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La D6014 (ancienne R.N.14 historique) à la sortie de Suzay (photo: Marc Verney, mars 2014).
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PERIPHERIQUE PARISIEN: L'ANNEAU MAJEUR
Avant
de sortir de Paris, un petit tour sur le boulevard périphérique
de la capitale? On y rencontre du béton, du métal et du plastique.
Des gens, aussi... (lire) |
La route nationale 14 s'extrait de Paris au niveau de la porte de Clignancourt. En ce mois de juin 2016, les lourdes machines de travaux publics s’apprêtent à mettre à bas la trémie du boulevard Ney qui permettait aux quatre-voies des Maréchaux de se faufiler sans encombres en direction de la porte de saint-Ouen. Place au tramway, désormais… Ces souterrains furent principalement créés dans les années trente grâce au plan Marquet de lutte contre le chômage. Chaque porte importante, nous dit Mathieu Flonneau dans une passionnante étude sur ce coin de Paris, intitulée «Du profil de la rue à la forme de ville: l'intégration parisienne du XVIIIe arrondissement (1860-1940)», fut aménagée «avec des passages souterrains dotés d'un système d'éclairage intérieur constitué de tubes luminescents permettant d'éclairer graduellement la chaussée». C’est l’avenue de la Porte-de-Clignancourt qui nous amène jusqu’au boulevard périphérique. Au XVIIIe siècle, constate-t-on sur la carte de Cassini publiée par l’IGN, on ne voit aucune chaussée «montant» en direction du carrefour Pleyel et d’Epinay par les bords de Seine. Tout le trafic passe par Saint-Denis et oblique par la suite vers l’ouest au niveau de la place du Général-Leclerc, autrefois dénommée «le Barrage» (car là se trouvait l’octroi et le fort de la Double-Couronne, protégeant les approches de la capitale française). La route allant du «Barrage» à Epinay fut numérotée R.N.14A (aujourd’hui R.N.214). A noter qu’en 1928, le Guide Bleu des environs de Paris indique qu’il est «plus direct et plus agréable» de sortir de la capitale «par Neuilly et le rond-point de la Défense d’où la route n°192 qui passe au pont de Bezons, va rejoindre directement la route n°14 à la Patte-d’Oie d’Herblay».
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Les souterrains des boulevards des Maréchaux à Paris laissent peu à peu la place au tramway (photo: Marc Verney,
juin 2016). |
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A Paris, les indications R.N.14 s'arrètent au pied du périphérique (photo: Marc Verney,
juin 2016). |
Nous voilà maintenant sur l’avenue Michelet à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Nul trace d’un réseau routier dense et organisé sur la carte d’état-major du Géoportail de l’IGN (XIXe siècle): on remarque, traversant la plaine en provenance de l’Ile-Saint-Denis, un chemin des Fruitiers ou encore un chemin des Poissonniers… Aujourd’hui, à gauche de la chaussée (D14), se trouve le célèbre marché aux puces. Après le conflit de 1870, découvre-t-on sur le site saint-ouen.fr, «des chiffonniers installent leurs campements et leurs baraques dans la plaine des Malassis, un terrain recouvert d'une herbe rase qui s'étend entre les fortifications de la ceinture militaire et les premières maisons de Saint-Ouen». En 1891, l’avenue qui mène au carrefour Pleyel existe bel et bien, puisque, toujours selon le site municipal, «un droit de stationnement est demandé aux marchands qui déballent tous les dimanches leur bric-à-brac et leur ferraille sur les trottoirs de l'avenue Michelet». L’industrialisation de la cité est en marche à cette époque, favorisant le développement des infrastructures routières et ferroviaires. On passe de 24 sites industriels en 1860 à 121 en 1880. Trois branches d’activités dominent à Saint-Ouen: la chimie et la parachimie, la métallurgie et le secteur énergétique. Au Carrefour Pleyel (la fabrique des fameux pianos s’y trouve de 1867 à 1961 -ciren.org), la R.N.14 historique croise l’ancien chemin des Poissonniers (première mention vers le XIVe siècle) et la «route de la révolte», réalisée au milieu du XVIIIe siècle, sous Louis XV entre Saint-Denis et Versailles. On dit que le roi cherchait ainsi à éviter de passer par le centre de Paris, de peur des révoltes populaires…
Au niveau de l'Ile-Saint-Denis, on longe un peu la Seine mais l'eau y est souvent aussi grise que le ciel.... L'histoire du lieu, souligne Topic Topos, nous est connue depuis le Xe siècle. En effet, à cette époque, il appartient à un certain Hugues Basseth, qui y possède une forteresse construite sur l'île du Châtelier par Charles le Chauve. Il s'agit d'empêcher les Normands de remonter la Seine... Ce fut, au XIXe siècle, une commune rurale, créée à la faveur, nous dit le site parcsinfo.seine-saint-denis.fr, du «regroupement de quatre îles, les îlots des Vannes, du Chastellier, dit de St-Ouen, de Saint-Denis et du Javeau». La venue des peintres impressionnistes comme Sisley ou Manet, les nombreuses guinguettes en font un lieu fort apprécié des Parisiens… La situation privilégiée de la commune fait que l’on y trouve aussi à l’époque un important port fluvial, l’aboutissement naturel de la remontée de la Seine depuis Rouen. Des ponts suspendus sur la Seine, construits en 1844 et 1856 permettent de joindre l’Ile-Saint-Denis à Saint-Denis et à Gennevilliers, puis à Saint-Ouen (nouvel ouvrage en 1905).
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Le carrefour Pleyel en 1922. La R.N.14 longe alors la célèbre fabrique de pianos (carte postale ancienne éditée par CAF publiée dans Wikipédia et signalée libre de droits). |
Plus loin, la route nationale 14 historique traverse le canal Saint-Denis (6,6 km de longueur) au niveau de son embouchure avec la Seine. Cet ouvrage, achevé en 1821 a été totalement reconstruit entre 1890 et 1895 (paris.fr). Il relie la Seine au canal de l'Ourcq. A la fin des années 90, il a été d’une grande utilité pour la réalisation du Stade de France (mais c’est une autre histoire)… Un plan du début du XXe siècle publié sur la page Wikipédia du fort de la Briche, situé tout à côté, montre bien le pont sur le canal et une chaussée menant à Epinay, mais on y comprend aisément que le trafic principal vers la route de Rouen passe toujours par la R.N.1, le carrefour du «Barrage» et la R.N.14A. On laisse maintenant ce fort (construit vers 1840) sur la droite et l’on rejoint l’avenue de la République au niveau du carrefour des Mobiles (qui commémore les affrontements franco-prussiens de novembre 1870 dans la région). La rue de Paris était l’ancienne traverse d’Epinay-sur-Seine. L’urbanisation effrénée des années cinquante, soixante et soixante-dix a laissé des traces… On contourne le centre-ville par l’avenue De-Lattre-de-Tassigny depuis 1951 (Wikisara). Difficile d'imaginer qu'avant la révolution industrielle, il y avait ici des fermes, quelques auberges et des maisons de plaisance où séjournaient à la belle saison de riches Parisiens, comme le raconte le site communal epinay-sur-seine.fr... En passant par le quartier d’Epinay dit du Cygne-d’Enghien, la route nationale 14 historique effleure Enghien-les-Bains (son casino, son lac…). A Saint-Gratien (Val-d’Oise), voilà le quartier de la Vache-Noire et son carrefour aménagé dans les années 80.
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Carte de la route nationale 14 en 1933. On note que le tracé va de Paris au Havre sans interruption (source: Carte des voies à grande circulation, éditée par le Laboratoire de médecine expérimentale). |
A Sannois, lit-on sur le site valmorency.fr de l'Association pour la promotion de l'histoire et du patrimoine de la vallée de Montmorency, « avant la forte urbanisation du XXe siècle», l’habitat se répartissait «d’une part près de l’église, le long du vieux chemin (ancienne voie gauloise) joignant Paris à Argenteuil et Ermont pour rejoindre l’oppidum gaulois du camp de César à Taverny et, d’autre part le long de la route royale, dite du Grand chemin de Paris à Pontoise (actuelle D14) reliant Paris à Rouen». sur le tracé ancien -virevoltant entre vignobles et jardins- on trouve trois auberges, la Belle Etoile (le relais de poste), les Trois Lanternes et la Croix d'Or (ville-sannois.fr). Ici, la R.N.14 historique côtoie la «chaussée Jules-César», l’importante voie gallo-romaine de Paris à Rouen (Rotomagus) qui, à lire Georges Reverdy dans son Histoire des grandes liaisons françaises, «quittait l’île de Lutèce par l’actuelle rue Saint-Denis (…) pour gagner le site de Saint-Denis, et de là, par Ermont où l’on a retrouvé des traces de chaussée antique et par Pierrelaye, dont le nom évoque quelque milliaire, elle atteignait Pontoise»…
Le boulevard Gambetta nous emmène vers Franconville, qui se trouve au pied de la forêt régionale des Buttes du Parisis. C’est vrai qu’ici, la route est désormais boudée par les automobilistes qui lui préfèrent la moderne A15. Ils évitent ainsi le célèbre carrefour de la Patte-d'Oie d'Herblay, qui fut équipée dans les années 70 d’un autopont permettant de «survoler» les embouteillages fréquents... Jusqu'à Pontoise, porte du Vexin, la nationale déclassée porte le numéro D14. Le Guide Bleu des environs de Paris (1928) précise que la route traversait alors «une plaine aride aujourd'hui fertilisée par l'épandage des eaux d'égout de Paris»... Ouais… aujourd’hui, ce sont les enseignes de la grande distribution qui y «fertilisent» le paysage… Avant de franchir l’Oise, la route traverse le bourg de Saint-Ouen-l’Aumône. La petite ville tire son nom de l'évêque de Rouen et conseiller de Dagobert Ier, dont le corps est resté une nuit durant en ce lieu en 683… C’est aussi devenu, dès le XIe siècle, un important relais sur la chaussée de Normandie en marge de l’abbaye de Maubuisson (Nouveau Guide du Vexin français). Wikipédia nous cite plusieurs lieux-dits composant cette commune, dont notamment «la Haute-Aumône au centre, à la limite du plateau du Parisii sur la route de Paris» et «le faubourg de la Basse-Aumône, au débouché de la route surélevée, sur pilotis puis sur petites arches en pierre menant au châtelet puis, plus tard à l'octroi du pont de Pontoise». En ces lieux, nous raconte l’ouvrage Un siècle à Saint-Ouen-l’Aumône, «la R.N.14 qui va de Paris à Rouen sera célèbre pour ses bouchons de fin de journée jusqu’en 1971, date de franchissement de l’Oise par l’A15».
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Le pont sur l'Oise (photo: Marc Verney, juin 2016). |
Avant d’entrer dans Pontoise, il nous faut enjamber la rivière Oise. Les Gallo-Romains passaient à gué, un peu au sud de l’emplacement du pont actuel, entre le quartier de l’Eglise à Saint-Ouen et le plateau Saint-Martin à Pontoise. On voit très clairement le tracé de la voie Jules-César sur la cartographie IGN publiée sur le Géoportail… Pour traverser à pied sec, il y aura par la suite un pont de bois (pas de date…) puis, nous dit Pontoise, 2000 ans d’histoire, «un pont de pierre aux arches inégales» qui existe dès la fin du XIe siècle. L’ouvrage survivra jusqu’au XIXe siècle; on y réalisera une nouvelle traversée en pierre, puis une construction métallique à l’orée du XXe siècle. La Deuxième Guerre mondiale a raison du pont métallique qui cède sa place à un passage provisoire en bois jusqu’en 1947, date d’inauguration de l’ouvrage actuel. Quelques mots sur Pontoise: le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911) divisa le Vexin en deux parties, la française, avec Pontoise, Poissy, Mantes, et la normande, avec Gisors et les Andelys. Mais la ville fut élevée au rang de résidence royale avec Louis le Gros et devint commune en 1188 avec Philippe Auguste. Saint Louis y habita. La cité fut l'objet de durs combats pendant la guerre de Cent ans. A noter que Pontoise a vu naître le duc de Bourgogne Philippe le Hardi (1342-1404). Placée à sept lieues de Paris, «Pontoise était une ville de passage dès le XVIe siècle. Les marchands enrichis par le commerce du blé, du vin, du bois ou du bétail aimaient à se retrouver à l’hôtellerie des Deux-Anges ou à l’hôtel de l’Escu», raconte encore Pontoise, 2000 ans d’histoire. C'est aussi de cette cité que part l'ancienne nationale 15 (D915), la route de Dieppe. Au sortir de Pontoise, la R.N.14 historique suit un temps la «chaussée Jules-César» qu’elle va finalement laisser partir sur la droite au niveau du lieu-dit La Croix-Rouge. Ce n’est pas l’itinéraire des siècles passés qui traversait, lui, le centre-ville. Comme nous le montre la carte d’état-major du XIXe siècle publiée sur le Géoportail de l’IGN, la chaussée de Rouen longe Puiseux au niveau du lieu-dit Le Point-du-Jour. Aujourd’hui, ces terre agricoles ont été «mangées» par l’agglomération nouvelle de Cergy-Pontoise, née en 1969.
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R.N.15:
UN TOUR DANS LA MANCHE...
La route de Paris à Dieppe file droit dans un bouton...
avant de tomber dans la Manche! Ce n'est pas une plaisanterie, voyez
plutôt... En route pour 135 km d'aventures. (lire) |
Nous voici dans le parc naturel régional du Vexin français. La région est un vaste plateau calcaire à vocation agricole surmonté de buttes boisées et à l'altitude variant de 100 à 140 m environ. La voie de communication principale, la chaussée Paris-Rouen y est extrêmement rectiligne, hormis à Magny-en-Vexin et dans le passage des vallées de l’Epte et de l’Andelle. Jusqu’à Magny, la voie moderne n’est pourtant pas fidèle au tracé romain -entrepris dans le premier quart du Ier siècle (rien à voir avec Jules, donc!!)- qui passe au nord, à la Briqueterie de Puiseux, non loin de Courcelles-sur-Viosne, dans le bois du Louard, à Gouzangrez, au Tillay et, finalement à Arthieul. Plus tard au Moyen-Age, nous dit Sandrine Robert dans une excellente étude consacrée à la «chaussée Jules-César», la voie romaine, difficile d’entretien et éloignée des centres, se voit supplantée par plusieurs tracés de «vieux chemins» qui zigzaguent entre les villages. Le passage par Villeneuve-Saint-Martin, «antérieur à la construction de la route royale», visible sur des cartes du début du XVIIIe, serait d’ailleurs à l’origine de la création, vers le XIIIe, de ce petit bourg, fortement configuré par la route. Aux XVIe et XVIIe siècle, poursuit Sandrine Robert, «le tracé de la route de poste Paris-Rouen mentionné sur La Guide des chemins de France (…) est constitué par l’association de différents tronçons issus des routes précédentes. Au XVIIIe siècle, c’est cet assemblage qui est repris par la route royale». Puis par notre R.N.14 historique! Vers Cléry, le hameau des Tavernes doit, bien évidemment, son nom aux «services» rendus aux voyageurs marchant sur ce «vieux chemin» moyenâgeux, dont un document publié par le Service départemental d’archéologie du Val-d’Oise nous précise sa configuration: «Large d’environ 5 m, (…) il n’avait ni radier ni couche de formes, mais une simple bande de roulement empierrée».
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Tracé de la route royale entre Pontoise et Saint-Clair-sur-Epte (source: Le Conducteur français, 1776). |
La route arrive aux abords de Magny-en-Vexin. Indiquée au IVe siècle sur la table de Peutinger, Magny est une halte significative aux abords de la chaussée Paris-Rouen. Les seigneurs de Villeroy, nous raconte le site magny-en-vexin.fr, obtiennent la création de deux grandes foires à la fin du XVe siècle, ce qui apporte activité et richesse à la ville. Sous l’Ancien Régime, lit-on dans l’ouvrage Magny-en-Vexin, des origines à 1914, la cité «était donc toujours un lieu de passage très fréquenté, où transitaient les marchandises, les grains en particulier, destinés à l’approvisionnement de Paris et des grandes villes proches». Cependant, dès le XVIIIe siècle, la route «d’en haut» par Pontoise ne cesse de perdre du trafic au profit de la route «d’en bas» par Mantes-la-Jolie, Vernon et Pont-de-l’Arche (R.N.13 et 13bis de 1959). En 1761 et 1763, des rapports sont donc écrits afin d’envisager un nouveau tracé plus efficace. Magny-en-Vexin, des origines à 1914 nous indique que les travaux allaient débuter à partir de 1764 dans la généralité de Rouen mais la traverse de Magny allait encore poser problème puisque l’entrée dans la cité «nécessitait l’établissement d’une tranchée et d’un remblai aboutissant au carrefour de la Demi-Lune». En 1774, le pavage de la nouvelle voie était achevé… Il ne restait alors plus qu’à détruire l’ancienne porte de Paris et à installer dès 1778 les deux piliers encore présents. A l’intérieur des murs, l’alignement imposé par le nouveau tracé allait causer bien des soucis aux habitants jusqu’aux derniers jours de l’Ancien Régime… Reste encore la difficulté de la rampe de Saint-Gervais, qui «resta jusque dans les années 1840 un cauchemar avec une pente qui pouvait atteindre jusqu’à 11 cm par mètre», précise-t-on dans l’ouvrage de Roland Vasseur et Françoise Waro… Sous l’Ancien Régime, «La grande route de Rouen était pavée de Paris à Magny et principalement empierrée au-delà avec des besoins généralisés de réparations», nous précise Georges Reverdy.
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Au passage de l'Epte à Saint-Clair (photo: Marc Verney,
septembre 2008). |
Il y a une dizaine de kilomètres jusqu’à Saint-Clair-sur-Epte. Il faut tout d’abord passer par La Chapelle-en-Vexin. En ces lieux, chaussée Jules-César, voie royale et route moderne se confondent. À Saint-Clair, selon une étude de Pierre Ouzoulias («Eudes Rigaud et le "vieux chemin" Paris-Rouen»), les multiples bras de l’Epte étaient enjambés par une série de ponts mentionnés pour la première fois dans un acte de 1221. L’un d’eux s’appelait d’ailleurs le pont des Marchands. L’existence d’un péage est assurée dès 1232. Auparavant, nous dit Sandrine Robert dans son étude sur la chaussée Jules-César déjà citée, la voie romaine traverse l’Epte à gué à l’endroit où les eaux se séparaient «en deux chenaux». De même, la descente ne suit pas les larges boucles de la R.N.14 historique, mais, précise encore Sandrine Robert «on a relevé, dans le prolongement du tracé antique, un tronçon de chemin entaillant profondément la falaise de craie». De l’autre côté de la rivière, nous voici en Normandie, dans le département de l’Eure, une très ancienne frontière… Un traité est signé dans ce petit village en 911 (on en a déjà parlé) entre le roi de France Charles III le simple et le chef viking Rollon… qui obtient tous les territoires à l’ouest de la rivière Epte. Des années de rivalités franco-normande puis anglo-française en découlent… La départementale 146E a remplacé la R.N.14 historique dans cette courte traversée… Voilà le hameau des Bords-d’Eau-de-Saint-Clair… On remonte sur le plateau en direction des Thilliers-en-Vexin. Là, sur la route du Relais, on croise la chaussée de Vernon à Gisors (ancienne R.N.181). Notre voie Paris-Rouen s’appelle maintenant D6014.
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Ancienne plaque de cocher de la R.N.14 à Richeville (Petit-Suzay) (photo: Marc Verney,
mars 2014). |
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Anciens panneaux Michelin de la R.N.14 à Ecouis (photo: Marc Verney,
janv. 2007). |
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Anciennes
indications de la N14bis à Etrépagny (photo: Marc Verney,
janv. 2007). |
A Ecouis, on note l'embranchement de notre R.N.14 historique avec l'ancienne R.N.14bis, dont de vieux panneaux demeuraient encore à Etrépagny, lors de mon premier passage en janvier 2007. Au XIXe siècle, la commune d’Ecouis, qui vit principalement de la route, comprend «9 débits de boissons, 2 hôtels restaurants, 3 épiceries, 2 garagistes, charron, bourrelier, cordonnier, grainetier, quincaillerie, 2 couvreurs, 3 maçons, menuisiers et même un photographe», lit-on dans L'Andelle et ses plateaux, ouvrage cité par Wikipédia. La longue ligne droite que nous suivons depuis Saint-Clair ne s’interrompt qu’à Grainville, un bourg dominant la vallée de l’Andelle. Là, la chaussée moderne descend au niveau de la rivière grâce à deux importants virages. La voie romaine, elle, nous indique le livre Histoire de la ville et des environs d'Elbeuf, qui évoque les voies de communication de la Normandie, «montait la côte de Grainville par une cavée, aujourd'hui devenue ravine». C’est au village de Radepont, un peu plus au sud, que l’on situe cependant le passage antique et médiéval de l’Andelle (association-patrimoines.fr). Dès la fin de l’Ancien Régime, la région s’industrialise rapidement, profitant du cours d’eau. Ainsi, le bourg de Fleury voit-il en 1821 l’installation d’une imposante filature. «Le grand chemin de Paris à Rouen qui traversait le village, nous explique le site fleury-sur-andelle.fr, avait favorisé l'implantation de plusieurs hôtelleries; l'une d'elles, à l'enseigne du Bras d'or, fut détruite par un violent incendie qui a dévasté le village en 1689. Le trafic de voyageurs et de rouliers justifiait la présence quotidienne d'une centaine de chevaux sur le territoire de Fleury, ce qui occupait des artisans spécialisés: charrons, bourreliers, forgerons. A la BNF, Gallica nous montre une belle «carte topographique du chemin de la montagne de Fleury, à cinq lieues de Rouen». Daté de 1760, ce document montre avec précision le «chemin qui descend le long de la côte qu'il faut rétablir en comblant les creux et les ravins qui le rendent impraticable»...
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Carte de 1760 montrant les projets de passage de l'Andelle à Fleury (source: Bibliothèque nationale de France, par Gallica; document signalé libre de droits). |
Après Fleury, on remonte en direction de Bourg-Beaudouin, traversé par la route de Paris. En 1909, voit-on dans les Rapports et délibérations du Conseil général de l'Eure, le préfet propose le «classement en chemin vicinal ordinaire» de la «vieille côte abandonnée de Fleury-sur-Andelle-Vandrimare, route nationale n°14, de Paris au Havre, dont la rectification remonte à plus de 20 années». A noter qu’ici, la chaussée gallo-romaine se désolidarise de notre voie plus moderne en passant par La Neuville-Chant-d'Oisel et recroisant la R.N.14 à Boos (Seine-Maritime). La descente sur Rouen est spectaculaire: de larges virages nous rapprochent peu à peu de la cité, située en contrebas, dans une boucle de la Seine. Ici, nous dit Georges Reverdy, dans son livre Histoire des grandes liaisons françaises, au XIXe siècle cela fait longtemps que, «sur le plateau près de Rouen, l’ancien tracé du XVIIIe siècle par Franquevillette (on y voit une rue de l’Ancienne-Poste), Les Faux et Saint-Pierre-de-Franqueville a été abandonné au profit de la nouvelle route par Boos, rejoignant la précédente au Mesnil-Esnard». Quant au difficile pourcentage de la côte de Bonsecours, les travaux d’adoucissement, nous dit encore Georges Reverdy, s’ils ont été amorcés à la fin du XVIIIe siècle, ont été menés «dans le cadre de la politique générale de la politique d’adoucissement des rampes» au XIXe siècle. Du coup, on voit apparaître, sur la carte d’état-major de 1882 publiée par CartoMundi, le contournement de Blosseville-Bonsecours sur les flancs du coteau dominant la vallée de la Seine. Aujourd’hui, l’ancienne chaussée, appelée «route de Paris» est numérotée D914 alors que la «route Neuve» adoucie porte le n°6014.
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A
gauche, dans le petit bourg de Guiry, peu avant Magny-en-Vexin. On
trouve dans cete région de nombreuses plaques Michelin de ce
type. A droite, le centre-ville de Rouen (photos: Marc Verney, janv.
2007). |
Dès lors, c’est l’entrée dans Rouen. «La ville, écrit Guy de Maupassant dans Bel-Ami, apparaissait sur la rive droite, un peu noyée dans la brume matinale, avec des éclats de soleil sur ses toits et ses mille clochers, légers, pointus ou trapus, frêles et travaillés comme des bijoux géants»… «C'est aux Romains que l'on doit la fondation au premier siècle d'une ville (Rotomagus) sur la rive droite de la Seine, site favorable car protégé des inondations et ouvert sur Lutèce et Lillebonne (alors principal port de l’estuaire, NDLR), alors que la rive gauche est marécageuse et les îles instables», nous raconte l'historien Jean Braunstein sur le site rouen.fr. Après la domination normande, au Moyen Age, grâce à un commerce très actif, la cité est la deuxième ville du royaume de France (1204 est l’année de la fin du duché de Normandie). Elle gardera ce statut jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, traversant les vicissitudes de la guerre de Cent Ans (on y brûle Jeanne d’Arc!), des guerres de religion, des épidémies, des incendies... A lire La Haute-Normandie autrefois, la rivalité entre Rouen et Le Havre ne date pas d’hier… Si, avant 1914, la ville du Havre, hormis son formidable trafic voyageurs, s’affirme comme l’un des principaux marchés mondiaux du coton et du café, le site de Rouen reste le second port de France grâce à l’aménagement constant de la Seine. Ainsi, peu avant la Deuxième Guerre mondiale, le port fluvial est relié à la mer par un chenal de 6 mètres de profondeur creusé dans le lit de la Seine… Ce qui autorise les navires de mer à remonter en 7 heures jusqu’à Rouen. Lourdement endommagée durant la Seconde Guerre mondiale (10 000 maisons détruites!), la vieille ville renaît peu à peu de ses cendres autour de l’incomparable cathédrale immortalisée par Monet (28 tableaux!).
La chaussée de Martainville (également écrite Martinville), pavée au début du XVe siècle, est certainement, à lire certains ouvrages historiques, l’une des anciennes entrées de la ville en venant de l’Est: «Ce n'est qu'à la fin du XIIe siècle, apprend-on dans les Recherches historiques sur Rouen, fortifications, porte Martinville, que l'on trouve trace de son existence. Le 10 juin 1195, Richard-Coeur-de-Lion, pour le récompenser de ses service, donne à Geoffroy du Val-Richer un moulin situé sur la chaussée de Martinville. L'ancienne route est très fidèlement tracée par les rues du Mont-Gargan et de Ste-Marguerite, et monte sur le plateau de Bonsecours en longeant l'extrémité est du bois Bagnère. On peut affirmer que c'est au commencement du XVe siècle qu'il (le tracé de la voie, NDLR) a été transporté sur le flanc droit de la côte Ste-Catherine où il passe encore aujourd'hui». Quant au faubourg de Martainville, il «nous offre encore une promenade très agréable, raconte l’ouvrage Lettres sur la ville de Rouen, ou Précis de son histoire topographique, civile, ecclésiastique et politique, depuis son origine jusqu'en 1826, connue indistinctement sous les noms du Cours-Dauphin ou du Chemin Neuf. Ce cours est en même temps promenade et voie publique; il fut commencé en 1693, terminé en 1709 et planté en 1729, année où naquit le Dauphin, fils de Louis XV, et c'est en mémoire de cet événement qu'on lui donna le nom du Cours-Dauphin. Avant la création de cette route, ceux qui venaient à Rouen par Bonsecours ou par Eauplet, étaient obligés d'entrer par la grande rue du faubourg Martinville. Ce cours a été construit sur une partie du Pré-aux-Loups, et a nécessité de grands travaux pour l'élever à la hauteur nécessaire, ce qui a eu lieu avec des remblais provenant de la côte Ste-Catherine, et obtenus au moyen de la sape et de la mine». En 1824, cependant, on voit clairement sur un plan de Rouen consulté sur Gallica que les chaussées de Paris par Vernon et Magny se rejoignent au faubourg d’Eauplet avant de traverser le Champ de Mars (ancien Cours-Dauphin).
En 1959, la route nationale 14 historique s’achève à Rouen, 124 kilomètres après la porte de Clignancourt. Ce n’était pas le cas de la R.N.14 d’avant, puisque, jusqu’au début des années cinquante, son tracé s’étendait jusqu’au Havre, en passant par Yvetot. Ce tracé a été numéroté par la suite R.N.13bis, R.N.15 et D6015 lors du déclassement des nationales au milieu des années 2000.
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R.N.13bis: BELLE MISE EN SEINE
La R.N.13bis est la "route d'en bas", celle qui atteint Rouen par la rive gauche de la Seine, puis se rend au Havre par Yvetot et Bolbec... (lire) |
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R.N.28:
SUS AU NORD!
De Rouen à Bergues, c ’est la «course au Nord», au milieu de paysages de bocage, de «plat pays» sillonné de canaux, de villages de brique... (lire) |
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R.N.30:
LA CONQUETE DE L’EST
Entre Rouen et La Capelle, la R.N.30 historique traverse la France des champs, vaste et sans limites apparentes. Amoureux des cîmes s'abstenir... (lire) |
Marc Verney, Sur ma route, juin 2016
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