Sources et documents: Atlas des grandes routes de France, Michelin (1959);carte Le Mans-Paris n°60, Michelin (1940); carte Angers-Orléans n°64, Michelin (1966); carte Environs de Paris n°95, Michelin (1955); carte Sorties de Paris n°100, Michelin (1965); carte Les belles routes de France, de Paris aux Pyrénées n°307, Michelin (1953-54); Boulogne-Billancourt, le guide, éd. du Patrimoine (2009); Boulogne-Billancourt, ville des temps modernes, sous la direction de M. Culot et de B. Foucart, Mardaga (1992); Chartres au début du siècle, Roger Joly, le Cherche-Midi éditeur (1992); Chartres, il y a 100 ans, Fabienne Texier, éd. Patrimoine médias (2013); Etat des communes à la fin du XIXe siècle: Boulogne, sous les auspices du Conseil général, Montévrain (1905); Géographie d’Eure-et-Loir, M. Lefèvre, les Editions de la Tour-Gile (rééd. 1849, 1990); Guide Bleu des environs de Paris, Hachette (1928); Guide Bleu de la France automobile, Hachette (1954); Histoire de Chartres, Roger Joly, éd. Horvath (1982); Histoire des routes de France, du Moyen Age à la Révolution, Georges Reverdy, Presses de l’ENPC (1997); Histoire de Vendôme et de ses environs, abbé Simon, Henrion-Loiseau imprimeur-libraire (1835); Histoire du pays dunois, T2, sous la direction de Bernard Robreau, Société dunoise d’archéologie, histoire, sciences et arts (2009); La vie quotidienne à la cour de Versailles, Jacques Levron (Hachette, 1965); Lecture d’une ville: Versailles, J. Castex, P. Céleste, P. Panerai, édit. du Moniteur (1980); Le pont de Tours, deux siècles d’histoire, CLD, la Nouvelle République (1979); Les rues de Boulogne-Billancourt, E. Couratier, Société historique de Boulogne-Billancourt (1962); «Quand la nationale 10 traversait encore Vendôme», le Petit Vendômois (23 mars 2023); Recherches sur les routes anciennes dans le département de Seine-et-Oise, Adolphe Dutilleux, Camille Mercier, Egret, impr. de Cerf et fils (1881); Sèvres en Ile-de-France, Mariette Portet, Ch. Corlet impr. et éd. (1975); Sèvres, rues et lieux-dits, Henri Moreau, Maury impr. (1989); Tours, entre Lumières et Révolution, Béatrice Baumier, Presses universitaires de Rennes (2007); Tours, pas à pas, Hélène Vialles, éd. Horvath (1985); Versailles avant Versailles, Jean-Claude le Guillou, Perrin (2011); arche-chaville.fr; boucleeure.ektablog.com; cloyes-sur-le-loir.com; histoire-auteuil-passy.org; perche-gouet.net; saintcyr78.fr; topia.fr; ville-chateau-renault.fr; Wikipédia, Wikisara. Remerciements: Géoportail (IGN), CartoMundi; médiathèques de Boulogne-Billancourt, de Sèvres, de Chartres, de Tours; la BPI du centre Georges-Pompidou.
Localités et lieux traversés par la N10 (1959): Paris-porte de Saint-Cloud Boulogne-Billancourt Sèvres Versailles Trappes (N12) Coignières Le Perray (N191) Rambouillet Ablis Gué-de-Longroi Chartres (N23) Thivars La Bourdinière-St-Loup Vitray-en-Beauce Bonneval Flacey Marboué Châteaudun La Fringale Cloyes-s-le-Loir Le Chêne-Vert Les Fontaines Pezou Lisle Vendôme La Moinerie Château-Renault La Noue Monnaie Monconseil Tours
Un site
sur la N10!
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On sort de Paris par la porte de Saint-Cloud, qui se trouve déjà à 8,5 km de Notre-Dame, le point zéro des axes nationaux français. La traversée de la capitale se fait par les quais de Seine et l'avenue de Versailles. Un détail pour les amateurs d'anciennes signalisations: on trouve sur l'avenue du Président-Kennedy (à deux pas de la Maison de la radio) une très ancienne borne de la R.N.10 (6 km de Notre-Dame, voir photo ci-dessus). C'est là l'un des rares témoignages du passage des routes nationales hexagonales dans Paris intra muros. Il faut cependant savoir que le village de Passy a été –seulement- rattaché à Paris le 1er janvier 1860. La prospérité des lieux est venue, nous dit la Société historique d’Auteuil et de Passy sur son site histoire-auteuil-passy.org «par la découverte des eaux thermales en 1719, qui connurent une grande vogue jusqu’en 1785, puis sous le Directoire». Juste après la porte de Saint-Cloud, Boulogne-Billancourt est la première cité traversée par la R.N.10 historique (D910). On lit dans Boulogne-Billancourt, le guide que l’on doit à la volonté de Philippe IV le Bel de faire édifier en ces lieux une église dédiée à N.D. de Boulogne. Dès la fin du règne de Louis XIV et en raison de la proximité des accès à Versailles, les paysans laissent leurs terres aux riches Parisiens; ces derniers y édifient leurs maisons de campagne. A l’époque, la route de Versailles, réalisée dans les années 1680, se prolonge par le pont de Sèvres, qui, à cette époque, s’appuie sur l’île Seguin. C’est l’actuelle rue du Vieux-Pont-de-Sèvres. Boulogne-Billancourt, le guide nous apprend que «c’est la route la plus fréquentée du Royaume… en raison du défilé incessant des carrosses de la cour». Le livre Les rues de Boulogne-Billancourt indique la date du déplacement de la chaussée suite à la reconstruction un peu en aval du nouveau pont de Sèvres en 1821: le 22 juin 1822, sa largeur est arrêtée à 36 m. Du milieu du XIXe au début du XXe siècle, l’urbanisation est galopante (un plan d’alignement existe depuis 1837): dès 1905, toute la commune est entièrement bâtie. Des centaines de blanchisseries ponctuent le paysage local… Le document l’Etat des communes à la fin du XIXe siècle: Boulogne évoque la R.N.10 à cette époque: «dans la traversée de Boulogne, la route n°10 est entièrement pavée, elle présente une largeur de 9 m. Elle est flanquée, à droite et à gauche, de deux pistes de 3 m chacune, en terre, réservées à la ligne de tramway Paris-Versailles et de deux contre-allées de 8 m de largeur, plantées de deux rangées d’arbres». Au sud de la chaussée, Billancourt a une histoire singulière et passionnante: lotie dès le milieu du XIXe siècle, la cité héberge la société Renault, fondée en 1899 par Louis et ses frères qui viennent de mettre au point leur première automobile. C’est l’amorce d’une aventure industrielle extraordinaire qui culmine au cours du XXe siècle… Les usines Renault de Billancourt sont «plus grandes que Chartres, plus peuplées que Cambrai» découvre-t-on sur un stand du constructeur automobile au salon de la Qualité en 1933… Boulogne et Billancourt fusionnent en 1860. Le nom Boulogne-Billancourt apparaît en 1925. Après un grand plan d’urbanisme en 1929, la ville est la première cité de banlieue à accueillir le métro en 1934.
Après avoir suivi l’avenue du Général-Leclerc, on passe ensuite la Seine sur le pont de Sèvres, l’ouvrage actuel (le précédent est très endommagé en 1943) est long de 150 m et achevé en 1963. L’ouvrage Les rues de Boulogne-Billancourt raconte l’histoire du franchissement de la Seine: une ordonnance royale décide en 1684 la construction d’un pont de bois en remplacement d’un bac. Souvent abîmé, celui-ci résiste jusqu’aux premières années du XIXe siècle; en 1808, Napoléon ordonne sa reconstruction en pierre… hélas, l’ouvrage, réaligné par rapport à son ancêtre, ne sera achevé qu’en 1821, bien après la chute de l’Empire. De l’autre côté de la Seine, voilà Sèvres. La cité est connue, nous indique le Guide Bleu de la France automobile 1954, pour «sa manufacture nationale de porcelaine et son musée de céramique». Les origines de Sèvres sont anciennes: pour le livre Sèvres en Ile-de-France, «le tout premier site fut en bordure du fleuve à l’embouchure du ru de Marivel». (…) Aux temps antiques, de nombreuses carrières de pierre développent le port». Plusieurs sources et fontaines y favorisent l’apparition –au fil des ans- d’industries prospères: blanchisseries, tanneries, brasseries… Le bourg a encore son aspect médiéval au XVIIe siècle, avec son château-fort et sa cité fermée de murs. Mais la réalisation du domaine royal de Versailles va tout chambouler: un pont à péage de 21 arches sur la Seine (on en a parlé ci-avant) et le percement du «pavez du Roy» dans la vallée du ru de Marivel entraînent de vastes travaux: «on fit de grands murs de soutènement; les terres enlevées servirent à remblayer certaines parties de la vallée», remarque encore Sèvres en Ile-de-France. Le nouvel axe aide à l’extension de Sèvres vers l’ouest. Cette rue Royale est bientôt bordée d’une multitude de maisons de paysans, de bistrots, de relais, d’auberges… En bord de Seine, l’érection, en 1756, de la manufacture de porcelaine favorise l’aménagement des lieux: on aménage une vaste place en demi-lune, un abreuvoir permet de désaltérer les chevaux… Après un nouvel aménagement en 1817, l’âge de la voiture bouleverse l’organisation des lieux. Sèvres, dans les années cinquante, croule sous la circulation auto. L’ouvrage de Mariette Portet nous donne là aussi de nouvelles indications: en 1958, on réaménage la traversée de la Seine avec la réalisation d’un échangeur routier en forme de trèfle côté Billancourt. Plus loin, nous raconte Sèvres, rues et lieux-dits, l’avenue de l’Europe est le nom adopté pour la déviation de la route nationale 10 -projetée dès 1961- et ouverte après 1965-66 sur le tracé d’une ancienne rue parallèle à l’ancien tracé.
De Chaville à Versailles, la chaussée traverse aujourd’hui en 2015 des banlieues pavillonnaires et des grands ensembles sans trop se faire remarquer... On s’amuse à remarquer cependant que le GPS de la voiture de location indique ici encore fièrement «RN10», au lieu de «D910». A Chaville même, notre voie croise le «pavé des Gardes», une voie, nous dit le site arche-chaville.fr, qui «suit approximativement le tracé de l’ancien chemin de Paris à Montfort, connu depuis Saint Louis. Ce fut longtemps la seule route de Paris à Versailles». Le pont de Sèvres, construit dès 1684 marquera la fin de cet axe, aux pentes très raides, verglacées et enneigées en hiver, dès lors juste emprunté par les armées royales pour aller de la capitale au domaine versaillais. Le bourg de Chaville est, lui aussi, parcouru par le ru de Marivel. L’eau joue un rôle économique primordial: «En 1900, nous déclare Wikipédia, un tiers des Chavillois est occupé à laver, sécher et repasser le linge de la capitale». A Viroflay, la route passe sous un impressionnant viaduc ferroviaire appelé les Arcades. Construit entre 1851 et 1852, en meulière, brique et fonte, il est long de 1407 mètres; il est devenu peu à peu le symbole de la cité. L'arrivée sur Versailles, dans le département des Yvelines, est plus spectaculaire: d'un coup, la route s'élargit et se voit environnée d'une escorte d'arbres tous plus centenaires les uns que les autres... Rue incroyable que l'avenue de Paris, créée en 1682, «axe central du trident mis en place par Jules Hardouin-Mansart» pour le château, nous dit le site topia.fr. Avec 97 mètres, c’est l’une des plus larges avenues de France. Pour la bâtir, voit-on dans Lecture d’une ville: Versailles, il fallut «couper en 1670-71 l’éperon» qui la barrait. Elle débouche rapidement sur la place d'Armes, le parvis du château. Louis XIV, le Roi Soleil a fait les choses en grand... Encore aujourd'hui, les automobiles ont du mal à remplir les vastes espaces bitumés qui encerclent les murs ouvragés du palais. C'était, semble-t-il, une autre histoire en 1928: le Guide Bleu des environs de Paris évoque la R.N.10 en ces termes: «Cette route, mal pavée, suivie constamment par le tramway, souvent encombrée par des voitures de charge, n'est pas à recommander aux automobilistes». Difficile d’évoquer l’histoire de Versailles en bref… Le village, sous Louis XIII, nous dit l’ouvrage La vie quotidienne à la cour de Versailles, est «d’accès difficile. Seul le chemin de Sèvres à Villepreux le dessert». C’est en 1624 que ce même roi décide de posséder «un rendez-vous de chasse» dans la région. Celui-ci a quand même déjà 26 pièces habitables en 1627! Ici, passait au XVIIe siècle la route de Normandie (pour aller vers l’Espagne à l’époque, c’était par Orléans…), une voie d’approvisionnement essentielle pour Paris. Cette chaussée, note l’ouvrage Lecture d’une ville: Versailles, «passe au pied de la butte où se trouve le château, traverse le village et continue par l’Est pour éviter par la droite la colline de Montbauron». Dorénavant, continue ce livre, «le plan défini pour Versailles ignore ce tracé et arrête la chaussée venant de Paris dans la cour du château». Dans Versailles avant Versailles on en apprend un peu plus sur cette première route: elle «était bordée de maisons bâties en moellon du pays et couvertes de tuiles. Il y avait trois auberges, le Grand Cygne, la Croix Blanche et l’Ecu de France». Du coup, en raison de ce changement, la nationale 10 (D10 en 2015) tourne brutalement à gauche et emprunte la rue de l'Orangerie. Le chantier pharaonique du château est considéré comme achevé en 1710… A la sortie de Versailles, la route longe la pièce d'eau des Suisses (ainsi appelée parce qu'elle a été creusée par un régiment d'Helvètes au service du roi) et passe à côté d'un ancien panneau Michelin renuméroté. C’est ici qu’a lieu, le 24 mai 1903, le départ de la course automobile Paris-Madrid. Une course interrompue à Bordeaux après de nombreux morts et blessés parmi les concurrents et spectateurs. La nationale 10 historique entre maintenant dans l'agglomération de Saint-Cyr-l'Ecole. Celle-ci doit sa notoriété à son école militaire, créée par Napoléon 1er qui fait suite à une maison d’éducation créée par Louis XIV sous la pression de Mme de Maintenon destinée «aux filles pauvres de la noblesse», nous dit le site saintcyr78.fr. Hélas, nous rapporte l'édition 54 du Guide Bleu, en 1944, «la ville a été sinistrée à 85%» par les combats pour la libération de Paris. Quatre kilomètres plus loin, au lieu-dit Les Quatre-Pavés, la R.N.10 voit, dans les années cinquante, son trafic s'augmenter des conducteurs pressés ayant choisi l'autoroute de l'Ouest, minuscule bout de quatre-voies représentant l'une des rares structures autoroutières françaises de l'époque...
Un peu plus vers le sud, dixit le Guide Bleu 1954, la traversée de Trappes est «étroite»... On note quand même qu’une déviation, en service vers 1955, est visible sur la carte Michelin de cette année. Peu avant cette ville, c’est là que l’on remarque sur la carte d’état-major du XIXe siècle publiée par le Géoportail de l’IGN, «l’embranchement de la route de Brest par Alençon», la R.N.12 (D912 en 2015). On y trouvait d’ailleurs le bien nommé hôtel de la Fourche, fréquenté par les promeneurs fréquentant l’étang de Saint-Quentin-en-Yvelines, juste à côté. La rue Nationale de Trappes, «aujourd'hui rue Jean-Jaurès, nous apprend Wikipédia, est refaite en 1903 pour le passage de la course automobile Paris-Madrid». L’encyclopédie en ligne nous indiquant encore que l'Auberge de la Chasse Royale du bourg, «décrite sur le plan terrier de 1588, deviendra en 1713 relais de la poste aux chevaux et sera une poste aux lettres en 1734. C'est l'actuelle brasserie l’Etoile d’or». Durant la Seconde Guerre mondiale, Trappes paye son passé ferroviaire prestigieux: son triage et son dépôt de 1911 sont bombardés par les Alliés en 1944 et la ville détruite aux trois-quarts. Après Trappes, la route de Chartres se dirige vers Coignières au travers de la commune de Saint-Quentin-en-Yvelines, ville nouvelle décidée dans les années soixante. Pour certains auteurs du XIXe siècle, comme dans l’ouvrage Recherches sur les routes anciennes dans le département de Seine-et-Oise, on n’aurait pas eu, par ici, dans les temps anciens, de chaussée directe vers Rambouillet et Chartres. Mais des voies longeant la vallée de l’Yvette par Palaiseau, puis Limours, Saint-Arnoult et Ablis… ou bien un autre itinéraire plus au sud par Dourdan et la vallée de l’Orge. Mais, précise encore ce livre, «la carte des Postes de 1738 donne un parcours tout différent par Versailles: Paris, Boulogne, le Pont-de-Sèvres, Versailles, Trappes, Coignières, Le Perray, Rambouillet, Maintenon et Chartres».
A Coignières, fut donc installé un relais de poste au début du XVIIIe siècle. Celui-ci, précise Wikipédia, devait être temporaire, le temps de finir les travaux de celui de Trappes… mais son utilité fut démontré peu à peu. Et il restera en service. Voilà ensuite Le Perray, dont le nom évoque un chemin empierré, sans doute celui de Beauvais à Orléans. Le village, nous précise encore l’encyclopédie en ligne, profite de la construction du château de Versailles: un étang de 10 ha alimenté par des rigoles y est creusé pour approvisionner les jeux d’eau royaux… ce qui assainit le territoire et apporte de nouvelles récoltes. La R.N.10 arrive à Rambouillet au km 52. Il est fait mention des lieux dès le VIIIe siècle. Le château, constamment amélioré, deviendra domaine royal en 1783. C’est encore, de nos jours, dans la ferme attenante, le fief du mouton mérinos! Rambouillet se développe rapidement après l’arrivée du chemin de fer en 1849. La route y croise la N306 (D906 aujourd'hui) qui relie la porte de Châtillon (Paris) à Chartres par le Petit-Clamart et Chevreuse. Le tracé de ces chaussées fut quelque peu différent au début du siècle dernier. A lire Georges Reverdy dans Les routes de France du XXe siècle, 1900-1951, la chaussée Paris-Bordeaux est qualifiée d’itinéraire d’importance internationale en 1935. Ces routes, dotées d’équipements spéciaux, larges de 7 m au minimum, sont la réponse française aux nouvelles autoroutes. Et donc en direction de Chartres, découvre-t-on, c’est la «R.N.10 jusqu’à Rambouillet, la R.N.191 jusqu’à Ablis, la R.N.188 jusqu’à Chartres, puis la R.N.10 à nouveau»… La nationale 10 ne passe donc -au sud de Rambouillet- par Ablis qu’à partir de 1949. Son tracé, jusqu’à cette date, emprunte celui de la R.N.306 par Epernon et Maintenon. La ville de Rambouillet est contournée depuis 1957-58 (Wikisara). La R.N.10 d’après 1949 file désormais en ligne droite vers Ablis où elle tourne brutalement à droite vers Chartres. Un contournement, ouvert dans les années cinquante, permet d’éviter le centre-ville. Au fil des âges, Ablis a toujours tiré parti de sa situation, au carrefour d’axes reliant l’Orléanais , la Picardie, la Bretagne, la Beauce… A partir de là, tous les kilomètres jusqu’à Chartres, les bornes de la Voie de la Liberté nous rappellent que l'itinéraire a été emprunté en 1944 par les chars de l'armée Patton lors de la libération de la France. A 18 km de Chartres sur la désormais D910, le contournement du Gué-de-Longroi, imaginé dès les années trente, permet d’éviter la traversée difficile de la Voise au sein du bourg.
Le jeu des perspectives étant ce qu'il est... voilà que nous avons maintenant la cathédrale de Chartres exactement en face de nous. La ville est bâtie sur la rive gauche de l'Eure, dominée par l’imposant édifice religieux. Que dit le Guide Bleu en 1954? Et bien que «la ville haute s'étend sur un plateau entourée d'un demi-cercle d'ormes séculaires»... On considère que Notre-Dame de Chartres est l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de l'art gothique du XIIe siècle. Les nombreux cars de touristes, au XXIe siècle, en témoignent... mais les ormes ne sont plus là!! Ancienne capitale de la tribu gauloise des Carnutes, Chartres, tapie derrière ses murailles, portait au IXe siècle le surnom de «ville des pierres», nous dit la Géographie d’Eure-et-Loir. «Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, selon l’ouvrage Chartres au début du siècle, le voyageur venu de Paris entrait à Chartres par la rue du Bourg». Cette rue, précise Chartres, il y a 100 ans, «mène de la porte Guillaume au pont Bouju». Mais la traversée de l’Eure et de sa zone inondable n’a jamais été facile… On suppose, dit l’Histoire de Chartres que les voies antiques empruntaient «une chaussée surélevée consolidée par deux murs de soutènement». Des travaux de franchissement sont réalisés au milieu du XVIIIe siècle (ouverture de la rue d’Ablis et pont de la Courtille, 1764-68) mais il faudra attendre la moitié du XIXe pour que l’aménagement de voies nouvelles de contournement permettent au trafic commercial de s’épanouir. La Deuxième Guerre mondiale voit –hélas- la destruction par les Allemands de la porte Guillaume et de plusieurs ponts sur l’Eure. Au XIXe, annonce le livre Chartres au début du siècle, la R.N.10 «arrivait par le faubourg Saint-Maurice, contournait le centre, passait par le boulevard Sainte-Foy, la place des Epars (où se trouvait le relais, l’hôtel du Grand Monarque), la rue de Bonneval…». De nos jours, on sort de Chartres par l’avenue du Maréchal-Maunoury et Luisant.
Passés les laids rond-points de la périphérie chartraine, la Beauce s'avale lentement mais sûrement: la R.N.10, nous dit le Guide Bleu 54, est là une «route directe, large et très roulante, presque constamment en palier et en longues lignes droites sur les plateaux découverts de la Beauce». Ca donne envie de tracer… On vire quand même au dessus de l’Eure à Thivars où le pont de la route royale a été bâti en 1785, suggère Rémi Tourret sur son blog boucleeure.ektablog.com. Entre 1899 et 1936, la R.N.10 accueille ici un chemin de fer à écartement métrique, qui reliait Lèves à Bonneval, soit 33 km de rails situés majoritairement sur le macadam ou sur l’accotement... Mais avant d’aller plus loin, il faut s’intéresser à la «grande histoire»… «Au XVIIIe siècle, raconte l’ouvrage Tours, entre Lumières et Révolution, le pouvoir royal, conseillé par l’intendant Trudaine, décide de remplacer la vieille voie de Paris en Espagne qui passait par Orléans, Amboise, Loches… par une nouvelle route plus directe et moins dangereuse». Le tracé choisi traverse Bonneval, Châteaudun, Vendôme et impose la construction d’un nouveau pont sur la Loire à Tours. «Les travaux s’étalèrent sur 40 ans», achève Béatrice Baumier, mais le tracé moderne de la R.N.10 était né…
Sept kilomètres au sud de Thivars, voilà La Bourdinière-Saint-Loup. Encore une longue ligne droite jusqu’à Vitray-en-Beauce. Là, dans ce pays aux champs immenses, «rien n’arrête la vue» lit-on dans L’Eure-et-Loir d’Alain Buzy… Au kilomètre 123, on trouve la toute petite cité de Bonneval, étape rafraîchissante au milieu de la «mer» céréalière. Ici, aboutissait au temps anciens un chemin de pèlerinage partant de Saint-Arnoult, qui, évitant Chartres, passait par Auneau. La petite cité, dont le nom Bonavallis est mentionné pour la première fois en 861, naît de l'abbaye Saint-Florentin toute proche, fondée en 857. Au fil des ans, lit-on sur le site perche-gouet.net, «la cité s'organise, on creuse des fossés et on érige des palissades en bois pour assurer la défense. Des puissantes fortifications apparaissent, Sept portes protègent la ville. De cette époque il reste la porte Saint-Roch et la porte de Boisville». Cependant, Bonneval souffre des guerres de religion, puis subit une inondation destructrice en février 1665. D’après l’Histoire du pays dunois, T2, les travaux de la route royale autour de Bonneval sont effectués entre 1777 et 1780, «sauf la tranchée des Coudreaux en 1783». Mais, faits avec l’emploi peu populaire de la corvée, ils avancent à la vitesse d’un escargot… Quant au contournement actuel de la cité, il est réalisé en 1957, d’après Wikisara. Après avoir traversé Flacey, puis Marboué (redressement de la route et nouveau pont sur le Loir en 1834), la ville de Châteaudun s’annonce désormais, 14 kilomètres au sud de Bonneval. Surplombant le Loir, la ville a été bâtie par Hardouin sur un plan régulier après un grave incendie en 1723. Depuis les années 70, la R.N.10 devenue départementale 910 évite le centre-ville, longe la gare et retrouve la route de Tours dès les derniers bâtiments passés… Au cœur de la ville, c’était la rue de Varize, bâtie entre 1760 et 1777 sous le nom de rue du Bel-air qui était classée en R.N.10 (perche-gouet.net). Voici encore de longues lignes droites qui nous emmènent jusqu’à la petite cité de Cloyes. De fait, il faut éviter le moderne contournement et suivre la sautillante départementale 35 qui matérialise le tracé ancien de la route Paris-Espagne. Alors simple bourg entouré de murs, Cloyes est érigée en ville par François 1er le 21 mai 1545. Son nom, probablement d’origine gauloise, signifierait claie ou clôture (perche-gouet.net). Au XIIe siècle, annonce le site cloyes-sur-le-loir.com «on répertoriait déjà un pont, probablement en bois. Reconstruit en pierre à la fin du XVIIe siècle, il avait une forme en dos d’âne. Il fut modifié au XIXe et au XXe siècles». Aux siècles passés, de nombreuses auberges y accueillaient le voyageur, la marque d’une étape majeure.
On entre dès lors dans le département du Loir-et-Cher. La route se met à «onduler sur le versant de la rive droite du Loir» nous précise le Guide Bleu 1954... L’Histoire du pays dunois, T2 signale, qu’ici, la chaussée de la route royale, commencée en 1772 jusqu’à Vendôme, vient juste d’être achevée à la fin du XVIIIe. Entre Cloyes et Vendôme, l’ancien chemin passait plus à l’ouest, par la Ville-aux-Clercs; la nouvelle route royale pique, elle, au sud, longeant par l’est la forêt de Fréteval. Reste que la jonction avec Tours reste encore «inachevée», découvre-t-on dans Tours, entre Lumières et Révolution. La faute aux lobbies… déjà! La jonction des deux parties réalisées de la route d’Espagne (Paris-Vendôme et Tours-Bordeaux) ne peut se faire en raison «de l’opposition du frère de Louis XVI, qui refuse que l’on touche à ses propriétés et celle du duc d’Orléans, qui craint pour sa ville…». Toutefois, le roi, impose l’achèvement définitif de la voie en mars 1784. Peu après une forte descente sur un coteau du Loir, la route n°10 croise la voie d’Orléans au Mans au lieu-dit les Fontaines. On passe ensuite dans le village de Pezou (D208), où l’on a détruit en 1752 une chapelle dédiée à Saint-Marc placée sur le tracé, lit-on dans un article du Petit Vendômois, puis dans celui de Lisle. La jolie sous-préfecture de Vendôme, au km 176, s'annonce. Au Xe siècle, la cité était la capitale d’un puissant comté dépendant des ducs d’Anjou. La route historique y pénètre par le faubourg Chartrain. Le centre historique est placé sur le Loir «qui s'y divise en ramifications nombreuses et pittoresques, est adossé au sud à un coteau escarpé qui porte d'importantes ruines féodales», lit-on dans le Guide Bleu 1954. Notre R.N.10 de l’époque suit la rue du Faubourg-Chartrain (asphaltée après 1932), la rue du Change, l’ancienne rue de l’Ecrevisse, traverse la place Saint-Martin, «où s’arrêtaient les diligences avant 1857», écrit le Petit Vendômois, puis s’oriente vers la rue Renarderie, la place du Marché, l’ancienne rue Saulnerie et la rue Poterie. Très typique, mais très malaisé, est, ensuite, le passage, par la route nationale, de la porte Saint-Georges (XIVe siècle), une des quatre entrées de la cité: en 1809, la porte des charrettes et l'ouverture pour les piétons sont réunies sous une seul et même arcade afin de répondre, lit-on sur le panneau d'information de la ville, «aux exigences d'une circulation toujours plus importante». Mais bon, voilà pour longtemps un de ces «points noirs» chers aux bulletins de radioguidage! Le 15 juin 1940, la porte est incendiée suite aux bombardements allemands (89 morts et 200 blessés) qui ravagent le centre... Le trafic de la R.N.10 ne passera au large de la porte que dans les années 80...
Après Vendôme, la RN10 parcourt les plateaux de la Queue-de-la-Beauce puis celui de la Gâtine tourangelle. Aux alentours de 1811, signale le Petit Vendômois, «la route, achevée, mais toujours peu entretenue, ne passa plus par Huisseau et pris son tracé actuel; le relais de la Rose fut transféré près d'un kilomètre plus au sud au lieu-dit la Poste». Encore de longues lignes droites… le regard s’égare sur l’horizon… gare aux radars routiers, modernes et cruels totems de ce XXIe siècle… Voici désormais Château-Renault, en Indre-et-Loire, une ville qui s’érige peu à peu au milieu du XIe siècle au pied d’un donjon qui la protège. Le cuir, nous dit Wikipédia, fait la richesse des lieux. La ville comptait 16 tanneries en 1880, 9 en 1914, 7 en 1950... Spécialité: la fabrication du cuir à semelles tanné aux écorces de chêne (ville-chateau-renault.fr). La traversée de la cité n’était pas aisée, entre rues étroites et courbes soudaines… Pour atteindre le centre, il fallait emprunter l’avenue Gambetta puis suivre la rue de la République. C’est à l’orée des années 70 qu’un contournement de la cité est mis en place. Nous sommes à 29 kilomètres de Tours, notre première étape sur la R.N.10 historique (D910). Mais il nous faut encore traverser le village de Monnaie, une quinzaine de kilomètres au nord de Tours. Jusqu’à l’agglomération tourangelle, la chaussée est tracée au cordeau (huit km en ligne droite). «L'ensemble, nous dit le site ville-monnaie.fr, sera ouvert au trafic à la fin du Premier empire». Dès les faubourgs, la ville de Tours, à cheval sur la Loire, nous happe. Comme souvent au cœur des métropoles, il est difficile de suivre les axes historiques… Notre Clio de location se fourvoie dans un méli-mélo de ronds-points pimenté par le tracé du –chouette- tramway de la ville… Après la descente de l'avenue de la Tranchée, nous voici sur le pont Wilson qui enjambe la Loire, le plus capricieux et le plus étonnant des fleuves français. La ville est, nous dit le Guide Bleu 1954, «le meilleur centre de tourisme de la Loire». C'est vrai, malgré les bombardements de 1940 qui ont ravagé les quartiers du centre, autour de la rue Nationale, la cité est avenante, gaie et vivante. Notamment vers la place Plumereau, au coeur des vieux quartiers et autour de la cathédrale Saint-Gatien. L’histoire de Tours est très ancienne. Foyer religieux, ville de saint Martin au Moyen Age, la cité est aussi, sous Charlemagne, un haut-lieu de la culture en Europe. Ruinée par les invasions des Normands, Tours se relève aux XVe et XVIe siècles avec de florissantes industries textiles.
Mais ce qui manque aux Tourangeaux de l’époque, c’est un pont sur la Loire… et une route pour accéder facilement au nord, à Chartres et Paris. Le vieux pont de bois vermoulu «dit d’Eudes», qui résiste stoïquement depuis le XIe siècle, est, nous narre l’ouvrage de Béatrice Baumier, Tours, entre Lumières et Révolution, «une succession de passerelles portées par plusieurs piles et sur pilotis vers les îles Saint-Jacques et de l’Entrepont». On comptait 23 arches branlantes bardées de tourelles, de maisons, d’inégale longueur et hauteur, souvent «recouvertes lors des crues» annonce le livre Le pont de Tours, deux siècles d’histoire… Pas facile pour le tourisme! Alors, comme souligné plus haut, c’est le pouvoir royal qui décide, au XVIIIe siècle, de faire passer le trafic Paris-Espagne par Tours au lieu d’Amboise. Et cela va tout changer. Des dizaines d’années de grands travaux vont profondément modeler l’agglomération de Tours en fonction de cette nouvelle route. «Tout commence en 1745, nous dit Béatrice Baumier, par la construction de la chaussée "de Grammont", large de 35 m et surélevée, dans les varennes situées au sud de Tours». Une voie nouvelle complétée par des ponts pour franchir le Cher et le Petit Cher. Puis, à partir de 1765, on réalise la percée de la Tranchée, en direction du nord, ce qui permet aux véhicules de grimper plus facilement sur le coteau de la Loire (encore élargie en 1936). Le terrifiant pont «d’Eudes» est remplacé entre 1765 et 1779 par un tout nouvel ouvrage de 14 piles et 15 arches qui évite les îles de la Loire, trop mouvantes. Enfin, une «rue neuve» est percée entre le nouveau pont et l’avenue de Grammont de 1772 à 1783. Mais le nouvel ouvrage sur la Loire a bien des malheurs: en 1789, les glaces font s’effondrer quatre arches, il s’affaisse en 1835, obligeant à la réalisation d’un radier en béton de 1838 à 1840… Cent ans plus tard, les Français le font sauter devant l’avancée allemande et quatre ans après, ce sont les Allemands qui en font exploser une autre partie… Et en avril 1978, c’est la catastrophe: le pont Wilson plonge dans les eaux boueuses de la Loire… Il n’y a miraculeusement aucune victime! Après consolidation des arches rescapées et reconstruction de celles s'étant effondrées, le nouveau pont est mis en service le 18 septembre 1982. En 1939, la ville de Tours s’étend de la vallée de la Loire à celle du Cher sans discontinuité, c’est désormais une belle métropole moderne que nous quitterons –non sans l’avoir longuement visitée- dans la deuxième partie de notre récit sur la route nationale 10 historique… (continuer) Marc Verney, Sur ma route, septembre 2015
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