Ici, sur les bords de la Meuse, ce sont les Romains, ces grands constructeurs, qui ont d'abord construit une cité appelée Castrice (Castricum) sur une colline blottie dans une boucle du fleuve, non loin de l'emplacement actuel de Charleville-Mézières. Castrice se trouve alors sur la voie romaine reliant Reims (Durocortorum) à Cologne (Colonia Agrippinensium). Cette importante voie arrivait de Fagnon et traversait la Meuse à Warcq. Castricum est cependant détruite au moment des invasions barbares, au Ve siècle. De son côté, Mézières, fondée au Xe siècle, petit bourg actif profite de sa situation sur la Meuse: les marchandises en provenance des pays du nord y sont débarquées puis acheminées jusqu'au XVIe siècle par la route, en Champagne, Bourgogne, Italie... D'un autre côté, cette «voie mosane» est, au XIIIe siècle, la grande voie de transport des vins de Bourgogne qui remontent vers le nord. La cité sera néanmoins ensuite dépassée par Charleville, ville nouvelle créée de toutes pièces au XVIIe siècle par Charles de Gonzague. Charleville, un peu comme les bastides du sud-ouest de la France, est réalisée en suivant un plan géométrique autour d'une vaste place centrale. Charles, un homme avisé, fait venir les habitants en créant une sorte de droit d'asile qui profite notamment aux croyants de religions alors persécutées, juifs, protestants. Au tout début, les terrains sont distribués gratuitement, privilèges et franchises favorisent le commerce... et le tour est joué, Charleville la commerçante devance Mézières l'austère. La ville nouvelle se spécialise dans la production d'armes et la clouterie. Les deux communes sont réunies en 1966 et forment aujourd'hui la première agglomération des Ardennes.
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R.N.51:
LA LOIRE DANS LA MEUSE
La
R.N.51 de 1959 part d'Orléans et poursuit son chemin vers Epernay et Reims, monte vers la Belgique en flirtant avec les boucles de la Meuse à Givet (lire) |
A VOIR, A FAIRE
Il est agréable d'arpenter la place Ducale de Charleville-Mézières, dont certains bâtiments ne sont pas sans rappeler la place des Vosges à Paris; à un angle de la place, le musée de l'Ardenne, expose, sur 3000 m2 l'histoire ancienne de la région. Au bord de la Meuse, le musée Rimbaud (le poète est natif de la ville) est installé dans l'ancien moulin ducal. Enfin, à Mézières, à l'intérieur des remparts, voilà la basilique Notre-Dame d'Espérance (reconstruite après 1950 après avoir été bombardée en 1815, 1870, 1914, 1940 et 1944...). |
On quitte Charleville-Mézières en direction de Flize par l’avenue du Président-Auriol et la rue Jean-Moulin qui se prolonge aujourd’hui par la chaussée de Sedan (D8043a) au travers du quartier de Mohon. Avant la construction des voies du chemin de fer (1858), la carte de Cassini (XVIIIe) publiée par le Géoportail de l’IGN montre que la voie filait tout droit dans Villers-Semeuse (la rue Jules-Guesde) pour se poursuivre avec l’avenue de Turenne (D764). Aux Ayvelles, notre voie longe un vaste fort de type «Séré de Rivières» réalisé entre 1876 et 1878 pour défendre le nœud ferroviaire situé à ses côtés. A Flize, la route nationale 64 historique rencontre une chaussée en provenance de Boulzicourt, «classée par ordonnance du 2 janvier 1858» en tant que route départementale n°7, indiquent les Documents statistiques sur les routes et ponts (1873). Numérotée R.N.64A en 1933, celle-ci, aménagée au milieu du XIXe siècle, doit favoriser le trafic entre Reims et Sedan sans passer par Charleville-Mézières. En ces campagnes ardennaises, les bourgs et villages s'allongent, interminables, le long du bitume. Antan, certains de ces villages-rue répondaient à une organisation stricte de la vie paysanne: les jardins, vergers et champs derrière l'habitat principal et «l'usoir» ou «parge» devant la maison; celui-ci servait de zone d'entrepôt pour le bois de chauffage, le fumier, mais aussi pour les véhicules et outils du paysan. En ce qui concerne le fumier, euh... heureusement, une disposition datant de 1980 interdit désormais son dépôt devant les maisons... On racontait cependant au début du XXe siècle que le fermier le plus riche était celui qui avait le plus grand tas de fumier gisant devant sa ferme... A Flize, les rues de Mézières et de Sedan contournent depuis des lustres le château et traversent le ruisseau de Boutancourt. Le territoire, mentionne Wikipédia, «n'appartient à la France qu'après le traité de Bruxelles du 17 novembre 1769». De l’autre côté de la Meuse, il y a Nouvion et l’importante gare de triage (désaffectée) de Lumes. Celle-ci se trouvait sur l’itinéraire ferroviaire Valenciennes-Thionville, l’un des plus chargé (en fret) dans les années cinquante puisqu’il reliait les bassins houillers et métallurgiques du Nord-Pas-de-Calais aux mines de fer et bassins sidérurgiques de Lorraine. Il n’était pas rare, dit Jean-François Troin dans un article paru en 1957 dans la Revue du Nord, d’y voir circuler «les trains les plus lourds de France (2100 tonnes de charge brute) grâce aux possibilités énormes de la traction électrique que la SNCF a étendu sur une grande échelle aux lignes du nord-est depuis 1954».
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Gros
plan sur la plaque de lave émaillée de Dom-le-Mesnil.
On note sa provenance (affichée en plus gros en dessous
du cliché): St-Martin-lès-Riom dans le Puy-de-Dôme.
Les Ardennais ont le goût des choses qui durent. Photo:
Marc Verney, avril 2011. |
Plus loin, voilà Dom-le-Mesnil et sa célèbre pierre ocre jaune. Cette pierre a été extraite sur la côte de Dom qui domine le village, au sud. Elle a été utilisée pour la construction dans une large partie du département, et notamment la place Ducale de Charleville. Le 14 mai 1940, les défenseurs du village sont submergés par les chars de la 2e division de Panzers qui déferlent sur la R.N.64 (Wikipédia). A Pont-à-Bar, la route, large et facile (lieu-dit le Vieux-Pavé), franchit le canal des Ardennes, mis en service en 1835 (projetbabel.org). Il y avait là, dit Wikipédia, un village, «détruit pendant la guerre de Cent-Ans». Plus tard, ce fut le port d’embarquement et la barrière d’octroi de la navigation fluviale jusqu’à Pont-Bar (Tennay). Plus loin, notre ancienne chaussée du XVIIIe filait tout droit par «l’hôtellerie de Condé» jusqu’aux faubourg de Donchery, un bourg situé sur la rive droite de la Meuse. Ceinturée de remparts, la ville avait, au XIVe, une porte de France donnant au sud et une porte de Bourgogne au nord, donnant sur les Pays-Bas. C’est là, le long de la route impériale (aujourd’hui rue de l’Entrevue) que, dans une modeste maison, Napoléon III et Bismarck se rencontrent à la suite de la désastreuse défaite française de Sedan le 2 septembre 1870 afin de déterminer les modalités de la capitulation (donchery.fr). Avant d'entrer dans la ville de Sedan, la R.N.64 historique (D764) croise ici en 1959 la branche filant vers le sud de l'ancienne R.N.77 de Bouillon (frontière belge) à Nevers (D977) qui était, pour nombre de Wallons et d'Ardennais des années soixante, LA «route du soleil» menant vers le Midi de la France. Sedan... Comment ne pas évoquer cette malédiction française qui a été de perdre par deux fois une guerre contre les Allemands à cet endroit précis... Bon, on ne va pas raconter toute l'histoire -tumultueuse- de la ville! Il faut cependant savoir que, puissamment fortifiée dès le XVe siècle, la cité, devenue haut lieu du calvinisme, fut surnommée un temps «la petite Genève»... Le promeneur des anciennes routes ne peut rater le château, construit à l'origine par les ducs de la Marck. C'est aujourd'hui encore, le plus grand édifice fortifié d'Europe resté debout (il n'a été rendu à la «vie civile» qu'en 1962). Ultime petit rappel historique: septembre 1870, Napoléon III y capitule devant les armées prussiennes, en 1914, la ville est occupée sans coup férir par les troupes allemandes, tout comme en mai 1940, où de durs combats ne ralentissent que peu les blindés du général Guderian qui y percent le front, franchissent la Meuse (à Floing, 5 km à l'ouest de Sedan) et y amorcent la victorieuse campagne de France. Mais c'est l'industrie textile qui a longtemps fait vivre la région. Le guide Michelin de la région nous fournit cette info qui pourra intéresser l'amateur d'anciennes autos: certains constructeurs automobiles américains accolaient le terme «Sedan» au nom de leurs modèles. Il s'agissait-là d'un argument de vente: ces véhicules disposaient de sièges recouverts de toile de Sedan, censée être d'une grande solidité... C'est, en tous cas, dans cette cité que la R.N.64 de 1959 (D8043a aujourd’hui) traverse la Meuse pour s'implanter rive droite du fleuve en passant par le quartier de Torcy. «Les arches de la chaussée de Torcy à Sedan s'achevaient en 1602. (...) C'est l'architecte Jean Lalouay qui les a construites, à raison de 57 sous la toise, et pour une somme totale de 1189 livres et 8 sous», indique l'Histoire du pays et de la ville de Sedan. Mais c'était loin d'être l'idéal. En 1688, voit-on dans le même ouvrage, le roi Louis XIV rendit une ordonnance prescrivant la construction d'un pont entre Torcy et Sedan. La chaussée de 1602 fut donc «remplacée par un beau pont de 29 arches et d'environ 200 mètres de longueur. Ce pont, en rendant la communication plus facile, était d'un immense avantage pour la cité». Puis, en 1845, lors de la fusion des communes de Sedan et Torcy, de nouvelles fortifications voient le jour et une porte monumentale est bâtie sur la route de Paris (nouveau pont sur la Meuse en 1846).
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R.N.77:
AUBE SUR LOIRE...
La
route nationale Sedan-Nevers traverse une grande partie
de l'est de la France. Ardennes, Champagne, Bourgogne... Un
trio de régions pour une superbe promenade! (lire) |
A VOIR, A FAIRE
L'imposant château-fort surplombe la ville de ses vertigineuses murailles de pierre. Il pouvait héberger jusqu'à 4000 soldats. Différents circuits de visite permettent d'en apprécier l'ampleur. C’est en 1424, lors du rachat de la seigneurerie de Sedan à Guillaume de Braquemont, son beau-frère, explique le site chateau-fort-sedan.fr, qu'Evrard de la Marck fait réaliser un premier château englobant un prieuré. Cette bâtisse, de forme triangulaire allait être agrandie par les descendants d'Evrard, faisant du château le plus grand d'Europe, avec 35.000 m2 de superficie. Au XVIe siècle, Sedan est une principauté, entre royaume de France et Saint-Empire romain germanique. En 1642 cependant, Frédéric-Maurice de la Tour d'Auvergne participe à la conspiration de Cinq-Mars contre le cardinal de Richelieu et est obligé, pour sauver sa tête, de donner Sedan à la France, qui en fera une formidable place-forte... hélas totalement incapable de protéger le pays au fil des conflits qui ravageront la région! |
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Les
plaques de lave restent bien fixées aux murs, même
refaits. Un petit patrimoine routier qui ne va pas disparaître
du jour au lendemain. Un exemple à suivre. Photo: Marc
Verney, avril 2011. |
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Plan
rapproché sur la plaque de lave de Volvic de Bazeilles.
Photo: Marc Verney, avril 2011. |
«Les rues de Sedan sont en général propres, droites et larges; elles sont bien pavées et formées par des constructions élégantes, spacieuses et bien distribuées» écrit Charles Pranard, auteur en 1842 de l’ouvrage Sedan pittoresque. La nationale 64 historique rejoint le faubourg du Ménil et prend la direction de Balan. Sur la carte de Cassini (XVIIIe siècle) publiée par le Géoportail de l’IGN, c’est le «chemin de Montmédy». C’est aujourd’hui la départementale 8043a. Sur cet ancien tracé, nombreuses sont les anciennes plaques émaillées de la R.N.64, comme à Balan ou Bazeilles. Ce village aura connu l'un des épisodes les plus intenses de la guerre de 1870: quelques centaines de fusiliers-marins français luttant jusqu'à l'épuisement de leurs munitions contre les soldats bavarois... Voilà pourquoi on y trouve un lieu-dit qui s’appelle les Dernières-Cartouches! Un jour plus tard, Sedan tombait. Et le IIIe Empire avec... Un virage à angle droit et nous voici cap à l’est sur la rue Henri-Dunant (D764 puis D8043) qui se poursuit jusqu’à Douzy par les ponts de la Rulle et de Boulacourt. Là, notre «route de Sedan à Stenay» s'oriente à 90° en direction du sud et franchit la rivière Chiers (pont de «maçonnerie, d’avant le XIXe» dans les Documents statistiques sur les routes et ponts de 1873) pour suivre fidèlement la vallée de la Meuse. La carte de Cassini (XVIIIe siècle) publiée sur le Géoportail de l’IGN montre ici une voie jusqu’à Verdun et suivant les étapes actuelles de la R.N.64 historique (D964). Le premier village traversé dans cette direction est Maisy. La chaussée contourne désormais les maisons (décret de février 1866); on retrouve –à la sortie sud du village- une «rue de l’Ancienne-Route-Royale». Il y a une rectification similaire à la hauteur d'Amblimont: la «route Royale» jouxte le village alors que le nouveau tracé se rapporche de la Meuse. Une entreprise terminée en 1843, mais pour laquelle il «faudra remédier aux éboulements qui se sont manifestés dans un terrain d'argiles fluentes», lit-on dans la Situation des travaux éditée par l'administration générale des ponts et chaussées et des mines. Au loin, se dessinent déjà les premières maisons de Mouzon. Le nom de cette petite cité vient de Moso magos, «marché sur la Meuse», dit le site mouzon.fr. Du traité de Verdun (843) au traité des Pyrénées (1659), ce bourg, qui dépend de l’évêché de Reims, a été une des frontières du royaume de France avec l’Empire germanique. Ultime trace des fortifications érigées au fil du temps: la porte de Bourgogne et son petit musée d'histoire locale. Dans Mouzon, notre chaussée emprunte l’avenue de la Paix alors que l’on voit la «route Royale» faire une large courbe jusqu’au lieu-dit Bel-Air où l’on trouvait le relais de poste. Par ici, lit-on dans le Bulletin des lois de la République française (1843), «la route royale n°64 de Neufchâteau à Mézières, sera rectifiée dans la côte dite la Cardinale, aux abords de Mouzon». La carte d’état-major (1832) au 1:80.000 publiée par CartoMundi montre le passage –à Mouzon- de la «voie romaine de Reims à Trèves» orientée sud-ouest-nord-est.
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La
plaque de cocher de Moulins-Saint-Hubert porte la mention "route
impériale". Photo: Marc Verney, avril 2011. |
A la sortie de Mouzon, la route escalade une colline, puis tourne brusquement sur la gauche, au coeur d'un bois. Les cartes nous montrent encore une belle rectification de l’ancienne chaussée royale; cette dernière coupe au plus court dans le bois avant de redescendre sur Moulins par la «route de Vaux» (Wikisara signale l’année 1844 pour les travaux de réaménagement). C'est là, à la hauteur du site gallo-romain du Flavier que la R.N.64 de 1959 quitte les Ardennes et entre dans le département de la Meuse. Voilà, en bas de la côte, le village de Moulins-Saint-Hubert. Cette localité, signale le site de la communauté de communes, cc-paysdestenay-valdunois.fr, «posséda aussi un prieuré relevant de la grande abbaye bénédictine de Saint-Hubert (Belgique), créé au Xe siècle et qui fut sans doute à l’origine du village actuel». L'endroit fut touché par les combats de la Première guerre mondiale et «subit de nombreuses destructions, dont la mairie-école, reconstruite en 1928 au bord de la route nationale», écrit encore le site de la communauté de communes. Alentours, plusieurs monuments marquent la position des troupes américaines à l’Armistice, le 11 novembre 1918. Plus loin, on «récupère» les bords de Meuse à Inor. Les terribles combats de 1940 autour de Sedan y ont fait d'importantes destructions, mentionne le site cc-paysdestenay-valdunois.fr: «Les Allemands furent retenus aux abords du village pendant près d'un mois, dans ce qu'ils ont appelé "l'enfer vert d'Inor"». Voilà maintenant Stenay. Au haut Moyen Age, souligne cc-paysdestenay-valdunois.fr, la cité est une des résidence des souverains mérovingiens. C’est lors d’un séjour en ces lieux que Dagobert II fut assassiné en forêt de Woëvre, non loin de Mouzay, en 679. «La construction d’une vaste grand-place aux XIIIe et XIVe siècles marque sans doute l’apogée de l’histoire de Stenay. Entièrement bordée de galeries marchandes, aujourd’hui appelées arcades, cette place accueillait aussi une grande halle, le tribunal et le four banal. Elle servait en outre de place d’armes et de place de justice (gibet). Véritable centre commercial, de grandes foires annuelles s’y déroulaient également alors que des banquiers lombards assuraient le change. A cette époque, Stenay était une des villes les plus importantes du duché de Lorraine», rapporte encore le site de la communauté de communes. Puis, «traversant la ville, nous dit le Guide Bleu de 1954, on reprend au sud la R.N.64 qui longe le canal de l'Est de l'autre côté duquel la Meuse s'étale parmi les prairies». On atteint Mouzay, puis Dun-sur-Meuse, cité détruite par le premier conflit mondial (ses ruines ne furent libérées qu'en novembre 1918 par les soldats américains). C’est aux alentours de 1053, qu’un château est construit sur la colline qui domine et verrouille la Meuse. Au XVIe siècle, cette place fortifiée était alors une des clés de la Lorraine avant d’être cédée à Louis XIII en 1633 par le duc de Lorraine, Charles IV. La chaussée s’écarte un peu du canal de la Meuse pour traverser Liny-devant-Dun Puis la route n°64 historique saute une crête avant de redescendre vers Sivry-sur-Meuse. On approche rapidement des lieux ayant vécu les combats de la grande bataille de Verdun en 1916... C'est en effet à Brabant-sur-Meuse, le 21 février de cette année, que se trouvaient les avant-postes français. Autour de la route, chaque village, chaque colline a droit à son monument, à son cimetière militaire, français, allemand, américain... L'émotion étreint le voyageur. Après Samogneux, la route remonte sur une petite côte que les Allemands, nous précise le Guide Bleu, «enlevèrent le 25 février et qui ne sera reprise qu'en août 1917»... C’est la «côte de Talou» où l’on note une importante rectification de la «route de Sedan à Verdun», datée par Wikisara aux années 1844-1845.
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Après
Samogneux, la RN64 historique entre de plain pied dans l'histoire
de la bataille de Verdun. Photo: Marc Verney, avril 2011. |
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L'avance
allemande en 1915 a été stoppée ici à
Vacherauville. Photo: EF, avril 2011. |
Encore un peu plus loin, voilà Vacherauville, au pied de la côte du Poivre, point extrême atteint par l'avancée allemande sur Verdun le 26 février 1916. La ville n'est qu'à 8,5 km!! On passe Bras-sur-Meuse (anciennement Grande-Bras). «Le territoire de cette commune, nous raconte le site bras-sur-meuse.fr, est traversé sur toute sa longueur par la voie romaine d’ordre inférieur de Verdun à Mouzon, venant de Belleville et se rendant à Vacherauville». Situé sur le chemin des grandes attaques dirigées contre la place forte de Verdun, poursuit le site municipal, «il a été complétement détruit par les bombardements». De fait, l’ancien chemin du XVIIIe cingle directement sur Belleville-sur-Meuse, suivant très probablement d’anciennes voies antiques. Une rectification ordonnée en décembre 1845 (Bulletin des lois), suivie aujourd’hui par la D964, passe par le Grand-Trise pour suivre les berges du canal de la Meuse et la Meuse elle-même jusqu’à Verdun. La ville, aujourd’hui «capitale mondiale de la Paix» a, depuis toujours joué un rôle important dans l'histoire des communications: L'Itinéraire d'Antonin, un ouvrage de la fin du IIIe siècle cite Verdun (Virodunum) situé sur la route de Reims (Durocortorum) à Metz (Divodurum). Difficile aujourd'hui de se dire que la Grande Histoire du monde s'y est jouée... Et pourtant, à l'approche de la tour Chaussée (1380), un des symboles de la ville, on se remet à regarder passer la valse des siècles: dès 843, c'est là que fut signé l'important traité qui divisa en trois l'immense empire carolingien... L'Europe ne s'en est pas encore remise! Du IXe au XVIe siècle, Verdun est convoitée tant par les rois de France que par les souverains germaniques, dont le très influent Charles Quint. La cité, dirigée par les évêques du duché de Lorraine est finalement occupée par les Français en 1552. Vauban y oeuvra, fortifiant la cité en entourant les maisons d'une impressionnante ceinture de remparts. Après la guerre perdue de 1870, la ville ne se trouve plus qu'à une cinquantaine de kilomètres de la frontière allemande en raison de l'annexion de l'Alsace et de la Moselle. Entre 1874 et 1914, les Français oeuvrent à tour de bras dans la région: forts de Douaumont, Vaux, Souville... Les combats de 1916 atteindront une violence inouïe. Et le fracas des armes ne cessera pas jusqu'au mois d'août 1917. Sur les dix mois les plus intenses de la bataille, les combats auront fait plus de 300.000 morts des deux côtés. Le chantier de reconstruction de la ville durera jusqu'en 1940 (et la ville sera à nouveau durement touchée durant la Deuxième Guerre mondiale!!). A Verdun, on rencontre la R.N.3 Paris-Allemagne et la R.N.18 vers Etain. Un mot sur la «voie sacrée». Cette route de 55 km, qui reliait Bar-le-Duc à Verdun était empruntée, jour et nuit, entre février 1916 et janvier 1917 par 9000 camions qui apportaient au front le ravitaillement et les renforts. Le premier triomphe du moteur à essence et du pneumatique!
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R.N.3:
REJOUER LES TAXIS SUR LA MARNE
La route nationale 3 relie Paris à l'Allemagne
en passant par Verdun et Metz. Que des terres de batailles et
de conquêtes! (lire) |
A VOIR, A FAIRE
La citadelle souterraine, initiée par Vauban puis percée de multiples galeries souterraines au XIXe siècle (musée); le monument de la Victoire et son escalier de 73 marches; la tour Chaussée, ancienne porte d'entrée de la cité; la cathédrale Notre-Dame dans la ville haute, ainsi que le Palais épiscopal (achevé en 1770) qui abrite le Centre mondial de la Paix, des Libertés et des Droits de l'homme. Autour de Verdun, la départementale 913 fait le tour des principales zones de combat. On ne quitte pas Verdun sans avoir goûté les dragées... une invention de la ville au XIIIe siècle! |
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R.N.18: UN TRIANGLE DE FEU ...
Une longueur de 71 kilomètres, pas un de plus... Mais
un concentré d'histoires dans le Triangle de feu, entre
Verdun et Longwy! voilà la RN18. (lire) |
On traverse la ville par les avenue du Luxembourg, de Troyon et des Eparges, des rocades qui suivent le tracé des glacis de l’ancienne forteresse. Nous voici au niveau de la porte Saint-Victor. Après avoir fait un court tronc commun avec la R.N.3 historique, notre chaussée prend maintenant la direction de Saint-Mihiel en descendant la «côte des Malades» et toujours en longeant la Meuse. Entre Haudainville et Dieue-sur-Meuse, tout comme à Belleville, la route est rectifiée en suivant une ordonnance de 1845 (réalisation en 1852, signale Wikisara). Comme l'indique le site dieue-sur-meuse.fr, nous nous trouvons ici sur le diverticule gallo-romain (voie secondaire) menant à la région de Neufchâteau. Un tracé peu ou prou similaire à la R.N.64 est également visible sur la carte de Cassini (XVIIIe) publiée par le Géoportail de l’IGN. En tout cas, ici, les villages gardent le souvenir de la Grande Guerre. Les émouvants cimetières militaires, où s’alignent des milliers de tombes, se succèdent à Haudainville, Dieue-sur-Meuse, Génicourt-sur-Meuse, Ambly-sur-Meuse, Troyon... La ligne de front du Premier conflit mondial était toute proche. Sur ces petites collines boisées des Hauts-de-Meuse se trouve notamment le site des Eparges, où la «guerre des mines» a atteint un summum dans l’horreur… On passe au pied du fort de Génicourt pour atteindre le village du même nom. Là, une nouvelle rectification (1847, pour Wikisara) contourne le centre du bourg par la «route de Belfort». Après Troyon, voici encore un fort Séré-de-Rivières. Faisant partie du rideau défensif des Hauts-de-Meuse, il a joué un rôle décisif en 1914: lourdement bombardé, il a cependant tenu bon et empêché l’encerclement de Verdun… En septembre 1914, les 450 hommes de sa garnison ont résisté six jours face aux 10.000 hommes de la 10e division; «de cette résistance, lit-on sur la page Wikipédia de l'ouvrage, dépendait la suite de la guerre, et surtout la victoire dans la bataille de la Marne». Plus loin, voilà encore Lacroix-sur-Meuse, commune détruite à 95% durant le Premier conflit mondial. Il reste une dizaine de kilomètres à parcourir jusqu’à Saint-Mihiel. A la Boude, on note une courte rectification de la chaussée: l’ancienne voie du XVIIIe suit la rue des Champs alors que la route de 1860 (Wikisara) se rapproche de l’actuel canal de la Meuse. De Rouvrois- sur-Meuse à Saint-Mihiel, la route n°64 (D964) file au travers des champs. Surplombée par les Dames de la Meuse, sept roches colossales qui dominent le paysage, la route nationale entre par le faubourg de Verdun dans Saint-Mihiel, une petite cité née de l'édification en 815 d'une abbaye bénédictine. Au XIIIe siècle, la ville connaît même une activité florissante alors que Verdun, tout proche pourtant, s'étiole. Au trafic nord-sud de la voie mosane répond désormais le trafic est-ouest correspondant aux grandes foires champenoises. Beaucoup plus tard, Saint-Mihiel devient une importante ville de garnison, au point, qu'à la fin du XIXe siècle, un journal local écrit même que l'on voit à Saint-Mihiel «le spectacle unique en France d'une ville comprenant plus de militaires que de civils»... Cela n'empêchera pas la cité d'être prise par les Allemands le 25 septembre 1914 et d'attendre quatre ans pour être libérée. Aux XVIe et XVIIe siècles, Saint-Mihiel héberge une brillante école de sculpture qui essaimera dans toute la Lorraine. Pour continuer à suivre la R.N.64, «On passe Saint-Mihiel tout droit», nous indique le Guide Bleu de la France automobile 1954, puis «on passe au pied du fort du Camp-des-Romains en ruines depuis septembre 1914. La route traverse la Meuse et remonte la rive gauche à côté du canal». Là, dans le bourg de Sampigny, se trouve le musée Raymond-Poincaré installé dans l'ancienne résidence d'été de celui qui fut président de la République de 1913 à 1920.
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A
Haudainville, juste après Verdun, juste en dessous de
la plaque de cocher traditionnelle, une autre ancienne plaque
mentionne "chevaux de secours". Est-ce pour surmonter
la grimpette qui s'annonce? Photo: Marc Verney, avril 2011. |
Ce tracé, réalisé en 1832 en «faisant une coupure dans la montagne» (Archéologie de la Meuse), n’a pas toujours été celui qui a été utilisé par la route de Commercy. Jadis, la principale voie du XVIIIe passait à l’est de l’escarpement du fort du Camp-des-Romains, puis longeait Ailly et Mécrin pour traverser la Meuse au niveau de Pont-sur-Meuse (un tracé existait aussi par Bilée et Koeur mais avec un passage difficile de la Meuse). La Situation des travaux de 1837 évoque, ici, une «lacune» qui existait dans la réalisation de la voie de Mézières à Neufchâteau… Pièce majeure de la nouvelle chaussée, le «Pont-Neuf» de Han sur la Meuse, livré à la circulation en 1835 au pied de la colline du fort du Camp-des-Romains et qui dessert Sampigny. «C'est en 1784, à la suite des ravages causés par le dégel de cette même année, ravages qui avaient amené la destruction du pont établi sur la Meuse, au village de Pont, que fut réclamée la route de Commercy à Saint-Mihiel par Sampigny», lit-on dans les Mémoires de la Société des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc (1883). Les travaux n’avancent pas vite, en 1824, le Conseil général de la Meuse sollicite l'aide du gouvernement pour l'achèvement de la lacune et indique qu'il avait voté, «de 1809 à 1814, la somme de 120.000 francs» pour cette chaussée. Après avoir croisé à Vadonville la ligne historique de chemin de fer entre Paris et Strasbourg, réalisée ici entre 1851 et 1852 (les anciens rails passaient d’ailleurs au sud du village –il peut donc aussi y avoir des rectifications ferroviaires…), voici Lérouville et Commercy, terme de notre première étape. Commercy est une petite ville tranquille jusqu'au jour où Stanislas, le beau-père de Louis XV devient duc de Lorraine... Jetant son dévolu sur Commercy, Stanislas, un bon vivant, fait agrandir le château qu'il aménage en résidence de luxe. Jusqu'à la ville, où il imprime sa marque en faisant réaliser le Fer-à-Cheval, une vaste place qui jouxte son château. Mais l’histoire de la cité débute au Moyen Age: «enfermée dans ses remparts, partagée entre deux seigneuries, Commercy jouit d'un statut juridique particulier lui conférant une quasi-indépendance entre le royaume de France, et les duchés de Bar et de Lorraine», voit-on sur le site commercy.org. Longtemps, l'un des seuls accès à Commercy fut la route de Vignot (auj. D958). Plus tard, au début du XIXe, pour améliorer la traversée de la ville lors de la création de la route Sedan-Neufchâteau, à la fin du XVIIIe siècle, on fait des travaux de terrassement qui déplacent le cours d'un ruisseau, le Rupt.
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Comment
quitter Commercy sans goûter les madeleines? Photo: Marc
Verney, avril 2011. |
ET LES MADELEINES? Tout ce que l'on sait c'est que la madeleine est née vers 1750 dans les cuisines du roi Stanislas, un homme gourmand. A l'époque, la mode, ce sont les "turqueries" et la madeleine fait partie de cette mode-là. Lorsque Stanislas meurt, en 1766, un des ses pâtissiers s'installe à son compte et vend ses produit aux habitants. La madeleine reste synonyme de luxe jusqu'en 1817, date à laquelle une mini "guerre des prix" entre commerçants se déroule à Commercy. Puis, en juillet 1852, Napoléon III inaugure la ligne de chemin de fer Paris-Strasbourg. A Commercy, évidemment, on lui offre les fameuses madeleines... mais c'est une jeune habitante de la ville, Anne-Marie Caussin, montée à Paris et mariée au marquis de Carcano qui inaugure -dans la capitale- la mode des madeleines. Dans l'hôtel particulier où elle tenait salon, se trouvaient les fameux petits gâteaux, directement amenés chaque soir par train express, de Commercy... La madeleine reste un produit artisanal jusqu'en 1939. La soixantaine de kilos produite au quotidien se vend principalement sur les quais de la gare de Commercy, à l'arrêt des trains. Pesant aujourd'hui 25 grammes, la madeleine pouvait, jadis, aller jusqu'à 100 grammes. Source: brochure de l'office du tourisme de Commercy. |
Au sortir de Commercy, la R.N.64 laisse, pour une vingtaine de km, le parcours de la Meuse qui réalise de vastes méandres paresseux (non loin, il y a Euville et ses carrières de pierre qui ont servi à réaliser la place Stanislas de Nancy et le pont Alexandre III à Paris)... Il y a 9 kilomètres jusqu’à Void, mais c’est une autre histoire que nous racontons dans la deuxième partie de ce voyage sur l’ancienne route nationale 64 (lire)
Marc Verney, Sur ma route, février 2021
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