Il y a neuf kilomètres entre Abbeville et Saint-Riquier. Pour y arriver, la R.N.25 historique (D925) passe le «fond du Voroy», le bois de l’Abbaye et traverse le petit Scardon. Ici, le «nouveau grand chemin d’Abbeville à Saint-Riquier et à Doullens» a été fait en 1758 et 1759, nous dit La topographie historique et archéologique d'Abbeville (1880). Le bourg de Saint-Riquier était autrefois appelé «Centule» (ou la ville aux cent tours). C'est, nous dit saint-riquier.fr, «une ancienne cité monastique qui s’est développée autour du monastère fondé en 625, par Riquier de Centule». L’époque de Charlemagne marque l'apogée de l'abbaye, qui comptait, en l’an 800, plus de 300 moines et une école réputée. «La ville de Centule, poursuit le site municipal, qui bénéficiait de cette prospérité et s’était protégée par des fortifications, aurait abrité jusqu’à 15.000 habitants; elle fut capitale du Ponthieu aux Xe et XIe siècles, avant d’être supplantée par Abbeville (Abbatis Villa ou domaine des Abbés) où un port avait été créé». Aujourd’hui un peu assoupie, la petite cité est bien vite traversée: rues du Général-de-Gaulle, Saint-Jean et de Doullens. Notre D925 s’oriente bien vite en direction de Neuville et Coulonvillers. Juste après, notre voie croise, à la hauteur du lieu-dit les Quatre-Saisons, la «chaussée Brunehaut» qui reliait Amiens à Boulogne. Cette route ancienne faisait partie de la Via Agrippa de l’océan, édifiée à la fin du Ier siècle av. JC. Sept kilomètres plus loin, voilà Beaumetz, située au cœur d’une région défrichée au XIIIe siècle, des travaux à la base de la création du village. Ici, on roule au travers «d’une plaine crayeuse», écrit le Guide classique du voyageur en France en 1841. A l'approche de Doullens, la route du Havre à Lille va connaître une forte évolution de son tracé à partir du début du XVIIIe siècle, à lire l'Histoire de la ville de Doullens et des localités voisines. Depuis Fienvillers, l'ancien chemin gagnait les environs de Longuevillette pour entrer dans le bourg dans la foulée. Après 1702, la route de Doullens vise Hardinval et Hem, où elle traverse l'Authie «au moyen d'un pont neuf». Peu après, cette nouvelle chaussée –qui est également celle de la R.N.25 historique- décrit «un équerre» vers le centre de Doullens.
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Emblématiques du nord de la France, les friteries parsèment les chaussées de la région. Ici, à Cramont (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
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Sortie de Bernaville en direction d'Abbeville (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
Passé Rouval, la route du Havre à Lille entre dans Doullens par la rue du pont Saint-Ladre. «Trois montagnes séparées par les rivières forment autour de Doullens, sans l'étreindre trop étroitement toutefois, une majestueuse couronne. L'une, au midi, se nomme la côte d'Amiens; l'autre à l'est, est appelée montagne d'Arras; et la troisième, au nord, a nom: montagne de Haute-Visée. On aperçoit de loin sur leurs pentes, et tracées dans leurs flancs calcaires, les grandes lignes commerciales du Havre à la Belgique, et de Paris à Lille et à Dunkerque; larges artères qui, après s'être réunies au sein de la petite cité, s'en vont ensuite dans toutes les directions», lit-on dans l'Histoire de la ville de Doullens (1865). Réunie à la couronne de France en 1225, Doullens devient une place forte importante. La ville est cependant brûlée par Louis XI pour la punir de s'être ouvertement mise du côté du duc bourguignon Charles le Téméraire. A la fin du XVe siècle, Doullens devient une ville frontière française face à l'Artois, passé dans le giron de la Maison d’Autriche. Il y aura de nombreuses batailles, souvent sanglantes. Pour protéger les lieux, François Ier décide d'y faire construire une forteresse dont le rôle militaire s'achèvera avec le traité des Pyrénées qui donne l'Artois au roi Louis XIV. Devenue lieu de détention, la vaste citadelle se transforme en hôpital durant la guerre de 14-18 (le front n’est qu’à une trentaine de kilomètres). Ici également fut décidé, le 20 mars 1918, l'unité de commandement des armées alliées sous les ordres du maréchal Foch, décision qui allait fortement peser dans la victoire alliée, le 11 novembre de la même année. Puis, de 1941 à 1943, ce sera un camp d’internement français. En feuilletant le Guide Bleu de la France automobile, on apprend que la petite cité «a gardé, malgré les guerres, son caractère de cité picarde du XVIIIe siècle». On quitte lentement Doullens par le faubourg de la Porte-d’Arras.
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R.N.16:
LE COEUR AU NORD
La RN16 de 1959 relie Pierrefitte-sur-Seine à Dunkerque en passant
par Creil, Clermont, Amiens et Doullens. Nous voilà à la rencontre des Ch'tis! (lire) |
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Le bitume de la D925 s'enroule autour de quelques rondeurs peu avant Doullens (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
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A l'entrée de Doullens, en venant d'Abbeville (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
La route monte fortement en direction de Pommera (Pas-de-Calais). Le tracé de la chaussée, vers Arras, est visible sur la carte de Cassini (XVIIIe siècle) publiée sur le Géoportail de l’IGN. Mais, comme souvent, l’état de la voie devait laisser à désirer… puisqu’on lit cette phrase dans l’Analyse des votes des Conseils généraux de départements de 1824: «Le Conseil du Pas-de-Calais sollicite, pour l'avenir, que des fonds soient accordés pour achever, pendant l'été de 1825, la reconstruction de la chaussée entre Arras et Doullens». De Pommera, on parcourt huit kilomètres pour atteindre l’Arbret. Le Dictionnaire historique et archéologique du département du Pas-de-Calais (1879) nous en dit un peu plus long sur cette localité: «Dans les premières années du XVIIIe siècle, s’élevait à 1 km au sud de Bavincourt, une maison qu’avoisinait un arbre de la plaine. Plus tard, d’autres habitations s’y groupèrent, la route royale du Havre à Lille vint traverser ce hameau (1743) et l’arbre lui donna son nom. L’importance de l’Arbret ne tarda pas à s’accroître. Par brevet royal du 18 février 1753, un relais de poste était octroyé à Louis-Bernard Cavrois. Depuis, un bureau de poste aux lettres, une caserne de gendarmerie, de nombreuses auberges, firent de l’Arbret une localité bien vivante et sa belle position, son égale distance d’Arras et de Doullens lui eussent assuré un accroissement et une prospérité incontestables sans la révolution que les chemins de fer apportèrent dans l’économie des voyages et des transports». Au sud de ce hameau, on remarque la longue ligne droite de la D1 autour de La Cauchie: il s’agit d’un fragment de la voie antique d’Amiens à Arras par Thièvres que notre R.N.25 va «rejoindre», peu avant Beaumetz-les-Loges, au lieu-dit qui porte le nom évocateur d’«Entre les Deux Grands Chemins». Beaumetz-les-Loges est un bourg situé à une dizaine de kilomètres d’Arras. Ce «village de plateau», dit le site beaumetzlesloges.fr, est fréquemment cité au XIe siècle «dans les chartes ou les cartulaires de plusieurs abbayes». Le village ancien est groupé autour de l'église et de la place seigneuriale. Il est, nous signale encore le site municipal, presque entièrement «encerclé par le bois et le parc du château, c'est actuellement le quartier encore appelé "La Villette". Le hameau des Loges, lui, est situé sur le grand chemin d'Arras à Doullens». Confirmant une date mentionnée préalablement, l’ancienne chaussée antique, pointe beaumetzlesloges.fr, a été «réfectionnée» en 1743 par les Etats d'Artois. La voie file maintenant droit sur Arras en effleurant le village de Dainville, une localité souvent victime des combats autour d’Arras entre les XIVe et XVIIe siècles. Situé non loin des tranchées en 1914-1918, le bourg, qui est à l’époque le terminus de la seule voie ferrée qui dessert encore la grande ville voisine, devient, selon les mois, «une position de repos ou de concentration des troupes ou de matériel du front d’Arras» signale le site histoire.dainville.free.fr.
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Plaque de cocher de la R.N.25 à Pommera (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
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"Ambiance" Michelin vers Pas-en-Artois (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
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"Ambiance" pavée à Baillenval (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
L’avenue Jean-Mermoz atteint rapidement le «faubourg d’Amiens», porte d’entrée de la cité d’Arras. «Au sortir de l'enfer minier, après la cavalcade des chevalements, l'alignement des noirs terrils gonflés comme de noires pustules, les forêts d'orgue des cheminées d'usines où s'active et pullule un prolétariat enfiévré, Arras est une ville discrète, "bourgeoise" dit-on, claire et accueillante, d'un confort presque britannique», écrit André Cornette dans l'introduction de son étude sur la ville, parue en 1960 dans la Revue du Nord... On découvre aussi dans cet article, dense et détaillé, que, «grâce à une position extrêmement favorable, Arras a toujours été un centre et un relais important de voies de communications. Jusqu'au milieu du XIXe siècle, elle a surtout été une étoile de voies terrestres. En l'an X (1801-1802, ndlr) par exemple des communications régulières (un départ et une arrivée chaque jour) existaient avec Calais, Boulogne, Paris (par Amiens), Ham, Lille (par Douai)... quoique les chemins fussent mauvais. Le mouvement s'accrut jusqu'en 1846 (amélioration des routes)», année durant laquelle est ouverte la voie ferrée Paris-Lille, signale encore André Cornette. L’histoire de la cité est longue… Positionnée au confluent de la Scarpe et du Crinchon, Arras est née au Ier siècle sous le nom de Nemetacum, sur la colline de Baudimont, mais est dévastée par les «invasions barbares». Saint Aubert, l'évêque de Cambrai, transfère le corps de saint Vaast sur les bords du Crinchon et y fonde une abbaye au VIIe siècle. Deux siècles plus tard, Arras devient la résidence privilégiée des comtes de Flandre. Au Moyen Age, c'est une des grandes villes commerçantes (blé, laine, vin) et «drapantes» des pays de la mer du Nord. Elle est célèbre pour ses tapisseries dans toute l'Europe. En 1191, le traité d'Arras donne la cité à la royauté française. Mais, du XIVe siècle au XVe siècle, la ville appartient au puissant duché de Bourgogne. Redevenue française après la mort de Charles le Téméraire, la possession d’Arras est disputée lors des guerres opposant François Ier et Charles Quint. L'Artois, finalement «conquis par Louis XIII en 1640, fut définitivement réuni à la France par le traité des Pyrénées en 1659», lit-on dans le Guide Bleu de la France automobile 1954. En 1668, Arras fait partie du «pré carré» de Vauban avec la construction de la citadelle. Plus tard, au XIXe siècle, avec l'arrivée de la révolution industrielle, Arras stagne et est détrônée par la métropole de Lille, plus dynamique. Les remparts de la ville ne sont démantelés qu'en 1892 pour y établir à la place de vastes boulevards périphériques. C’est durant la guerre de 1914-1918, qu’Arras subit les destructions les plus importantes: située à quelques kilomètres du front, la ville, qui est totalement désertée par ses habitants, sert d’abri aux militaires; l’armée britannique y utilise les boves (anciennes caves et carrières) pour ses contre-attaques. Détruite en 1918 à près de 80%, Arras est élevée au rang de «ville martyre» au côté de Reims, Verdun ou bien encore Soisson. Le centre-ville, et notamment ses deux grandes places, a été reconstruit à l’identique. Avant le XIXe siècle, on quittait Arras par la porte Meaulens; en 1959, on emprunte la rue Roger-Salengro pour atteindre la place de la Tchécoslovaquie et Sainte-Catherine sur la chaussée de Lens.
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L'arrivée sur Arras depuis Doullens (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
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Signalisation de direction Michelin aux abords de Saint-Catherine (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
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Après Arras, les sites mémoriaux de la Première Guerre mondiale se succèdent (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
La route n°25 historique quitte Arras par la «route de Lens» (D264) et franchit la Scarpe peu avant Sainte-Catherine. Là, notre voie laisse partir, sur la gauche, la «chaussée Brunehaut», une voie antique (aujourd’hui D341) qui reliait Arras à Boulogne-sur-Mer par Thérouanne et Desvres. Plus loin, c’est l’ancienne R.N.37 pour Béthune qui se dégage par la gauche de la R.N.25 historique. La route prend la direction de Vimy en passant entre Ecurie et Roclincourt. Après Thélus, la route (D917 aujourd’hui) descend vers le Petit-Vimy. La carte de Cassini, publiée par le Géoportail de l’IGN montre cette «route de Lille». Ici, «la côte de Vimy, située sur la route royale n°25, du Havre à Lille, entre Arras et Lens (Pas-de-Calais), sera rectifiée suivant un nouveau tracé qui se développera à droite de la direction actuelle», signale une ordonnance royale du 14 avril 1843. Plus loin, notre voie croise la multivoie N17 avant de toucher Lens et le bourg d’Avion. Ce village, à l’origine, «comprenait deux hameaux, les "deux mottes", dans les marais» qui entouraient Lens, explique le site municipal ville-avion.fr. Dévastée par les guerres en Artois jusqu’à l’Ancien Régime, la région, d’abord agricole, voit l’exploitation du charbon de son sous-sol dès le XIXe siècle (jusqu’à la deuxième partie du XXe siècle). La route, d’ailleurs (D55 aujourd’hui), traverse la cité minière des crêtes de Pinchonvalles située non loin de la fosse n°7 de Liévin. Voilà désormais Eleu-dit-Leauwette, située sur la voie ancienne d’Arras à Lens; la localité a aussi «connu une activité minière qui a débuté aux alentours de 1870 par le forage de 2 puits , les fosses 3 et 3bis. En 1904, un troisième puit est foré, la fosse 3ter. Des drames viennent entacher l’exploitation, notamment en 1882 et 1883 (trois explosions meurtrières dues au grisou) et le 16 mars 1957 où l’explosion d’un tir de mines tua 10 ouvriers. L’activité cessa en juillet 1961», conclut le site eleuditleauwette.fr. Dans les années cinquante, l’ancienne route nationale emprunte la rue Gabriel-Péri puis franchit les voies de chemin de fer par l’avenue Alfred-Maes. Voilà Lens, qui, au Moyen-Age, souligne villedelens.fr, «était un gros bourg rural: les foires et marchés y étaient importants. Les barques portées par la Deûle se chargeaient et se déchargeaient à son rivage. La rivière actionnait quatre moulins; un autre, à vent, dominait les remparts».
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A la sortie de Lens... et toujours les belles briques rouges (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
La ville, raconte encore le site municipal, «se trouvait sur la plus ancienne route qui menait les marchands de la Flandre septentrionale, de Lille, Seclin, Pont-à-Vendin et Lens à Arras et au tonlieu (nom désignant autrefois le bureau et le droit payé à l’entrée des villes) de Bapaume (actuel chef-lieu de canton du Pas-de-Calais), en direction de Paris. Lens avait son échevinage et sa milice; sa prévôté et son baillage étaient parmi les plus importants de l’Artois». Lens eut beaucoup à souffrir de la guerre de Cent Ans puis des guerres menées dans la région: la cité, qui a été un temps aux mains des Espagnols, fut, au total, l’objet d’une quinzaine de sièges (en particulier en 1478, puis six fois entre 1493 et 1590 et cinq fois entre 1641 et 1648) signale villedelens.fr. Au XIXe siècle, Guislain Decrombecque, maire de la ville entre 1846 et 1865, entreprend d’assécher les marais autour de la cité. «Par des méthodes nouvelles et audacieuses pour l’époque, il transforme la "plaine de Lens" en terres fertiles», explique, là encore, villedelens.fr. La découverte de filons de charbon change tout dans le Pas-de-Calais. L’essor industriel amène une main d’œuvre d’Europe centrale, d’Italie et du Maghreb. Mais, dès octobre 1914, la ville de Lens souffre énormément de la Première Guerre mondiale. L'armée allemande occupe les lieux jusqu'à la fin du conflit; la ville et une grande partie du bassin minier sont presque totalement rasés en 1918. Les travaux de reconstruction dureront jusque vers 1927. La ville est encore bombardée par l'aviation alliée le 22 avril 1944, provoquant la mort de 250 personnes. Nationalisé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le secteur houiller participe à la relance française; ce sont les Trente Glorieuses… des années qui voient la France se relever des dégâts de l’occupation (mais on ne parlait pas encore d’économie décarbonée…). On quitte Lens par la «route de Lille» (D917). On traverse la «cité Hollandaise», un faubourg où furent édifiés, dès 1919, des logements d’urgences donnés par les Pays-Bas pour pallier –en partie- à la destruction du centre-ville de Lens.
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Seul mont à défier les nuages, le terril marque les paysages de la région de Lens (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
Il y a une dizaine de kilomètres à faire jusqu’à Carvin. On passe Loison-sous-Lens. La région était jadis constituée de vastes marais et on pouvait aller en barque de Loison à Annay; la principale ressource des habitants étant la pêche, écrit le site ville-loison-sous-lens.fr. Ici, la route d’aujourd’hui a été réalisée à partir de 1748. Elle commence, lit-on dans l’Histoire générale du comté de Harnes en Artois, «à la porte du Rivage à Lens, sur lequel les Etats dArtois ont fait construire un pont en maçonnerie pour faciliter la navigation. Ce chemin laisse à droite Loyson, Harnes et la rivière de Lens, il passe entre le village d'Annay qu'il laisse à gauche et l'hermitage de Harnes à droite, il traverse le canal (de Douai à Lille) sur un pont de grès et de pierre, commencé cette année ainsi que le chemin, et achevé après l'an 1749. Après ce pont, la chaussée quitte le diocèse d'Arras et se dirige sur Lille». Dans le même ouvrage, on découvre que «l'ancien chemin pointait vers le vieil Wendin qu'elle laissait à gauche, et passait dans le milieu du Pont-à-Wendin. De là, elle évitait la petite seigneurie d'Estevelles et aussi Carvin qu'elle laissait à droite, s'avançait sur Chemy, sur Homplain et le château des Pruedhomme d'Ailly, débouchait à Esquermes, entrait dans Lille par la porte Notre-Dame. Cette route provinciale des Flandres et Artois avait le défaut de ne pas traverser les deux communautés de Carvin et Seclin». Peu avant Carvin, on laisse partir, sur la droite, l’accès à l’autoroute du Nord, qui existait, en 1959, d’Arras à Lille (inauguration en 1954 jusqu’à Carvin). Comme sa grande soeur, Lens, l’histoire de Carvin, d'abord agricole et marchande, est marquée par l'exploitation minière du charbon, démarrée au milieu du XIXe siècle et achevée en 1975. On quitte la petite ville par la rue du Maréchal-Foch. On note que, sur la carte Michelin n°51 Boulogne-Lille de 1964, ce secteur est marqué comme étant pavé (ce qui est encore le cas du centre de Carvin au début du XXIe siècle).
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Panneau Michelin dans le centre-ville de Carvin (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
On entre dans le département du Nord peu avant Camphin-en-Carembault. A huit kilomètres de là, il y a le bourg de Seclin. Notre chaussée porte ici le numéro D925. Notre chemin longe un (ancien) puissant centre d’émission radio (ondes moyennes) qui a servi de 1929 à 2015. Des émissions en langue polonaise de RFI y ont été diffusées jusqu’en 1997 afin de desservir l’importante communauté de mineurs issue de ce pays d’Europe centrale (media-radio.info). Notre chaussée (M2925) pénètre maintenant dans la cité de Seclin, à onze kilomètres du centre de Lille. «Dès le premier siècle de notre ère, écrit Karl Bouche sur le site ville-seclin.fr, un vaste établissement agricole placé sous le contrôle de l’armée romaine est édifié sur le point culminant de la commune près du fort de Seclin. Il assure le regroupement des productions céréalières pour l’approvisionnement des troupes». Seclin est alors un vicus. Une population rurale s'y rassemble pour le commerce, en bordure de la voie d’Arras à Tournai. Autrefois zone humide et marais, la ville se construit à partir du quartier de la collégiale Saint-Piat, lieu de culte érigé en souvenir de ce martyr chrétien (Wikipédia). Au XIIIe siècle, la comtesse Marguerite de Flandre y fonde l'hôpital Notre-Dame. Après de nouveaux défrichements agricoles au XVIIe siècle, l'industrialisation de la région débute en 1799 avec l'implantation de la filature de coton Lefebvre-Bourghelle. En 1801, c'est l'installation de la première machine à vapeur qui actionne les métiers à tisser, en 1846, c'est l'arrivée du chemin de fer Paris-Lille et l'on creuse entre 1856 et 1880 -vers Seclin- un embranchement de cinq kilomètres du canal de la Haute-Deûle. Ce qui a donné «un débouché fluvial et commercial à une ville où fleurissaient les industries de l'époque: filatures de lin et de colon, brasseries, distilleries, sucreries», voit-on sur le site seclin-tourisme.fr. Le choix du développement industriel ne se démentira pas au XXe siècle: après les destructions des deux guerres, la première zone industrielle de la métropole lilloise et vraisemblablement l’une des premières du nord de la France est construite à Seclin dès le début des années 1960, affirme ville-seclin.fr. Dès la sortie de la cité par le boulevard Joseph-Hentges, notre voie, désormais bien installée dans l’aire de la métropole lilloise, porte le numéro M549. Bien visible sur la carte de Cassini (XVIIIe) publiée par le Géoportail de l’IGN, elle dessert déjà Wattignies, l’Arbrisseau et l’actuelle porte d’Arras. Mais aujourd’hui, c’est un défilé presque ininterrompu de centres commerciaux, industriels et de bâtisses de briques rouges…
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Ancienne borne kilométrique peu avant Lille (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
Petit retour en arrière dans le temps pour les ultimes kilomètres de la R.N.25 historique… on découvre dans l’Annuaire statistique du département du Nord (1833) que la route «de troisième classe n°25 du Havre à Lille par Seclin», dont la longueur est «de 15,540 mètres» dans le département «est toute entière en chaussée pavée». Lille («L’Isle») est bâtie à un endroit, où, jadis la Deûle cessait d’être navigable. Un port pour transborder les marchandises se crée non loin d’une voie commerciale reliant, au XIIe siècle, Bruges aux foires de Champagne. La localité (le nom apparaît en 1066) était avant tout, à l'époque, «un lieu de transit, un passage obligatoire pour les échanges entre des contrées riches et d'économies différentes», écrit J. Dilly dans son article «Structure de l'agglomération lilloise» (1955). La cité du Moyen Age, dit lilletourism.com, «s’organise autour du forum, place du marché (actuelle Grand'Place) et du castrum (actuel Vieux-Lille). Celui-ci est un noyau urbain fortifié, ceinturé de cours d’eau protecteurs». La ville est tout d’abord la possession des puissants comtes de Flandre, mais convoitée par les rois de France. Après la bataille de Bouvines (1214) où son mari, Ferrand de Portugal, est fait prisonnier, la comtesse Jeanne de Flandre gouverne seule. En 1369, la dernière comtesse de Flandre épouse Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, en secondes noces. Et, du coup, Lille appartient au camp Bourguignon jusqu'à la fin du XVe siècle. Puis, à la mort de Charles Le Téméraire en 1477, elle fait partie des Pays-Bas espagnols, de Charles Quint à Philippe IV d'Espagne (de 1500 à 1667) mais est conquise par Louis XIV. Vauban y édifie de 1667 à 1670 «la reine des citadelles» raconte encore lilletourism.com. Raflée par les Hollandais durant la guerre de Succession d’Espagne, Lille revient définitivement dans le giron français en 1713 grâce au traité d’Utrecht. Au début du XIXe siècle, l’agglomération bascule dans le monde de l'industrie: longtemps dominée par le négoce, découvre-t-on sur le site lille.fr, la cité voit le textile s'imposer comme le moteur de sa puissance économique. «Délaissant la laine, désormais chasse gardée de Roubaix et de Tourcoing, la ville se spécialise dans le travail du lin et du coton». Mais les ouvriers, sous-payés, vivent dans des conditions abominables. Les travail des enfants est omniprésent. En 1858, en plein essor, la ville connaît un agrandissement majeur. En annexant les communes voisines de Wazemmes, Esquermes, Moulins et Fives, Lille triple sa superficie et double sa population. De grandes avenues et de vastes places sont aménagées selon le modèle haussmannien pour recevoir d’imposants monuments tels que la Préfecture, le Palais des Beaux-Arts et les facultés (lilletourism.com). Déclarée «ville ouverte» le 1er août 1914, et cependant bombardée du 11 au 12 octobre de la même année, la cité est occupée par les troupes allemandes du 12 octobre 1914 au 17 octobre 1918. En janvier 1916, le dépôt de munition des «dix-huit ponts» explose sur le boulevard de Belfort. L'énorme déflagration est entendue jusqu'au centre des Pays-Bas. Elle souffle le quartier de Moulins et tue 104 habitants. Durant l'entre-deux-guerres, le maire d'alors, Roger Salengro, «joue un rôle essentiel pour améliorer la circulation dans Lille: agrandissement du grand boulevard, installation de plaques indicatrices, de sens interdits, de feux tricolores, de passages piétons, etc.» (Wikipédia). Lors de la campagne de France, la poche de Lille est prise le 31 mai 1940 par la Wehrmacht.
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Entrée dans Lille et fin de la R.N.25 historique (photo: Marc Verney, janvier 2022). |
Concernant les entrées du sud de la cité, de grands chantiers se profilent après-guerre. Au début des années 1950, la construction de l'avenue du Président-Hoover, ouvre davantage la ville de Lille en la dotant d'une nouvelle grande entrée. L'avenue relie la ville à l'autoroute A1 Paris-Lille, une des premières réalisations françaises en la matière. Le premier tronçon de cette jonction entre la capitale et la grande métropole du nord, «commencé en septembre 1950 entre Lille (rue de Douai) et Carvin a été terminé le 15 octobre 1954 et a été inauguré neuf jours plus tard, par Jacques Chaban-Delmas, ministre des Transports», lit-on sur le site de l'INA, qui publie une courte séquence filmée de cette inauguration réalisée par Télé-Lille. Quatre ans plus tard, c'est la partie entre Carvin et Gavrelle (Pas-de-Calais) qui est achevée, raconte encore l'INA. L'autoroute du Nord n'a été finalisée qu'en 1967 sur l'ensemble de son trajet entre Paris et Lille. Mais c’est une autre histoire…
Marc Verney, Sur ma route, octobre 2022
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R.N.17: LE TOUR DES BEFFROIS
La RN17 de 1959 relie Le Bourget à Lille en passant par Senlis, Péronne, Cambrai et Douai. Cap au nord pour une route qui file droit sur la métropole lilloise. (lire) |
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