son épique remontée vers Paris, suivra cette vieille route, sinueuse et tourmentée écrit le Guide Bleu Provence, Côte d'Azur. Par le col de l’Orme (tracé actuel de la R.N.85), on trouve, de ci de là, les ruines d’anciens ponts. Ils correspondent aux travaux effectués pour la «route Napoléon» qui change de tracé en 1844 et passe par la clue de Chabrières (travaux de 1842 à 1857 selon Wikisara) mais aussi à des ouvrages plus anciens liés à la route de Digne à Aix. Après avoir laissé Châteauredon à notre gauche, la chaussée s’enfile dans la vallée de l’Asse et aborde la clue de Chabrières (synonyme de cluse dans le Midi de la France). Cette spectaculaire portion de route, «étroite et sinueuse», dit le site des travaux publics du Midi (tpbm-presse.com), viabilisée vers 1845 signale Wikisara, est désormais évitée par un tunnel de 170 mètres de long inauguré en 2015. Sur douze kilomètres jusqu’à Barrême, la route n°85 suit l’Asse, un torrent issu de la réunion des «trois Asses»: Asse de Clumanc (au nord), Asse de Moriez (au nord-est) et Asse de Blieux (est et sud-est). Au passage du «ravin du Couinier», voilà, sur notre gauche, l’ancien pont de la R.N.85 historique.

Ancien pont de la R.N.85 vers le col de l'Orme (photo: Marc Verney, août 2022).
En direction de Barrême (photo: Marc Verney, août 2022).

On arrive à Barrême par la «route de Digne». Le bourg est un carrefour d’importance, puisque de là part la route vers Nice (R.N.207 de 1959), R.N.202 aujourd’hui. «L'ancien village, dit l'Itinéraire descriptif et historique du Dauphiné (1863), était autrefois bâti sur une élévation nommée le col Saint-Jean; mais, ayant été consumé par la foudre en 1040, il fut reconstruit au pied de la colline. En 1860, Barrême et les campagnes environnantes ont été ravagées par l'inondation». Le pont sur l’Asse (1857, Wikisara) donne sur la «route de Nice» (D4085) qui file en direction de Castellane. Des travaux sont réalisés en 1845 jusqu’à Senez et en 1852 jusqu’à La Tuilière (Wikisara). Voilà maintenant le passage le plus spectaculaire sans doute du trajet, la montée à la clue de Taulanne et le passage du col des Lèques (travaux entre 1836 et 1839, dit Wikisara). La route se faufile au milieu des roches grises, comme avalée par les parois drues, la place se fait rare et l’automobiliste manie son véhicule avec la –petite- appréhension d’avoir à croiser son prochain… Puis c’est l’arrivée au col des Lèques. L’œil s’enflamme avec la vue, en contrebas, de tous les virages en épingle qui mènent à Castellane. Un passage connu au XVIIIe siècle puisqu’un chemin est dessiné là, sur la carte de Cassini publiée par le Géoportail de l’IGN. En 1792, l'ingénieur en chef des ponts et chaussées décrit ainsi la voie entre Senez et Castellane: «Le fond du terrain est assez bon; mais la route est trop étroite dans quelques endroits. À une demi-lieue de Senez dans l’endroit où l’on quitte le lit de la rivière d’Asse, on monte pendant près d’une heure le col Saint-Pierre dont le chemin est coupé en partie dans le rocher pour descendre dans un cratère de volcan couronné par une suite de rochers pointus dénués de toute verdure...». Ce texte, publié dans la plaquette Napoléon et sa traversée des Basses-Alpes, préparée en 2015 par les archives des Alpes-de-Haute-Provence pour le bicentenaire du «retour de l’Aigle», montre bien la rigueur de l’itinéraire de l’époque, qui n’est autre qu’un simple «chemin muletier». D'ailleurs, entre le col des Lèques et Castellane, celui-ci se caractérise «par ses lacets, son étroitesse». La route d’aujourd’hui, héritière des travaux effectués au cœur du XIXe siècle, tournicote abondamment jusqu’à la petite étendue où se love Castellane. Ce bourg, très touristique, «situé au carrefour des Alpes et de la Méditerranée, lit-on sur mairie-castellane.fr, a depuis très longtemps été un lieu de passage, de commerces et de rencontres». L'ancien village, dit encore ce site «n’a pas toujours été situé au même endroit et n’a pas eu le même nom. On ne connaît pas exactement le site de la première implantation de la cité appelée alors Ducelia, chef-lieu de la tribu ligure des Suétrii, mais on suppose qu’elle se situe sur les hauteurs, vers le quartier actuel de la Salaou. Colonisée par les Romains, cette cité prend le nom de Salinae, qui signifie eau salée, en référence à une source d’eau salée exploitée, le sel étant une denrée importante tant pour les bêtes que pour les hommes». Cette localité était d’ailleurs située sur une route du sel qui reliait Cimiez à Embrun, entre la voie Aurélienne et la voie Domitienne. La persistance de bornes miliaires, notamment au col des Lèques, témoigne de cette voie militarisée, dit encore mairie-castellane.fr.

A Barrême, c'est désormais la R.N.202 qui s'embranche vers Nice. On y croisait auparavant la R.N.207 (photo: Marc Verney, août 2022).
L'étroit passage de la clue de Taulanne (photo: Marc Verney, août 2022).
Le joli et très touristique bourg de Castellane, dominé par Notre-Dame du Roc (photo: Marc Verney, août 2022).

Plus tard, l’agglomération est attestée à la fin du Xe sur le rocher qui domine la ville moderne où château et village sont protégés par une enceinte du haut Moyen Age. Puis Castellane s'implantera à partir du XIIe sur une colline au pied du rocher abritant le précédent village. La localité, dit Guy Barruol dans un article paru dans un supplément thématique de la Revue archéologique du centre de la France, «doit à sa position sur un itinéraire traditionnel mettant en communication le littoral méditerranéen et la moyenne vallée de la Durance d'avoir pu maintenir son importance économique». Le pont sur le Verdon existait déjà au Moyen Age; reconstruit en pierre à partir du début du XVe siècle, c'est une maison des frères pontifes qui se chargeait de son entretien, lit-on sur la page Wikipédia du bourg. Puis la Provence est rattachée à la Couronne de France en 1483 et Louis XI fait raser le château. En 1746, les Austro-Sardes occupent brièvement la ville lors de la guerre de Succession d’Autriche. A la fin de l’Ancien Régime, un bureau de la poste royale est installé à Castellane. La chaussée de Lyon à Antibes traverse aujourd’hui la ville par le boulevard Saint-Michel, la rue Nationale et traverse –en 1959- le Verdon sur l’étroit pont du Roc, franchi aussi le 3 mars 1815 par Napoléon Ier lors de son retour de l'île d'Elbe. Désaffecté en 1967, cet ouvrage est remplacé par un autre pont placé en aval. La D4085 prend maintenant le chemin de Grasse, située à 63 km de là. Voilà La Garde, un petit village qui doit son nom à la tour que possédait le village au XIIe siècle (provenceweb.fr). Ici, la voie, visible sur la carte de Cassini (XVIIIe) publiée par le Géoportail de l’IGN, a été rendue carrossable jusqu’à la limite des Alpes-Maritimes par des travaux effectués de 1839 à 1840, signale Wikisara. En 1837, sur cette chaussée, dit la Situation des travaux, «la route est ouverte sur 1500 mètres, aucun ouvrage d’art n’est encore commencé». A la sortie de la Garde (vers Grasse), la voie a été remaniée dans la deuxième moitié du XXe siècle: un délaissé subsiste –sur la droite- avec un petit pont de pierre issu des travaux du XIXe jeté au-dessus du «ravin des Gravières». Plus loin, dans un paysage de plus en plus méridional, la «route Napoléon» grimpe en direction du col de Luens (1054 m), qui fait communiquer les vallées du Verdon et de l'Artuby. Peu après, la «route Napoléon» effleure le Var puis pénètre dans le département des Alpes-Maritimes. Ici, autour de la clue de Séranon, indique la Situation des travaux, «les travaux sont entièrement terminés et soldés. La route est livrée à la circulation depuis fin 1842». Peu après, nous voici au col de Valferrière (1169 m). Entre Saint-Vallier-de-Thiey et Escragnolles, l’ancien chemin emprunté par Napoléon en 1815 suivait la vallée de la Siagne pour ensuite grimper hardiment en direction de la chapelle Saint-Martin et atteindre la Croix-de-la-Colette. C’est seulement après le premier tiers du XIXe siècle que le tracé de la route nationale 85 historique (D6085) sera rectifié entre Grasse et le vallon de Nans, écrit le site saintvallierdethiey.com. D’autres précisions nous sont apportées par la Situation des travaux de 1837, qui indique, qu’entre la Croix-de-la-Colette et le vallon de Nans, «la route est ouvert sur les neuf dixièmes de sa longueur. Tous les murs de soutènement et la presque totalité des perrés sont terminés, les ponts sont aussi exécutés à l’exception d’un seul». Plus loin, les travaux semblent s’être échelonnés jusqu’à la moitié du XIXe siècle.

La R.N.85 de Digne à Nice. Extrait d'une carte des voies à grande circulation éditée pour le corps médical par le Laboratoire de médecine expérimentale (1933).
Le col de Luens (photo: Marc Verney, août 2022).

GRASSE: GANTS ET FRAGRANCES Née au VIIe siècle, l'actuelle capitale mondiale de la parfumerie étale les maisons colorées de sa pittoresque vieille ville sur les contreforts des Alpes provençales. Le nom «Grasse» apparaît au XIe siècle. «Le XIVe siècle est celui des religieux qui construisent de nouveaux couvents et agrandissent les remparts pour les protéger. Derrière ces nouvelles fortifications, on crée de nouvelles maisons, autour de la place aux Aires», lit-on dans la page Wikipédia consacrée à l'histoire de la cité. On y voyait aussi quantités de moulins et de tanneries. A cette époque, on parfumait les cuirs, et notamment les gants, fabriqués en nombre à Grasse. Et, peu à peu, les gantiers deviennent des parfumeurs... Pillée à la Renaissance par Charles Quint, Grasse est connue durant le siècle des Lumières pour l’intervention cruciale des troupes navales de l’amiral de Grasse dans la victoire des États-Unis contre les colons britanniques. Le XIXe siècle est un siècle de prospérité industrielle. Le parfum se développe, de grandes usines apparaissent et Grasse devient «capitale mondiale des parfums». Au même moment, le secteur du tourisme fait ses premiers pas et de riches étrangers construisent dans et autour de la ville de magnifiques villas. La Côte d'Azur commence à se faire un nom!

On entre dans Grasse par le boulevard Georges-Clémenceau (route de Saint-Vallier). La ville, placée «à la limite de la Haute et de la Basse-Provence, écrit le Guide Rouge Côte-d’Azur (1930-31), offre tout ce que la nature peut réunir de charme séduisant… Des terrasses de la ville moderne, aux jardins étagés, on jouit des plus jolies perspectives, tandis que la vieille ville provençale forme un ensemble pittoresque». De 1870 à 1978, la R.N.85 ne rejoint plus Antibes, mais est désormais dite «de Lyon à Nice par Grenoble et Gap»; elle passe par Châteauneuf et Villeneuve-Loubet pour rejoindre Cagnes-sur-Mer. La portion entre Grasse et Cannes portera d’abord le n°567 jusqu’en 1978 puis retrouvera son n°85 jusqu’au déclassement des années 2000. Pour l’année qui nous intéresse (1959), on va quitter Grasse par le boulevard Thiers et l’avenue Victoria. En 1874, cet itinéraire final de la R.N.85 jusqu'à la côte niçoise est loin d'être achevé, signale Wikisara: «La section entre Grasse et La Courade est réalisée en 1870, celle entre La Courade et Le Pré-du-Lac en 1867, et celle entre Le Pré-du-Lac et Saint-Pons en 1873». Puis l'itinéraire est complété «poussivement entre Saint-Pons et le Col du Colombier en 1881, entre le Col du Colombier et la Vanade en 1880, et entre la Vanade et Cagnes en 1888 (avec percement d'un tunnel)». L’histoire ne doit pas être étrangère à ces «remue-chemins» du XIXe siècle: c’est en mars 1860, par le traité de Turin, que Nice et la Savoie reviennent à la France. Dans la foulée, le 23 juin de la même année, l’arrondissement de Grasse est détaché du Var pour former avec la province de Nice le département des Alpes-Maritimes. Le village suivant sur la RN.85 historique est l'un trois hameaux de Grasse. Magagnosc, mentionné pour la première fois au milieu du XIIe siècle, fut marqué par la culture en terrasses. l'huile d'olive tout d'abord, puis, au XIXe siècle, la culture de la violette, dont la fleur est utilisée pour les bouquets ainsi que la confiserie et les feuilles pour l'industrie des parfums. On lit dans la plaquette de présentation Laissez-vous conter Magagnosc publiée sur le site ville-grasse.fr que la route de Lyon à Nice y est doublée d'une ligne de tramway Cagnes-Grasse de 1911 à 1929. Aujourd’hui, les abord de la chaussée sont fortement bâtis. L’appel du soleil n’est pas un vain mot… Après la commune de Roquefort-les-Pins et ses hameaux (le Plan, le Colombier, les Maillans…), la «route de Grasse» approche de Villeneuve-Loubet. On passe le Loup sur un pont de 1881 et la jonction avec la R.N.7 historique se fait deux kilomètres plus loin vers le Cros-de-Cagnes.

REJOINDRE LA R.N.7
La Côte d'Azur nous tend les bras. Cannes, Antibes, Nice, Monaco et Menton... Que des noms qui chantent au pays du soleil!! Bienvenue sur la route des vacances (lire)

Marc Verney, Sur ma route, janvier 2023
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