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Sur ma route
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L’automobiliste qui voyage aujourd'hui en 2013 en France ne peut pas rater les carrefours giratoires … D’après une évaluation du Centre d'études techniques de l'équipement (Cete), il y en aurait approximativement 30 000 du nord au sud de notre pays… Les crispants carrefours giratoires font désormais partie de notre quotidien et balisent tout trajet sur les anciennes routes nationales fréquentées par l’auteur de ce site… Mais pour mieux connaître la genèse de cet équipement, devenu la coqueluche des équipes municipales de notre Hexagone, il faut remonter quelques siècles en arrière… Vitruve, un architecte romain qui vit au 1er siècle avant JC, présente sa ville idéale dans un traité intitulé De architectura: elle est de forme circulaire, ses bâtiments laissent passer des voies qui, toutes, rayonnent autour d’une place centrale. L’ambition, est là, clairement esthétique: il s’agit de proposer à la vision des hommes de nouvelles perspectives sur la cité, issues des sciences géométriques et mathématiques. La Renaissance, fortement imprégnée des idées antiques, s’inspirera donc aussi des pistes lancées par Vitruve. Au XVIe siècle, c’est à Rome que l’on développe le principe des plans rayonnants. La Piazza del Popolo se situe à l’aboutissement de plusieurs voies, formant un trident donnant sur un obélisque égyptien installé là en 1589. A Paris, au début du XVIIe siècle, un projet d’aménagement urbain voit le jour à l’amorce de la route de Meaux. Le roi Henri IV avait pour idée de réaliser dans ce qui est aujourd’hui le quartier du Marais une «porte de France» en forme de demi-cercle d’où jailliraient plusieurs voies portant chacune le nom d’une région française. Seules les rues de Bretagne et de Poitou seront achevées. A Londres, le Grand Incendie de 1666 donne l’opportunité aux urbanistes de remodeler entièrement la City. Boulevards, places et jardins seront réalisés suivant des préceptes issus de la Renaissance. Ainsi, au XIXe, on verra naître des places de forme ovale, comme le Finsbury Circus, créé en 1812. Les limites de ces lieux –étriqués et peu ouverts- apparaissent vite. En 1813, John Nash, architecte londonien, propose de créer des places rondes dès que la rue réalisée rencontre un axe principal. En France, la réalisation d’allées en étoile se rejoignant en un seul et vaste lieu se fait d’abord dans les forêts, sous François 1er notamment. Il s’agit, à Compiègne par exemple, de faciliter les chasses mais aussi de permettre aux spectateurs d’y assister plus confortablement, nous dit Eric Alonzo, dans son excellent ouvrage Du rond-point au giratoire. On ne parle pas encore de circulation, encore moins d’embouteillages! Tracé en 1670 par Le Nôtre, le rond-point des Champs-Elysées amorce l’aménagement de cette partie de Paris, comme l’avenue du même nom, suivie par l’ébauche de la place de l’Etoile (achevée en 1777 après abaissement de la butte sur laquelle elle se trouve). Issu de la forêt et du jardin, le rond-point s’installe en ville. C’est Eugène Hénard, au début du XXe siècle, qui fait entrer le carrefour giratoire dans l’histoire de la mobilité… Cet inspecteur des travaux à la ville de Paris, né en 1849, lui-même fils d’architecte, proposera de brillants projets lors des expositions universelles de 1889 et de 1900. Ce sont ses projets d’aménagement urbain qui le distinguent: ainsi, il propose des boulevards à redans, qui brisent l’alignement des immeubles professé jusque là par Haussmann, des parcs pour aérer la cité, des intersections de type nouveau et donc le fameux «carrefour à giration». Dans un essai, Les voitures et les passants, carrefours libres et carrefours à giration, publié en mai 1906, Hénard démontre l’avantage de la giration par la droite dans la gestion des flux de circulation. Après la place de l’Etoile en 1907, d’autres carrefours comme la place des Ternes, seront mis aux nouvelles normes avant la Première Guerre mondiale. Ce type de carrefour, cependant, ne sera pas développé plus avant; les nouvelles infrastructures routières (autostrades, déviations de villes) n’intégreront pas le giratoire mais plutôt les échangeurs, où les flux de circulation se séparent puis se rejoignent. En 1966, le code de la route britannique est modifié; il donne désormais la priorité aux véhicules engagés dans l’anneau. C’est la naissance effective du giratoire moderne. Le retour de ce type de carrefour en France date de la fin des années 60, peut-on lire en 1996 dans un article de la revue Politiques et management public. Autour du directeur de l'Equipement de l'Essonne, Paul-Loup Massat, des ingénieurs qui s'intéressent aux problèmes de sécurité routière envisagent le giratoire comme alternative au feu rouge installé en pleine campagne. Celui-ci, peu respecté est en effet «particulièrement dangereux». Un premier carrefour giratoire circulaire (on a d’abord pensé à une forme ovale) est installé au rond-point du Christ de Saclay dans l’Essonne. En 1972, la possibilité pour les maires d’instaurer la priorité à la voiture engagée dans l’anneau des giratoires de leur commune apporte un outil supplémentaire aux supporters des carrefours à giration. C’est à partir de septembre 1983 que les carrefours giratoires obtiennent une existence légale. Et leur développement connaît alors un succès foudroyant. Sécurisant les accès des villes et villages de France, ils deviennent aussi des outils à part entière de la politique d’aménagement locale. Le carrefour giratoire devient –pour le meilleur et le pire- vecteur de communication et de publicité pour les bourgs qui les mettent en place. Ce qui aboutit à d’étranges réalisations, entre ode à la modernité et mise en avant des traditions locales… Primes versées aux ingénieurs routiers et financements électoraux occultes ne seraient pas étrangers non plus à cette effervescence… «D'autres critiques, lit-on dans l’article de la revue Politiques et management public, s'attachent à montrer que le giratoire illustre bien notre société. Le carrefour giratoire n'est pas un espace de vie, ni d'habitation: on y passe mais on ne s'y arrête pas»...
Marc Verney, Sur ma route, avril 2013 |