Bien accroché sur la pile du pont de Seyssel, ce panneau Michelin a vu passer du monde! Ici, en 1959, la route nationale 92 prend la direction de Culoz (photo: EF, juillet 2011).
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Sources et documents: Atlas des grandes routes de France (Michelin, 1959); carte Michelin Lyon-Genève n°74 (1928); carte routière n°14 bis, Dauphiné-Savoie (Taride); Histoire des communes savoyardes, T.III, sous la direction de Jean-Yves Mariottes, éditions Horvath, 1981; Pour une archéologie du paysage, Bassy et alentours, Paul Dufournet (Picard, 1978); viry74.fr; Wikipédia; Wikisara. Remerciements: La gazette de Frangy autrefois, la bibliothèque publique du centre Georges-Pompidou (Beaubourg).
Gros plan sur le Michelin de Seyssel. (photo: EF, juillet 2011)
Villes et villages traversés par la N92 historique (1959), en italique, les anciennes RN principales croisées (la route ne débute réellement qu'à Viry):
Genève (N5)
Saint-Julien (N206)
Viry
L'Eluiset
Maison-Neuve
Jonzier-Epagny
Pont-Fornant
Le Malpas
Frangy (N508)
Le Pont-Rouge
Seyssel (Haute-Savoie)
Sortie de Jonzier-Epagny. Notez la croix savoyarde accrochée au panneau moderne (photo: MV, juillet 2011).
La robuste pile centrale du pont de Seyssel (photo: MV, juillet 2011).
Rattachement ou Annexion?
C'est un projet qui a été rapidement mené en 1858 entre l'empereur français Napoléon III et Cavour, le ministre de Victor Emmanuel II. Il s'agit d'allier le Piémont-Sardaigne à la France contre l'Autriche. La monnaie d'échange, c'est la Savoie et Nice, dont les populations penchaient fortement en faveur d'un rattachement à la France. L'opération aboutit le 23 avril 1860 après que l'on eut écouté les nombreuses revendications suisses. Parmi celles-ci, la création d'une vaste zone franche économique permettant aux Genevois de commercer librement avec la France voisine. Mais certains s'opposent à ce projet vu comme une annexion, comme Clément Silva, une des 21 personnalités de la région qui prirent plutôt une position pro-helvétique... Celles-ci furent d'ailleurs de ce fait déclarées citoyens suisses d'honneur... Pour M. Silva, la République française ne fut pas racunière: élu député de la Haute-Savoie en 1871, il devient maire de Viry en 1878 où il est enterré aujourd'hui.


Nos belles routes de France
R.N.92: AUX CONTOURS DES MONTS (I)
Voilà une promenade pas banale. La route nationale historique n°92 de 1959 nous balade de Genève à Valence en passant par Seyssel, capitale d'un petit blanc aux effluves de violette et Romans, haut lieu de la chaussure peu chère (madame en frétille d'avance!). Encore une fois nous voici installés dans la grande histoire de France puisque la route, bâtie en partie par les Sardes, nous rappelle que la France avait par là sa frontière avec le royaume de Piémont-Sardaigne jusqu'en 1860. La route n'affole pas le compteur kilométrique du véhicule: environ 190 km de bons et loyaux services... Première partie: de Saint-Julien à Seyssel (Haute-Savoie).

La route a quitté la banlieue genevoise et ses abords français... En face de nous, les premières rondeurs alpines s'entremêlent avec les monts jurassiens (EF, juillet 2011). En cliquant immédiatement sur cette photo, vous continuez la promenade sur la RN92 historique.


Créée en 1824
, la route reliait dans un premier temps Seyssel à Valence. Le rattachement de la Savoie à la France en 1860 (on va en parler souvent!) autorise un trajet sans frontières jusqu'à Genève mais, d'après le site routier Wikisara ce n'est qu'en 1923 que la RN92 reliera Viry, près de Saint-Julien-en-Genevois à Valence, dans la Drôme. En 1959, c'est la nationale 206 qui passe par Saint-Julien: nous en ferons néanmoins notre point de départ en raison de l'importante position de carrefour de ce bourg et pour faire un premier point sur l'historique compliqué des routes de la région.

Aux portes de Genève, Saint-Julien est une petite cité dont le nom n'apparaît qu'en 1253. Sa relative importance fait qu'on lui accorde en août 1537 la tenue d'une foire hebdomadaire tous les mercredis. Les lieux sont alors, nous dit L'histoire des communes savoyardes, sous possession bernoise. Au XVIIIe siècle, Saint-Julien est une zone de fabrication de pièces d'horlogeries pour les industries de Genève; on y compte, signe d'une activité routière conséquente, sept hôteliers et deux cabaretiers. La cité retrouve son rôle de sous-préfecture en 1860 avec le rattachement de la Savoie à la France et après un premier et bref épisode entre la Révolution française et la fin du Premier Empire. Au cours de cette dernière période, toute la région genevoise est d'ailleurs française depuis 1798 sous le nom de département du Léman.

Aujourd'hui, c'est à Saint-Julien que se croisent les routes d'Annecy (N201 historique, D1201), de Seyssel et de Bellegarde (N206 historique, D1206). Aux temps gallo-romains, le carrefour entre les voies de Vienne (par Frangy) et de Chambéry se faisait plus loin de Saint-Julien; la chaussée venant d'Annecy descendait le Mont-Sion par Le Chable, Neydens et rejoignait Genava par Lancy et Carouge. C'est seulement là que cette voie retrouvait la chaussée en provenance de Vienne. Plus tard, au Moyen-Age et jusqu'au XVIIe siècle, le trafic Annecy-Chambéry-Genève allait se concentrer sur la voie passant par le défilé de Chaumont pour rejoindre ensuite L'Eluiset et Viry (en fait, la RN92 historique...).

La route entre Annecy et Genève
(l'ancienne N201) passant par Cruseilles fut, elle, grandement améliorée au XIXe sous le régime sarde: entre 1815 et 1850 eurent lieu de grands travaux qui améliorèrent son état, notamment au passage des Usses, au Pont-de-la-Caille. Dès lors, les anciennes routes furent abandonnées à son profit. Mais prenons maintenant la direction de Viry, point de départ officiel de la RN92 historique de 1959. C'est une commune, nous dit le site municipal viry74.fr, fort étendue et qui comporte douze hameaux: comme le Fort, qui tient son nom d'une fortification construite au XVIe siècle par le duc de Savoie puis ravagée par Henri IV, l'allié des Genevois en 1601; ou comme l'Eluiset, situé au pied de la montagne de Sion, qui hébergea d'ailleurs le roi de France pendant ses opérations militaires dans la région.

Peu après L'Eluiset, on grimpe gentiment en ligne droite en direction de Jonzier-Epagny. Derrière nous, la vue est large sur le Jura et la région de Genève. La montagne de Sion, sur laquelle la chaussée est établie est un plateau peu élevé (821 m); c'est en fait la moraine du gigantesque glacier du Rhône, poussée ici par les glaces il y a 10 000 ans. Les communes de Jonzier (sur la route principale) et d'Epagny (plus à l'ouest) ont réalisé leur fusion en 1866, six ans après le rattachement de la Savoie à la France. Les bureaux de vote, nous précise l'encyclopédie en ligne Wikipédia sont restés séparés jusqu'en 1989!

La route nationale 92 historique prend la direction de Frangy. Photo: Marc Verney, juillet 2011.

La voie (auj. D992), dès lors, après avoir longé Minzier, croise la route de Marlioz (D7) au niveau de Pont-Fornant. C'est ici qu'arrivait avant 1830 le chemin d'Annecy à Genève en provenance de La Balme et Sallenoves; il traversait Marlioz (étape à l'auberge du Lion d'or) après un trajet virevoltant dans les monts environnants. Ce n'est que plus tard que les Sardes aménagèrent le passage du pont des Douattes, ce qui fit passer le trafic par Frangy où un pont plus pratique avait été réalisé au XVIIe siècle.

Mais, auparavant, nous voici aux environs de Chaumont après avoir passé le Malpas. Le village, adossé à la montagne de Vuache, a eu par le passé une grande valeur stratégique et administrative, en raison de sa situation sur l'axe Genève-Seyssel. Le bourg a même hébergé, jusqu'au XVIIIe siècle, un trafic semi-clandestin fort lucratif de blé de France en direction de Genève. Les récoltes, qui arrivaient d'une enclave savoyarde en France, la vallée de la Valserine, transitaient par Chaumont avant de gagner leur destination. Le rattachement, en 1760, de la Valserine à la France fit rapidement décliner ce trafic. Au XIXe siècle, Chaumont perd de son importance au profit de Frangy...

Peu après le Malpas. Photo: Marc Verney, juillet 2011.
Ancienne signalisation directionnelle vers Minzier. Photo: Marc Verney, juillet 2011.

Une descente assez forte nous emmène vers Frangy. Au début du XIXe siècle, la petite cité, qui produit pourtant depuis le XIVe siècle un vin blanc réputé, ne dispose que de peu d'accès vers l'extérieur: la route de Seyssel, celle de Genève par Chaumont et celle de Chambéry par Rumilly. L'axe Annecy-Bellegarde n'existe tout simplement pas. Un homme, Claude-François Bastian, va donner à Frangy la place qu'elle a aujourd'hui. Riche notaire et avocat, il va militer dès avril 1830 pour le développement des communications dans la région et notamment l'établissement d'une route entre Annecy et Bellegarde par sa cité. Agé de 70 ans, l'homme ne verra pas la réussite de son projet, achevé par son fils, Claude-Pie-Amédée, qui vient à bout de la principale difficulté du parcours, la gorge des Douattes où coulent les Usses. Un pont, construit avec peine par l'ingénieur Mollot, enjambera les Usses en mai 1838 (deux précédents ouvrages s'écroulèrent en 1833 et 1835).

Sur les murs d'une ancienne auberge à Seyssel (Haute-Savoie). Photo: Marc Verney, juillet 2011.

Du coup, Frangy verra le trafic s'accroître; au XXe siècle , ce sont les skieurs montant dans les stations alpines qui font le bonheur des hôteliers et restaurateurs de la petite cité... La gazette de Frangy autrefois nous signale un Frangypan pionnier de l'auto: Armand Bange se fabriqua sa propre voiture au début du XXe siècle et remporta plusieurs épreuves internationales dans les années vingt. On sort de Frangy par l'ancienne nationale 508 (D1508) et on bifurque en direction de Seyssel peu avant Mons.

La route de Seyssel suit, dans le vert et productif val des Usses, un itinéraire commercial fort fréquenté entre le Rhône et Frangy, aménagé dès 1760 et jusqu'au XIXe siècle par l'Etat sarde. Plusieurs ouvrages d'art furent construits tout au long du parcours, mais, c'est seulement en 1842, nous précise Paul Dufournet dans son livre Pour une archéologie du paysage, Bassy et alentours, que la route actuelle fut établie sur la berge des Usses, en finissant avec de médiocres chemins pouvant même suivre le lit des rivières.

Un port de commerce sur le Rhône: le Regonfle
Au confluent du Rhône et des Usses se trouvait un vaste bâtiment, aujourd'hui noyé par l'élevation du cours du Rhône, en 1951. Là, sur cette langue de terre, se situait l'un des havres les plus importants approvisionnant Genève. Durant des siècles, les marchandises les plus diverses mais aussi le sel, transitaient par le port de Regonfle avant de gagner Genève et la Suisse par la route de Frangy. Plus à l'est, à Desingy, on a retrouvé de nombreuses traces de l'ancienne voie romaine Seyssel (Condate) à Genève. C'est par là aussi que passait très certainement, au Moyen-Age, le précieux sel.

La route nationale 92 historique longe une usine qui utilise l'énergie hydraulique pour produire de l'électricité. Son érection a submergé l'ancien port du Regonfle. Photo: Marc Verney, juillet 2011.

Seyssel (Haute-Savoie) s'annonce au bout d'une lente descente vers le lit du Rhône. La cité a, très tôt, joué un rôle majeur dans les liens commerciaux entre Lyon et Genève. Condate, le noyau romain de Seyssel (au sud de l'actuel bourg) est ainsi signalé sur tous les itinéraires de l'Empire romain comme une station principale entre Vienne et Genève. Et puis c'est la puissante compagnie des nautes de Lugdunum qui se charge, au 1er siècle, de l'aménagement du port de Condate (qui n'est pas le Regonfle d'ailleurs).

Le traité de Lyon en 1601 change une première fois la politique locale: le Bugey, la Bresse et sept localités têtes de pont sur la rive gauche du Rhône (dont Seyssel) passent au royaume de France. Du coup, la ville a le triste privilège de voir passer les armées royales à chaque invasion de la Savoie: Louis XIII en 1630-31, Louis XIV, de 1690 à 1699 et de 1709 à 1712... Plus tard, en 1760, un nouveau traité entre la France et le Piémont-Sardaigne fait passer la frontière au beau milieu du Rhône... De là datent les "deux" Seyssel, Haute-Savoie et Ain...

Après une brève réunification entre 1792 et 1815, les "deux" Seyssel se rabibochent en 1860, lors du rattachement de la Savoie à la France (ouf!). Mais l'activité portuaire évoquée prédécemment pâtit de ce rapprochement. Seyssel se trouve hors de la zone franche qui alimente Genève. Dès lors, l'intérêt du port de Regonfle ainsi que de la route des Usses diminuent rapidement. La mise en place du chemin de fer accentue encore ce déclin.

La cité de Seyssel (Haute-Savoie) sur le Rhône. Photo: Marc Verney, juillet 2011.
Seyssel, un pont trop long?
Pas facile d'établir un ouvrage sur le tumultueux Rhône! Il n'est pas sûr, nous dit L'histoire des communes savoyardes, que les Romains aient pu réaliser ici un pont. Un simple bac semblait faire la liaison entre les deux berges. Puis, ce sont des ouvrages en bois qui sont construits, détruits, et refaits en 1674, 1764, 1765, 1780, 1795, 1823... Le plan de 1760 montre quand même l'ingéniosité des hommes de l'époque: sans béton ni acier spécial, ils réalisent un franchissement en bois en quatre parties reposant sur des points fixes (pile ou culées) et sur une "brisolette", un échafaudage de bois lui même déposé sur des "ponelles". Celles-ci sont arrimées avec des cables à la pile centrale et aux deux rives. Malgré un renforcement par des pieux posés dans le lit du fleuve, ce pont de bois sera dévasté par un ouragan en 1764... Plus tard, en 1815, le pont sera incendié par l'armée française retraitant devant l'envahisseur autrichien. En 1823, Sardes et Français unissent leurs efforts. Mais c'est encore un échec qui aboutit finalement en 1838 au pont suspendu tel que nous le connaissons aujourd'hui. A noter que celui-ci reprend appui sur l'ancienne pile totalement reconstruite pour la circonstance. Ce pont a été longtemps doublé d'un ouvrage provisoire avant la création de l'ouvrage contemporain qui rejette la circulation de transit au sud de la petite ville.
Le pont de Seyssel sur le Rhône. En face: Seyssel (Ain). Photo: Marc Verney, juillet 2011.
Seyssel et son pont en 1837. Fresque peinte sur un des murs de la ville. Photo: Marc Verney, juillet 2011.

Marc Verney, Sur ma route, septembre 2011


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