Sources et documents: Atlas des grandes routes de France, Michelin (1959); carte n°51 Boulogne-Lille, Michelin (1964); carte n°52 Le Havre-Amiens, Michelin (1936); carte n°53 Arras-Mézières, Michelin (1947); carte n°94 Environs de Paris, Michelin (1948); carte n°96 Environs de Paris, Michelin (1963); carte n°97 150 km autour de Paris, Michelin (1970); carte n°98 Grandes Routes, Michelin (1952-53); carte n°987 Europe Nord, Michelin (1955); Cambrai, Gérard Vincent, Alan Sutton (1996); Chasse à courre, chasse de cour: fastes de la vénerie princière à Chantilly au temps des Condés et des Orléans, 1659-1910, Guy de Laporte, Renaissance Du Livre (2004); Guide Bleu de la France automobile, Hachette (1954); Histoire de Halluin, par l'abbé Alphonse-Marie Coulon, impr. et éd. Eugène Beyaert (1904); Histoire de l'arrondissement de Péronne et de plusieurs localités circonvoisines, volume 2, Paul Decagny, J. Quentin, (1869); Histoire chronologique de la ville de Pont-Sainte-Maxence sur l'Oise, François Lamy (1636-1711), impr. de Butard (1764); Histoire de la ville de Roye, Emile Coët, éditeur H. Champion (1880); Histoire de la ville de Roye, département de la Somme, M. Grégoire d'Essigny, Devin impr. (1818); Histoire de Pont-à-Marcq, abbé Bonnet, publiée par les Archives paroissiales (1936); Histoire de Roncq, par l'abbé Alphonse-Marie Coulon, imprimerie mécanique de Veuve Nys et fils (1902); Histoire des routes de France, du Moyen Age à la Révolution, Georges Reverdy, Presses de l'ENPC (1997); «Ils fouillent et sont sur la voie romaine», Nadia Nejda, le Courrier Picard (20 août 2015); «Les itinéraires routiers anciens traversant le Val-d'Oise», Sandrine Robert, Bulletin archéologique du Vexin français et du Val-d'Oise (2007); Liancourt et sa région, Lucien Charton, Office d'édition du livre d'histoire (1968); Notice géographique et historique (Nurlu), M. Gamain (1899); Notice archéologique sur le département de l'Oise, Louis Graves, A. Desjardins (1839); Péronne, son origine et ses développements, Georges Vallois, imprimerie de J. Quentin (1880); «Une longue bataille: le démantèlement des remparts de Lille (1899-1923)», Bernard Ménager, dans la Revue du Nord (1984); «Un quartier, une histoire: remontée du Grand Chemin qui traverse Bondues», Jean-Paul Delbert, la Voix du Nord (20 août 2008); Vivre à Lille sous l’Ancien Régime, Philippe Guignet, Perrin (1999); bersee.fr; cc-pays-sources.org; estreessaintdenis.fr; faumont.fr; lille.fr; lilletourism.com; parc-oise-paysdefrance.fr; paysdepevele.com; pontsaintemaxence.fr; roncq.free.fr; saintmartinlongueau.fr; survilliers.fr; topic-topos.com; vaudherland.fr; villedecambrai.com; ville-douai.fr; ville-lamadeleine.fr; ville-peronne.fr; ville-roncq.fr; ville-senlis.fr; Wikipédia, Wikisara. Remerciements: Gallica, l’IGN et son fantastique Géoportail..
Localités et lieux traversés par la R.N.17 (1959): La Patte-d'Oie de Gonesse Vaudherland Louvres Senlis (N32, N330) Pont-Sainte-Maxence Le Bois-de-Lihus (N31) Estrée-Saint-Denis Gournay-s-Aronde Cuvilly (N35) Conchy-les-Pots Roye (N30) Marchélepot Villers-Carbonnel Péronne (N37, N44) Nurlu Gouzeaucourt Bonavis (N44bis) Masnières Cambrai (N29, N39) Aubigny-au-Bac Bugnicourt Cantin Douai (N43, N50) Râches Faumont Pont-à-Marcq Lesquin Lille (N25, N41, N42) La Madeleine Marcq-en-Baroeul Bondues Roncq Halluin
Une route, deux tracés.La nationale 17 historique de 1959 n'était pas la R.N.17 de l'an 2000 (d'avant le déclassement...). Celle-ci empruntait un autre itinéraire entre Péronne et Lille: Péronne, Bapaume, Arras, Lens, Carvin, Libercourt... puis l'autoroute A1 jusqu'à Lille (soit le tracé des R.N.37 et R.N.25 de 1959).
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Nos belles
routes de France...
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En ce XXIe siècle, la départementale 317 débute au niveau de l’aérogare du Bourget. Mais, en 1959, le «vrai» départ de la R.N.17 historique se situe plus au nord, à la Patte-d'Oie de Gonesse, là où la route de Flandre laissait partir, vers la droite, la chaussée de Soissons (R.N.2). La construction du gigantesque aéroport de Roissy, décidée en 1964, allait tout chambouler dans la région. En ces lieux, où l’on ne trouve alors que des zones agricoles, la carte d’état-major du XIXe siècle publiée par le Géoportail de l’IGN évoque, elle, la «route de Paris à Lille et Ostende» pour ce qui est de «notre» nationale 17 historique. Passées les infrastructures du Bourget (dans les années cinquante, on disait le «port aérien du Bourget»…), la chaussée se trouve encore –presque- au milieu des champs… D’ailleurs, peu après le lieu-dit du Pont-Yblon, la carte Michelin n°96 des Environs de Paris de 1963 y signale des étendues de «tulipes et de glaïeuls»! Charmant… Le premier village rencontré est Vaudherland, situé «dans un petit vallon sur le grand chemin de Paris à Senlis à quatre lieues de Paris ou un peu plus», lit-on sur le site vaudherland.fr. De part sa situation, on y trouvait des auberges, indique de son côté le site Topic Topos, qui précise «qu'au XVIIIe siècle, le bourg, qui compte 198 habitants, est une destination de pèlerinage local». Depuis, le contournement du village, réalisé au début des années cinquante (1953 selon Wikisara), a beaucoup fait pour calmer la circulation intra-muros! Dans son ouvrage Histoire des routes de France, du Moyen Age à la Révolution, l’incontournable Georges Reverdy signale que la «butte de Vaudherland» a été «adoucie au milieu du XVIIIe siècle».
A 6,5 km au nord, voici Louvres, un bourg contourné –tout comme Vaudherland- depuis l’orée des années cinquante. C’est la rue de Paris (auj. D184), rectifiée en 1805, qui supportait le trafic de la chaussée Paris-Lille sous l’Ancien Régime, puis l’Empire. La page Wikipédia de Louvres évoque une curiosité intéressante: un vaste abreuvoir, ou «gué» situé à l’entrée sud de l’agglomération. Celui-ci, planifié dès 1749 et agrandi en 1843, pouvait recevoir des animaux entiers qui pouvaient s’y rafraîchir et s’y nettoyer (pas mal pour des chevaux crottés par les routes boueuses!). Entre Paris et Senlis, le tracé de la chaussée pourrait bien n’avoir pas beaucoup changé depuis le XIIe siècle, puisque, «sur le territoire de Louvres, indique Sandrine Robert dans sa recherche publiée en 2007 sur les routes du Val-d’Oise, la voie était appelée " chemin de Paris" en 1163». Inutile de s’attarder aujourd’hui dans les environs de Survilliers, où se succèdent «zones industrielles» et «zones d’activités»… L’essor industriel de la région débute en 1903 avec l’installation de la Cartoucherie Française, on dirait aujourd’hui un groupe industriel, qui produira aussi bien, nous dit le site survilliers.fr, «des cartouches militaires bien sûr, mais aussi des emboutis de toutes sortes pour la radio, l'électricité, l'automobile, la fabrication de fourreau de stylo, de corps de pile LR6, des munitions de chasse»… Un peu plus de 3 km plus loin, la voie atteint La Chapelle-en-Serval, dans l’Oise. L’ancienne R.N.17 y est numérotée en D1017. On trouve de nombreuses informations autour de la Chapelle-en-Serval dans un article publié sur le site parc-oise-paysdefrance.fr. Alors que, jusqu'au Haut Moyen Age (XIIe et XIIIe siècle), il y avait de vastes forêts couvrant la zone de Paris à Compiègne, l'établissement de domaines religieux lance «de grandes campagnes de défrichement». C'est dans ce cadre-là que s'épanouissent des communautés villageoises le long d'anciens axes gaulois ou romains. L’essor du commerce entre les Flandres et Paris ne fait qu’amplifier le rôle fondateur de la route pour toute une kyrielle de villages comme La Chapelle-en-Serval. Ce site nous apprend aussi que l'activité routière y installe aussi une «symbiose avec le territoire agricole. Le passage de nombreux chevaux produit du fumier en grande quantité, utilisé pour amender les champs et réduire les terrains en jachère en développant des prairies fourragères destinées à l'alimentation de ces mêmes chevaux»...
Ici, la chaussée n’a cessée d’être améliorée au fil des époques. Une ordonnance de 1530 citée par Philippe Thuillot dans son étude sur la route des Flandres (bmsenlis.com) stipule que la voie de Paris à Senlis est le «grant chemin» (orthographe d’époque) entre les deux cités. Le site parc-oise-paysdefrance.fr précise que Colbert (1619-1683) fut le principal «initiateur» de ces améliorations routières. Sous l’Ancien Régime, le chemin «occupe une emprise d'une vingtaine de mètres, mais seule la partie centrale est pavée sur 6,5 m de large réservée au passage des diligences. De part et d'autre de cette bande stabilisée, deux chemins de terre sont destinés aux piétons, aux chevaux courants, aux voitures particulières. Des alignements d'ormes escortent la voie de Pontarmé à la Chapelle-en-Serval». En 1774, il faut quand même rouler 7 heures durant pour aller à Paris… Beaucoup plus tard, la démocratisation de l’usage de la voiture à essence donne une seconde jeunesse au bourg. C’est toujours un lieu d’étape et de promenade, au moins jusqu’en 1964, date de l’inauguration de l’autoroute du Nord entre Le Bourget et Senlis. L’hôtel-restaurant de la Roseraie (et son mini-golf) restera le témoignage gourmand de cette époque… Il faut 3 km à peine pour atteindre Pontarmé, village cité dès 1166. Auparavant, on aura longé le cimetière d'honneur néerlandais d'Orry-la-Ville, inauguré en 1958, et qui contient des tombes de Néerlandais, tant civils que soldats, tombés en France durant la Seconde Guerre mondiale. Après avoir franchi la Thève, on entre dans la forêt de Pontarmé, partie Est de la forêt de Chantilly. Il y a 7 km en ligne droite jusqu’à Senlis. Au 43e kilomètre du voyage, la ville de Senlis, nommée Augustomagus par les romains, fortifiée dès le IIIe siècle, est la première halte d'importance sur ce trajet Paris-Lille. Cette «station parisienne de villégiature, environnée de belles forêts, nous dit le Guide Bleu 1954, résidence royale depuis Clovis, vit, en 987, la proclamation comme roi, de Hugues Capet». Notre R.N.17 historique entre dans Senlis par la rue du Faubourg-Saint-Martin. Au XIIe siècle, lit-on sur le site municipal ville-senlis.fr, «la ville vit une de ses périodes les plus fastueuses sous le règne de Louis VI le Gros. La cathédrale Notre-Dame est construite, sur une période allant de 1153 à 1191». Le vignoble, le travail de la laine et du cuir, les foires, sont alors au coeur de l'activité économique de la cité. «Plus tard, poursuit le résumé historique publié par le site de Senlis, les débuts de la Guerre de Cent Ans s’accompagnent d’une épidémie de peste qui décime la région dès 1323». Après Henri IV, les rois ne séjournent plus dans la région et la ville connaît un lent déclin, attisé par les guerres. Le XVIIIe voit le début du démantèlement des fortifications. Une vaste opération d’urbanisme accompagne ce projet; la page Facebook de la ville de Senlis raconte l'histoire de ce qui fut l'un des premiers contournements routiers de France: «Autrefois rue Royale, rue Impériale, rue Neuve de Paris, Pavé de Senlis, la rue de la République fut percée en 1753 pour livrer passage à la route de malle-poste Paris-Compiègne et éviter ainsi le centre-ville, étroit et pentu». La cité n’est d’abord pas desservie par le chemin de fer, qui passe dix kilomètres à l'ouest par Chantilly et Creil en 1859. La raison? Senlis «voulait protéger ses commerçants et industriels vivant de la route», écrit Wikipédia, citant notamment l'ouvrage d'Alfred Driard, Senlis sous l’ancien régime: Travaux publics. Au XXe siècle, l’agglomération subit de fortes destructions au moment de l'invasion allemande, en 1914, mais est choisie pour héberger l’état-major du maréchal Foch en 1918. La carte de Cassini publiée par l’IGN (Géoportail) montre, outre le contournement issu de la construction de la rue Royale du XVIIIe siècle, une ancienne sortie de la ville par le faubourg Villevert (actuellement la rue du Vieux-chemin-de-Pont). Un itinéraire qui disparaît quasiment sur la carte d’état-major du XIXe… En effet, on quitte désormais Senlis en suivant un long faubourg dans lequel, laissant à droite la route de Compiègne (R.N.32 historique), on reprend à gauche l’ancienne R.N.17 qui traverse la forêt d'Halatte. L’intersection, qui se situait, dans les années cinquante, au lieu-dit Le Poteau, a été reportée un peu plus au nord, lorsqu’il a été nécessaire de raccorder –au début des années soixante- le réseau national à la toute jeune autoroute A1.
En bordure de forêt d’Halatte, notre voie croise le «chemin royal», réalisé sous Louis XV, grand chasseur de gibier, qui souhaitait éviter Senlis pour se rendre à Compiègne chez ses cousins, les Condés. Un peu plus loin, on remarque que, du carrefour de la Belle-Image aux environs de Fleurines, la R.N17 historique taille plus droit que l’ancien tracé du XIXe siècle (la rectification de 1954, pour Wikisara). A près de cinquante kilomètres de la capitale, voilà Fleurines, «village situé dans une clairière au centre de la forêt, (une) agréable villégiature» pour le Guide Bleu 1954. Le trafic, désormais intense, empêche hélas d'imaginer ce qu'aurait pu être cette «agréable villégiature»... L'Oise est traversée à Pont-Sainte-Maxence. Peu avant d’arriver au niveau du pont, on remarque, sur la gauche de l’itinéraire actuel (l’avenue Jean-Jaurès), une «rue de la Vieille-Montagne» qui a très bien pu être l’ancien chemin reliant Fleurines à Pont. C'est à la fin du Ve siècle que la ville prend le nom de la martyre Sainte Maxence. La légende dit que la jeune femme, promise par son père à un prince païen, s'enfuit pour éviter cette union. Arrivée devant l'Oise, elle y jette trois pierres qui lui permettent de toucher l'autre rive... Hélas, le prince appelé Avicin la rattrape et la tue malgré ses prières... «Le pont qui lie les deux rives est connu depuis 673», raconte le site pontsaintemaxence.fr. D’autres sources nous apportent des précisions: L'Histoire chronologique de la ville de Pont-Sainte-Maxence sur l'Oise dit que «dès 779, il y avoit un péage à payer à Pont-Sainte-Maxence». Plus loin, le même ouvrage indique qu'une charte de 842 prouve «que dès ce temps il y avoit à Sainte-Maxence un pont» (orthographe d'époque). Plus tard, au cours des siècles, d'autres ouvrages furent construits et détruits. «Le pont actuel a été inauguré en octobre 1949, mais, toujours selon le site officiel municipal, on peut encore y déceler les vestiges de l’oeuvre de l’architecte Perronet, classée monument historique, qui sauta le 1er septembre 1914» (un autre ouvrage, dans l’entre-deux-guerres, est détruit le 9 juin 1940). Dans la ville même, les aménagements du XVIIIe siècle, qui correspondent à la réalisation du pont Perronet, condamnent la rue Charles-Lescot à n’être plus qu’un axe secondaire; par ailleurs le nouveau remblai conduisant au pont réalisé entre 1774 et 1785 induit la destruction de plusieurs îlots d’habitation (Wikipédia). Après le passage de l’Oise, nous voici dans le faubourg de Flandre. Un peu plus au nord, notre route croise maintenant le marais de Sacy (à l'ouest de la D1017), asséché à partir de 1599 sur ordre d'Henri IV. Anecdote intéressante publiée sur le site saintmartinlongueau.fr, en 1719, le lieu est acheté par un homme, le sieur Jean-Jacques Coutard, qui fait bâtir «en plein milieu du marais un château considérable entourée d'avenues, de jardins et de canaux», bien visible sur la carte de Cassini... Tout est détruit une quarantaine d'années plus tard à la mort du propriétaire... Ici, «l'ancien chemin de Flandre, après avoir traversé Longueau et longé Saint-Martin, gagnait le nord par un tracé sinueux qui passait à l'ouest de Blincourt. Il a été remplacé en 1785 par l'actuelle route nationale, à partir de l'ancien hameau de l'Equipée», lit-on dans Wikipédia qui cite l'ouvrage de Lucien Charton, Liancourt et sa région. Non loin de là, vers le tertre de Sacy, s’embranchait la «chaussée Brunehaut» menant à Amiens. Plus loin, au carrefour de Lihus, on croise la route de Beauvais à Compiègne (l’actuelle R.N.31). A noter que sur la carte de Casssini, l’embranchement est situé plus au sud, vers Blincourt. Le Précis statistique sur le canton d’Estrées-Saint-Denis nous donne quelques indications supplémentaires: «Livrée à la circulation en 1825, la route royale n°31, qui croise la route royale n°17 à 350 m au midi du relais du Bois-de-Lihus», a été «construite à grand frais depuis dix ans».
Estrées-Saint-Denis est située à 3 km au nord. Depuis sa naissance, la vie de ce bourg est liée aux affaires routières… Un peu d’étymologie: tiré du latin strata (signifiant chemin pavé ou route), le nom a évolué en Estrata, Estrée, Estrez, Estrées... Au Moyen Age, écrit le site municipal estreessaintdenis.fr, Philippe Auguste donne aux religieux de Saint-Denis des droits de défrichage et de culture. Après des siècles difficiles, le XIXe et l’essor des communications, apportent à Estrées-Saint-Denis l’indispensable développement économique. On généralise la culture de la betterave à sucre; la vaste sucrerie de Francières (au nord du bourg) ouvre ses portes en 1829. On retrouve le Précis statistique sur le canton d’Estrées-Saint-Denis (1832) qui nous explique le tracé de la route n°17: «Cette belle route, construite entièrement en chaussée de grès (…) se dirige sur une ligne parfaitement droite par Estrées-Saint-Denis, Bellevue et la Montagne, jusqu’à l’extrémité du territoire, vers Gournay-sur-Aronde». Large de 27 m de la limite méridionale de l’arrondissement jusqu’après le Bois-de-Lihus, elle n’a plus que 23 m (avec les fossés) jusqu’à Gournay. «Elle est plantée en pommiers, ormes et peupliers sur presque toute sa longueur. (…) Anciennement, la route de Flandre, en partant du Bois-de-Lihus, allait passer devant l’église d’Estrées-Saint-Denis, puis à la ferme de Fresnel, à Hémévillers, et de là au pont d’Arsonval sur l’Aronde, au-dessous de Gournay. Le tracé actuel a été établi vers 1730». On remarque d’ailleurs, sur la carte IGN de ce XXIe siècle, un lieu-dit «Vieux Chemin de Paris» vers la ferme de Fresnel. Le passage de la route de Flandres du XVIIIe siècle à Gournay-sur-Aronde est remarquable: une longue descente passant par un lieu-dit au nom évocateur (la Montagne), le passage du ruisseau la Somme d’Or et de l’Aronde sur un étroit pont puis une forte montée autour de l’église dans la rue de Paris… On comprend que le trafic de la R.N.17 ait été détourné avec bonheur par l’ouest depuis 1957 (Wikisara). Dans un document publié par la communauté de communes du Pays des Sources (cc-pays-sources.org), on apprend que «Gournay était une étape importante pour tout voyageur (…). Après avoir accueilli Louis XIV en mai 1678 en route pour les Flandres, le village eut aussi le privilège de recevoir le jeune Mozart avant son arrivée à la cour du roi en 1763». On sort de Gournay par la rue de Flandre. A deux ou trois kilomètres au nord, au niveau du petit hameau de Saint-Maur, on voit sur la carte de Cassini que notre voie Paris-Lille croise la voie antique (ou «chaussée Brunehaut») de Compiègne à Montdidier. L’embranchement avec la R.N.35 historique (actuelle D935) en provenance de Compiègne arrive, lui, un peu plus au nord. Au km 84, à Cuvilly, on entre «dans la zone des combats du printemps 1918», nous explique le Guide Bleu 1954. Le village fut en effet durement éprouvé durant la bataille du Matz, du 9 au 13 juin 1918, au cours de laquelle les Allemands essayèrent de percer le front français depuis le secteur de Montdidier-Noyon. On passe le village d’Orvillers, puis voilà Conchy-les-Pots, où la route de Flandre croisait un ancien chemin de Montdidier à Noyon (carte de Cassini). Dans ce village, contourné par la nationale 17 depuis 1955 (Wikisara), il y avait là, sous l'Ancien Régime, une poste aux chevaux. «En 1433, nous dit l'Histoire de la ville de Roye, rédigée parGrégoire d'Essigny, il s'appelait la Poterie à cause des ouvrages de terre qui s'y fabriquaient». Aujourd’hui encore, on y trouve de belles portions de chaussée pavée rappelant ce que pouvait être un «trépidant» voyage en diligence aux siècles passés… Et encore, nous avons les pneumatiques, nous!!! Avant d’aller plus loin, il faut savoir que la route Paris-Lille n'a pas toujours eu, dans la région, le même tracé. On constate, nous dit la Notice archéologique sur le département de l'Oise, que «l'ancienne route de Flandre, venant de Roye à Crapeaumesnil, canton de Lassigny, a sur plusieurs points l'aspect et le renom d'une voie romaine; elle est rectiligne jusqu'à Canny-sur-Matz; elle longe vis-à-vis Fresnières le bois de la Chaussée et l'emplacement du Tronquoy, signalé par l'abondance de ses tuiles. Nous croyons qu'elle laissait Canny à l'ouest pour monter à Gury par l'ancien chemin de Roye à Compiègne; mais nous ignorons si elle se continuait par Mareuil-Lamotte et Marigny-sur-Matz, ou par Elincourt-Sainte-Marguerite, Marest et Chevincourt». D'ailleurs, l'Histoire de la ville de Roye semble le confirmer: «en 1609, la grande route de Roye à Paris passait à Crapeaumesnil (Acte devant Lagoul, le jeune, notaire à Roye, du 29 août 1609)». Et la carte IGN actuelle montre bien, au sud de Crapeaumesnil, une ancienne voie des Flandres qui se prolonge vers Roye par la D142 (on voit un lieu-dit «haute-borne») puis D221 dans la Somme.
Quant à la route nationale 17 historique, au tracé défini depuis le milieu du XVIIIe siècle, elle s’avance désormais sur Tilloloy après être entrée dans la Somme après le lieu-dit la Poste. La dernière rectification y date, là, de 1956 (Wikisara). L'étape suivante est le bourg de Roye, où l’on entre par le faubourg Saint-Gilles (route de Paris). La situation de la petite cité «est des plus heureuses, nous dit Grégoire d'Essigny dans l'Histoire de la ville de Roye, département de la Somme. Elle communique à Péronne et à Gournay par la route de Bruxelles à Paris; à Amiens, par un chemin de construction romaine, nommé Chaussée Brunehaut, et à Noyon, par une assez belle route». Hélas, la «ville ancienne (a été) anéantie pendant la guerre 1914-18 et reconstruite» précise le Guide Bleu 1954. D’autres malheurs avaient précédé celui-ci… La ville est successivement pillée, incendiée –comme souvent dans le nord du pays- par les Anglais, les Bourguignons, les Français… «Jusqu’en 1659, nous signale Wikipédia, année de la signature du traité des Pyrénées, Roye était très proche de la frontière, qui passait par Marché-Allouarde. Elle était donc en première ligne lors des guerres de l’Ancien Régime». Avant d’entrer dans le centre de la ville, la chaussée (qui porte ici le n°4221) passe un pont sur l’Avre, «reconstruit en 1747, par ordre de M. Chauvelin, intendant de Picardie» écrit encore Grégoire d'Essigny. L'Histoire de la ville de Roye, par Emile Coët (1880), écrit de son côté que la route n°17 de Paris à Lille fut «construite sous Louis XIV et terminée sous Louis XV; elle établissait une communication directe entre la Flandre et la capitale. Avant cette époque, le chemin qui conduisait à Lille ne passait pas par la ville, mais entre le hameau de Saint-Georges et Roye». C'était vers l'hôtel de la Grosse-Tête (qui existait déjà en 1513) que l'on trouvait la poste aux chevaux qui restera en service jusqu'en 1845, nous apprend encore Emile Coët. On quitte la ville par la D4221 qui retrouve la grande déviation de la D1017 (réalisée entre 1979 et 1991, Wikisara) peu avant le lieu-dit La Baraque. Voilà Liancourt-Fosse, 7 km au nord de Roye. Le village est dévié depuis 1956 (Wikisara); l'ancienne chaussée nationale, la rue de Flandre, y longe les maisons sous le n°1017a. Un peu plus loin, se trouve le bourg de Fonches-Fonchette.
Encore un peu plus loin, après Omiécourt, la route entre dans Marchélepot. L'Histoire de l'arrondissement de Péronne et de plusieurs localités circonvoisines, nous raconte que ce village, anciennement appelé Marcel, se trouva ruiné, et que certains habitants vinrent «chercher une résidence plus favorable sur les bords de la belle route de Flandre». Là, s'établira un relais de poste à partir de 1464, ce qui donnera le nouveau nom du village: Marcel-les-Postes, puis Marché-le-Pot et enfin Marchélepot. Un relais qui fut constamment occupé par la famille Torchon, dite plus tard de Lihu, indique encore l’ouvrage rédigé par l'abbé Paul Decagny. Des combats violents s’y déroulent en mars 1918 et en juin 1940… A chaque fois, il faut bloquer l’accès de Paris aux troupes allemandes… Cinq kilomètres au nord, à Villers-Carbonnel, «on coupe la route d'Amiens à St-Quentin», écrit le Guide Bleu de la France automobile. Cette voie, également dénommée «chaussée Brunehaut», est une ancienne route romaine. Des fouilles menées à Vermand en 2015, selon le Courrier Picard, indiquent que cette voie date d'une période allant du IIe au IVe siècle. «Elle fait cinq mètres de large. C’est déjà une belle voie», commente le responsable du chantier dans le journal. Voici ensuite la descente «dans la vallée marécageuse de la Somme», explique maintenant le Guide Bleu 1954. La route fait une courbe au niveau d’Eterpigny dans le bois du Ponceau et file au nord vers Péronne. Rapidement, voilà l’entrée de la R.N.17 dans le faubourg de Paris, anciennement Sobotécluse, littéralement cerné par la Somme et le canal du même nom. Sur la carte d’état-major du XIXe siècle, publiée par le site Géoportail de l’IGN, ce quartier apparaît totalement fortifié, isolé au beau milieu des eaux. D’anciens documents y démontrent l’existence d’un chemin traversant les eaux dès le XIIIe siècle (Péronne, son origine et ses développements). Nul doute donc, à lire tout cela, que la cité a joué un rôle particulier dans l’histoire… «Ville frontière, "clef du royaume de France", Péronne connut bien peu de périodes de paix du Moyen Age à l'époque contemporaine», nous indique d’ailleurs le site ville-peronne.fr. Ici, «la route de Paris aboutit à la Grand-Place», nous dit le Guide Bleu 1954. C'est à Philippe-Auguste que l'on doit la construction du château fort vers 1204. La cité, célèbre pour une entrevue entre le roi de France Louis XI et le duc de Bourgogne Charles le Téméraire en 1468 (où le roi fait mine de céder aux Bourguignons…), acquit ses titres de noblesse lors d’un dur siège à l'été 1536, où, pendant 31 jours, Péronne tient tête à l'armée du redoutable Charles Quint. Du coup, François Ier récompense les Péronnais de plusieurs privilèges, raconte encore ville-peronne.fr, «dont celui de placer une couronne sur le "P" de leurs armoiries». En 1870-71, la ville est assiégée par l’armée prussienne, 600 immeubles sont détruits, mais la grande tragédie de la région, c’est la Première Guerre mondiale. Prise dès le début du conflit, Péronne se trouve au cœur des combats de la terrible bataille de la Somme, en juillet 1916. Reprise par les Allemands de mars à août 1918 au cours de la bataille du Kaiser, Péronne n'est définitivement libérée par les troupes australiennes que le 1er septembre 1918. Le chantier de la reconstruction est titanesque: l’ensemble de la ville est à rebâtir. Au XVIIe siècle, on quittait Péronne en direction du nord par la porte de Bretagne… Oh… ici rien à voir avec la région française! Son nom vient des Irlandais, Ecossais, Gallois, Anglais… qui s’installèrent non loin de là au Mont-Saint-Quentin. Peu après la sortie de la cité, la carte Michelin n°53 Arras-Mézières de 1947 nous donne d’intéressantes informations sur le réseau routier régional: de Péronne à la Fère, on remarque le vaste projet d’un grand contournement routier au sud-ouest de Saint-Quentin par la création d’une chaussée nouvelle par Tertry, Beauvois, Etreillers, passant ensuite entre Séraucourt et Essigny-le-Grand pour rejoindre le R.N.44 au nord de Vendeuil… Ce nouvel itinéraire, projeté avant-guerre, fut abandonné «en 1955 faute d'argent, alors que les travaux de terrassements et d'ouvrages d'art avaient déjà commencé». Ne reste de cette idée que l’échangeur routier de la sortie nord de Péronne, des terrassements ici et là puis les restes d’un pont jamais emprunté sur la Somme.
L’histoire des chemins anciens vers le Nord après Péronne est assez confuse: l’ouvrage Péronne, son origine et ses développements, citant l’historien Dom Grenier, évoque une ancienne voie antique, puis médiévale, vers Bapaume et Arras, multipliant les cheminements dans le Péronnais, et contournant parfois l’emplacement actuel de la cité jadis fortifiée… Il faut se rappeler que Bapaume fut, à lire Georges Reverdy dans l’Histoire des routes de France, du Moyen Age à la Révolution, depuis le début du XIIIe siècle, «un point de passage obligatoire pour les marchandises venant de Flandre en France ou en Bourgogne. Ce péage, poursuit Reverdy, devint ainsi un droit de douane. Pour éviter l’évasion du trafic, surtout à l’est de Bapaume, des postes de perception obligatoire y furent créés. On alla jusqu’à percevoir la taxe sur tous les franchissements de la vallée de la Somme»… De notre côté, après Péronne, «on reprend, nous dit le Guide Bleu 1954, la N17 (D917 aujourd’hui), qui s'élève sur le plateau et passe à Aizecourt-le-Haut, Nurlu, Fins, Gouzéaucourt (département du Nord), gros villages agricoles». A Nurlu, d’après la Notice géographique et historique du village réalisée par l'instituteur, M. Gamain en 1899, et citée par Wikipédia, une voie antique secondaire reliant la région parisienne avec le nord passait bien par là. A la hauteur du village de Fins on croise une nouvelle «chaussée Brunehaut» que l’on voit filer à l’est et à l’ouest par la D58. Au km 158, nous dit le Guide Bleu 1954, voici le lieu-dit de Bonavis, «carrefour d'où se détachent à droite, la route de Saint-Quentin (R.N.44bis en 1959), puis une route de 2 km conduisant à l'abbaye de Vaucelles, très abîmée en 1914-18». La carte de Cassini publiée sur le Géoportail y mentionne un relais de poste. De là, il y a onze kilomètres jusqu’à Cambrai. La chaussée (D644 aujourd’hui) traverse Masnières, où coule le canal de Saint-Quentin, inauguré par Napoléon Ier en 1810. Ravagé durant la Première Guerre mondiale, ce village «fut classé en zone rouge en 1919 et n'aurait pas dû être reconstruit», lit-on dans Wikipédia.
La route aboutit à Cambrai par le faubourg de Paris. Grâce à l’avenue de la Victoire, notre chemin file directement à la place Aristide-Briand, ancienne place d'Armes, le centre de la ville. On remarque au passage la porte de Paris (rebâtie au XIVe siècle). Au passage, le Guide Bleu de la France automobile 1954 détaille les richesses industrielles de la ville: «tissages, fabriques de chicorée, minoterie, savonneries, fonderies»... mais rien sur la célèbre Bêtise... Plus sérieusement, à l’image de ses sœurs du Nord, la cité a un passé troublé. Elle n’est d’abord qu’une modeste bourgade au croisement de voies antiques (villedecambrai.com). «Pillée par les Normands et les Hongrois, nous raconte Gérard Vincent dans Cambrai, la ville, intégrée à l’Empire, devient espagnole en 1595. Elle est conquise par Louis XIV en 1677». La ville est construite sur la rive droite de l’Escaut; blottie jusqu’au XIXe siècle derrière ses remparts, elle est incendiée par les troupes allemandes sur le recul, en septembre 1918. Question circulation, Cambrai se désengorge de 1891 au siècle suivant avec le démantèlement des fortifications et la création de larges boulevards (comme les bd Faidherbe et Vauban) autour du centre sur l’emplacement des fossés. On quitte la ville par la bien nommée rue de Douai. De Cambrai à Douai, il n’y a que 26 kilomètres sur la D643 de 2017. Sur la carte de Cassini du XVIIIe siècle publiée par l’IGN, la route s’appelle «chaussée de Douay à Cambray». Elle passe, comme aujourd’hui, par la localité d’Aubigny-au-Bac, où comme son nom l’indique, se trouvait un bac pour traverser la Sensée au XIIe siècle. On y trouve un pont sous l’Ancien Régime; plus tard, la rivière est canalisée à partir de 1820 et se veut de nos jours un maillon de la ligne à grand gabarit de Dunkerque à l'Escaut. La traversée de la petite cité d’Aubigny par l’ancien tracé (interrompu au niveau de la rivière), les rues Léo-Lagrange, Calmette et Pasteur, a réservé, en novembre 2016, au voyageur des nationales, un moment trépidant… sur de beaux pavés bien alignés… Bien plus marrant que la déviation de 1955 (Wikisara)… De Bugnicourt, il ne reste que 6,5 km jusqu’à Douai. Juste après Cantin, le lieu-dit le Pavé de Cambrai semble nous indiquer que nous sommes sur le bon chemin… Puis voici le faubourg de Paris et l’arrivée à Douai par les rues de Cambrai et de Paris.
A 196 kilomètres de Paris, Douai, l’ancienne Duacum du Xe siècle, «occupée de 1914 à 1918, pillée de fond en comble, fut l'objet de destructions systématiques lors de la retraite allemande. Elle a subit également de gros dégâts en 1940 et 1944. C'est un grand centre industriel, poursuit le Guide Bleu 1954, avec d'importantes usines métallurgiques». Qu'en reste-t-il au XXIe siècle? Mais «l'acte fondateur» de la cité, nous dit le site ville-douai.fr, est réalisé après la dislocation de l'empire carolingien, au moment ou le comte de Flandre décide de rendre la rivière Scarpe navigable. Du coup, un quartier marchand apparaît et Douai est reliée aux villes flamandes. Dès le XIIe, l’industrie textile locale exporte dans toute l’Europe. Le commerce du grain est également florissant. Après l’épisode bourguignon, passée sous domination espagnole, Douai, reçoit de Charles Quint l’autorisation de créer une université dans le but de combattre la Réforme; ce qui sera fait à partir de 1562. Au XVIIe siècle, «à la mort de Philippe IV d'Espagne, raconte le site municipal ville-douai.fr, Louis XIV réclame les droits de son épouse Marie-Thérèse. En mai 1667, il décide de conquérir la Flandre. Douai est assiégée le 2 juillet et capitule le 6 juillet 1667». Et, avec le traité d'Aix-la-Chapelle de 1668, la ville est définitivement française. L'inévitable Vauban intervient: des casernes sont réalisées, les fortifications améliorées... On crée un arsenal et une fonderie de canons. Le XIXe siècle est celui de l’émancipation: le chemin de fer Paris-Lille arrive en 1846 et, comme à Cambrai, de larges boulevards sont créés à la place des anciennes fortifications. On prend la direction de Lille par la route de Tournai (D917). Notre chaussée longe la Scarpe canalisée et se rend à Pont-à-Râches. Protégé par un château, le passage sur la rivière au milieu de ces terres humides est très ancien: en 1297, «Philippe le Bel qui part de Douai pour assiéger Lille doit s'emparer du passage par la force et y perd beaucoup de soldats. Pour se venger peut-être, il brûle le pont après y être passé», indique Alain Plateaux (paysdepevele.com). De la même manière, lit-on dans le Généawiki, le roi Louis XIV, se rendant avec son armée à Saint-Amand, passa aussi le pont de Râches, le 21 avril 1674. On gagne maintenant le lieu-dit la Placette et le carrefour à l’étrange nom du Cul-Brûlé… Là encore, c’est Alain Plateaux qui nous donne quelques explications sur cette inhabituelle dénomination: emplacement d’origine du village de Râches, «placé au point de rencontre de deux routes (l’une vers Tournai, l’ancienne R.N.50, et l’autre vers Lille, D917), il a dû subir plus d'un incendie allumé par les armées de passage»...
La route prend la direction de Faumont, en Pévèle, qui était, il y a très longtemps, nous raconte le site faumont.fr, une «zone de forêts où prédominent les bûcherons et les marchands de bois». La fin du XVe siècle verra s’y développer l’élevage (ovins, bovins, chevaux…). On y note encore l’absence de vergers, poursuit le site internet de Faumont. Quelques kilomètres plus au nord, la chaussée passe le pont de Beuvry, frontière entre Artois et Flandre, où l’on pénètre dans l’arrondissement de Lille, indique la carte d’état-major du XIXe siècle publiée par le Géoportail de l’IGN. Nous voici entre Bersée en Mons-en-Pévèle. Dans ce dernier bourg, en 1304, se tient une célèbre bataille durant laquelle Philippe le Bel défait les armées flamandes. Peu avant le lieu-dit le Petit-Pavé se trouve l’emplacement du singulier calvaire des Quatre-Bon-Dieu. Ici, explique paysdepevele.com, «les exploitations agricoles s’étendent dans les premières années du XIXe siècle». Le site bersee.fr renchérit: au milieu de ce siècle, la betterave fait «la fortune du pays, en particulier le commerce des graines de betteraves». Encore un peu au nord, les anciennes chaussées faisaient le léger détour par le hameau du Pavé avant de filer vers le Nouveau-Jeu. La voie longe le bois de Choque et entre dans Pont-à-Marcq. On y croise l’axe Valenciennes-Seclin. Dans L’Histoire de Pont-à-Marcq, l’abbé Bonnet écrit en 1936 que «la route qui virevolte deux fois avant la rivière n’a point changé ses courbes du jour où on l’a tracée. Toutefois son niveau a été surélevé (dans la section qui court depuis la rue de Mérignies jusqu’à la rue des Sabotiers) jusqu’à deux mètres, pour faciliter l’accès du pont quand on en brisa (XIXe siècle) le dos d’âne»… On trouve également dans cet ouvrage quelques mots sur le trajet entre Lille et Pont: on «sortait de Lille, de la porte des Malades dont l’emplacement servit à la porte de Paris (XVIIe siècle). "De l’Isle au Pont à Marcques, écrit un greffier du génie, c’est une plaine sans aucun bois ni arbre, les villages seulement en sont entourés avec des hayes. Au-delà de Pont à Marcque, le pays est un peu plus découvert et forme une plaine où il s’y trouve plus d’arbres; et où les chemins sont séparés les uns des autres par des fossés"». Dès le XVe siècle, on s’occupait de l’entretien des voiries; ainsi, au 28 juillet 1433, écrit l’abbé Bonnet, le comte de Flandre enjoint depuis Bruges «qu’elle soit hâtivement réparée pour en faire un chemin royal qu’on y puisse passer à cheval et chariot dorénavant et sans péril»… Le livre décrit aussi la nature des chaussées: «Le sol était de sable, il fallait des fascines tant pour combler les ornières et les trous que pour maintenir une assise solide. Plus tard au XVIIe siècle on songera à paver de "grès siès ce sol gras, spongieux"(et) on portera à 16 pieds la largeur de la route». Après Ennetières (magnifique ancienne section pavée), il n'est hélas plus possible de suivre le tracé de l'ancienne nationale à ce niveau du voyage: l'aéroport de Lille-Lesquin (ouverture à la circulation aérienne publique en 1947) a été bâti sur le macadam de la R.N.17. L’utilisation militaire de la base, entre 1939 et 1944 avait déjà coupé la route… De toutes manières, en 1954, l’autoroute sud de Lille est achevée et permet aux automobilistes d’entrer dans la grande cité flamande depuis Carvin et la R.N.25. De l’autre côté de l’aéroport, voici le hameau de la Pissatière, coincé entre l’autoroute et les pistes… Sur le site internet de la commune de Vendeville (mairiedevendeville.fr), on raconte que Napoléon Ier, avant de rentrer dans Lille, y assouvit un besoin très naturel, ainsi que son cheval… d’où le nom… Mais rien n’atteste cet épisode!
La route D917 continue vers le nord par Ronchin et arrive aux portes de Lille par le faubourg de Douai. Cette «ancienne capitale de la Flandre française», dont la vieille ville «a conservé son aspect des XVIIe et XVIIIe siècles», «forme avec les communes industrielles contiguës une agglomération de 900 000 habitants», précise le Guide Bleu de la France automobile 1954. C’est incontestablement l’un des points forts de notre voyage en direction du nord de la France. On y entre (fort logiquement) par la rue de Douai. «Au début du Ier siècle, écrit le site lille.fr, le territoire lillois n'est desservi par aucune grande voie qui relie les cités entre elles, mais uniquement par des routes secondaires». C’est, beaucoup plus tard, au milieu du Xe siècle qu’on découvre dans les textes les premières allusions à Lille. C’est désormais, précise encore lille.fr, un lieu de pouvoir avec la résidence des comtes de Flandre. Au Moyen Age, la foire annuelle attire des marchands de l'Europe entière. Français et Anglais se disputent la possession de Lille, mais ce sont les Bourguignons (entre 1369 et 1477), puis Charles Quint (pour l’Espagne en 1506) qui s’approprient durablement la belle du nord. En août 1667, voilà le rattachement à la France. Vauban lance la construction de la citadelle et inspire l'agrandissement de la ville avec de nouveaux quartiers au nord-ouest. Petit à petit, Lille se spécialise dans le travail du lin et du coton. Ces deux secteurs, en 1850, indique lille.fr, «emploient 85% des travailleurs lillois. Leur vie est terriblement dure: 80 à 90 heures de travail par semaine pour des salaires de misère, le travail des enfants omniprésent, des logements sordides et insalubres»… Une infime partie de la population détient une grande partie des richesses… Il y a eu cependant un mieux concernant les voies de communication: «La région, nous dit Philippe Guignet dans Vivre à Lille sous l’Ancien Régime, est innervée par un réseau de chemins mis en place dès la fin du Moyen Age. (…) La viabilité de ces routes s’est améliorée au XVIIIe siècle quand les chaussées revêtues se sont multipliées». Ainsi, continue Philippe Guignet, «pour se rendre à Cambrai, le Lillois doit quitter la ville à 6h du matin avant d’atteindre Douai à midi et Cambrai le soir»… «En 1858, raconte lilletourism.com, en plein essor industriel, la ville connaît un agrandissement majeur. En annexant les communes voisines de Wazemmes, Esquermes, Moulins et Fives, Lille triple sa superficie et double sa population. De grandes avenues et de vastes places sont aménagées selon le modèle haussmannien». La ville est occupée par l’armée allemande durant la Première Guerre mondiale. De nombreux bâtiments sont détruits, le 11 janvier 1916, par l'explosion de la poudrière des Dix-Huit ponts où étaient stockés des matières chimiques allemandes. Il faudra attendre l’entre-deux guerres pour voir le démantèlement des anciennes fortifications de la ville, qui sont remplacées par de larges boulevards («Une longue bataille: le démantèlement des remparts de Lille (1899-1923)», par Bernard Ménager). Occupée par les nazis pendant plus de quatre ans, du 31 mai 1940 au 4 septembre 1944, la cité lilloise est alors rattachée à la Belgique. Agrandie au fil des ans, la ville est devenue, au XXe siècle, la quatrième métropole de France. On sort de Lille par l’avenue du Général-de-Gaulle (D617) qui prend la direction de La Madeleine.
«Au nord de Lille, explique le site ville-lamadeleine.fr, existent au début du XIIIe siècle quelques hameaux qui vont progressivement se fondre pour former la commune de La Madeleine. Son axe principal est, dès l’origine, la route qui mène de Lille à Menin et à la Flandre». Et, de fait, les cartes de Cassini (XVIIIe) et d’état-major (XIXe) publiées sur le site Géoportail de l’IGN montrent toutes les deux le même chemin, par Bondues, Roncq et Halluin. La ville de La Madeleine se développe à la moitié du XIXe siècle avec l’installation d’usines textiles et chimiques. Bien difficile, au XXIe siècle, de retrouver le goût de nos anciennes chaussées, tant ici, l’urbanisation est galopante… C’est bien après avoir traversé le canal de Roubaix que notre route croise les vestiges du fort de Bondues, de type Séré-de-Rivière, qui faisait partie de la ceinture de douze ouvrages entourant Lille (un musée de la Résistance s’y trouve). On laisse partir, vers l’est, la départementale 952 (ancienne R.N.352) qui dessert Tourcoing, toute proche. Cette «petite» nationale 352 est d’ailleurs une rocade autour de Lille puisqu’elle prenait sa source à Seclin et «coupait» une première fois la R.N.17 à Vendeville avant que la construction de l’aéroport ne vienne tout chambouler. Le lieu-dit Le Jambon, qui se trouve juste après Bondues, mérite quelques explications… D’après un article de la Voix du Nord repris par le site tourcoing.maville.com, le Grand Chemin entre Lille et Menin était connu «dès l'époque carolingienne (IXe-Xe siècles)». Et n’a jamais cessé de supporter un important trafic au fil des années, qu’il s’appelle route royale, impériale ou nationale... «Les commerçants de Gand et de Bruges l'empruntaient pour venir à la Foire de Lille vendre leurs draps vers 1100», lit-on sur le site roncq.free.fr. Au Jambon, qui se situait peu avant une «forte» montée, il y avait une halte où, d’après le correspondant du journal, «les voyageurs étaient certains d'y trouver quelques choses à manger, au moins du jambon» pour se ressourcer…
Voilà maintenant Roncq, un bourg qui se site à 4 km de la frontière franco-belge. C’est tout d’abord le lieu-dit du Blanc-Four. Le site asso.nordnet.fr publie une photo de 1937 de la rue de Lille, entièrement pavée, s'allongeant entre deux alignements de petites maisons de brique. Les rails d'un tramway sont visibles entre les pavés (il s'agit de l'extension vers Halluin de la ligne de tramway électrique Wattrelos-Tourcoing). Un panneau d’entrée d’agglomération mentionne «Roncq Blanc Four» en lettres capitales blanches sur un fond foncé. Le nom de l’endroit viendrait d’une auberge, qui aurait possédé un «fournil où les habitants du hameau pouvaient venir faire cuire leur pain». «Le plus ancien document où figure le nom de Roncq date du début du XIIe siècle», voit-on dans l’ouvrage l’Histoire de Roncq. En 1884, «Roncq dépasse les 5000 habitants et est administrativement qualifié de ville», lit-on sur le site ville-roncq.fr, car, en raison du développement de l'industrie du lin, il y a ici une forte immigration, essentiellement belge. L’auberge de la Tête d’Or dont on connaît existence depuis 1590, y servait de relais de poste. Il n’y a qu’un pas entre Roncq et Halluin, le bourg accolé à la Belgique. Là encore, la départementale 917 y entre par la rue de Lille. Des textes d’ordonnances de travaux datant de la fin du XIVe et du début du XVe siècle publiés par l’Histoire de Halluin montrent que l’axe entre Lille et Menin avait une certaine importance. Dans l’un d’entre eux, le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi constate «que le grand chemin d’entre noz villes de Lille et de Menin, par ce que piéça il n’a esté refait, est fort empirez et efondrez et est taillié de encores plus empirer et efondrer que l’en n’y porra aucunement aller ne passer à charroi et à paine à cheval en yver» (orthographe d’époque)… Plus loin, le même livre évoque des cartes de la région, datées des années 1740 et 1761. Celle de l’an 1761 montrant «le plan de redressement et d’élargissement de la chaussée d’Halluin (…) depuis la frontière actuelle jusqu’au-delà du chemin de Molinel». A Menin (Menen), nous voici à la frontière avec la Belgique. En 2007, j’écrivais que, «contrairement à ce qu'indique le Guide Bleu de 1954, il n'y a aujourd'hui plus aucun poste de douane pour marquer la fin de la route nationale 17»... Dix années plus tard, avec la lutte antiterroriste de ce XXIe siècle décidément bien tourmenté, voici le retour des contrôles… «L'Europe, l'Europe!»... lançait le général de Gaulle, d'ailleurs natif de Lille. Marc Verney, Sur ma route, janvier 2017Retour sur la page principale de ce site (clic!)
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