Sources et documents: Atlas grandes routes France, Michelin (1959) Atlas routier et touristique France, Michelin (2014); carte Biarritz-Luchon n°85, Michelin (1952); carte Bordeaux-Biarritz n°78, Michelin (1934); Les belles routes de France, de Paris aux Pyrénées, n°307, Michelin (1953-54); Bidart-Bidarte, ouvrage collectif, éditions Ekaina (2004); Bordeaux, notice générale II, atlas historique des villes de France, coord. Sandrine Lavaud, Ausonius (2009); Bulletin municipal d’Urrugne (hiver 2011); Guide Bleu de la France automobile, Hachette (1954); Guide du Routard Bordelais, Landes, Lot-et-Garonne, Hachette (2015); Guide du Routard Pays basque, Béarn, Hachette (2015-16); Hendaye, Irun, Fontarabie, villes de la frontière, sous la direction de Maurice Culot et de Geneviève Mesuret, éd. Norma (1998); Histoire de Bayonne, Pierre Hourmat, Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne (1986); Histoire des routes de France, du Moyen Age à la Révolution, Georges Reverdy, Presses de l’ENPC (1997); Histoire générale du Pays basque, T1, Manex Goyhenetche, Elkarlanean (1998); La grande Lande, actes du colloque de Sabres, Editions du CNRS et du Parc naturel régional des Landes de Gascogne (1985); La route, les Pyrénées de l’Atlantique à la Méditerranée, V. Ginésy, éd. Elixir Bonjean et le Sinaplasme (1931); La voirie bordelaise au XIXe siècle, Sylvain Schoenaert, PUPS (2007); «Le problème de la circulation dans les Landes de Gascogne», Henri Cavaillès, Annales de géographie (1933); Les portraits de Bordeaux, Marc Favreau, les Editions de l’Entre-deux-mers (2007); Les routes de France du XIXe siècle, Georges Reverdy, Presses de l’ENPC (1993); Les routes de France du XXe siècle, 1900-1951, Georges Reverdy, Presses de l’ENPC (2007); «Le tracé probable des voies auréliennes de Dax à Bordeaux», Maurice Prat, dans la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest (1939); a63-atlandes.fr; bayonne-tourisme.com; belin-beliet.fr; inventaire.aquitaine.fr; mairie-magescq.fr; saint-jean-de-luz.com; trainlandes.free.fr; tyrosseville.com; urrugne-tourisme.com; valdadourmaritime.com; vignobledebordeaux.fr; ville-le-barp.fr; visites.aquitaine.fr; Wikipédia, Wikisara. Remerciements: la BPI du centre Georges-Pompidou, le Géoportail de l’IGN, CartoMundi.
Localités et lieux traversés par la N10 (1959): Bordeaux (N113, N89) Talence Gradignan La House Jauge Le Barp La Vignole Belin-Béliet Le Muret Liposthey Labouheyre Cap-de-Pin Laharie Souquet Castets Magescq Saint-Geours-de-M. (N124) Saint-Vincent-de-Tyrosse Bénesse-Maremne Labenne Ondres Tarnos Bayonne (N117) Anglet (N10A) La Négresse Bidart (N10B) Guéthary Saint-Jean-de-Luz Ciboure (N10C) Urrugne Béhobie-Pausu
Des infos sur la traversée des Landes
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Belles
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Bordeaux, nous enseigne le Guide Bleu de la France automobile 1954, est «bâtie en plaine, suivant la courbe du fleuve qui s'étale sur une largeur d'au moins 500 m. (...) Les quartiers du centre sont un des chefs-d'oeuvre de l'architecture française du XVIIIe siècle». Le centre de la ville se dessine en forme de triangle, entre la Garonne, les cours Clemenceau et de Verdun d'une part, et les cours de la Libération, Aristide Briand et de la Marne d'autre part. Pour le guide, grâce au travail des intendants sous l’Ancien Régime, il s’agit bien de l’une des «plus belles villes au monde»… Il est vrai que Burdigala a une très longue histoire. Autrefois petit bourg gaulois, la conquête romaine fait «glisser» la cité dans la cour des grands. «C’est durant la première décennie après JC, souligne le livre Bordeaux, notice générale II, que de nombreuses rues sont tracées. Quadrillée en damier, la ville romaine était réalisée en îlots de 120 m de côté pour une superficie de près de 80 ha». Au cours du Ier siècle, indique l’Histoire de Bordeaux, les commerçants «rapportent des côtes adriatiques la biturica, plant de vigne résistant à l’humidité… Le vignoble aquitain se constitue»… La ville est alors un emporium, un comptoir de commerce qui contrôle les routes de l'étain et du plomb entre les ports gaulois de la Loire et la Rome. Le port, florissant, est, du coup, ravagé au fil des ans par les Wisigoths, les Arabes, les Normands… Passée sous la coupe anglaise en 1154, Bordeaux s’enrichit encore avec le commerce des vins d’Aquitaine, dont Londres est friande… Trois siècles plus tard, la France est de retour dans le Bordelais grâce au traité de Picquigny, mais la mainmise royale est mal acceptée, il faudra de nombreuses années pour que la ville récupère son rang économique et politique au sein du royaume.
Au début du XVIIIe siècle, découvre-t-on encore dans Bordeaux, notice générale II, «la ville médiévale sort enfin de ses murs» sous la direction de l’intendant de Guyenne, Claude Boucher. «On édifie la place Royale, la première brèche ouverte dans l’enceinte fortifiée». En 1743, Louis-Urbain Aubert de Tourny lui succède. L’homme fait embellir les quais sur la Garonne, aménager des places, ouvrir des avenues et crée un espace vert, le Jardin public de Bordeaux. Son travail porte particulièrement sur les accès à Bordeaux: les portes médiévales sont remplacées par des entrées de ville monumentales qui ouvrent «la ville sur la campagne», nous annonce l’ouvrage Bordeaux, notice générale II; derrière celles-ci, «une place de plus grandes dimensions s’étend du côté des faubourgs. Y aboutissent les chemins de Toulouse de Bayonne ou du Médoc qui desservent le sud-ouest du Royaume». La ville connaît parallèlement un nouvel essor économique, son port commerce activement avec les Antilles sous l’impulsion de Colbert. C’est aussi l’époque d’un négoce beaucoup moins avouable, la traite des Noirs africains, vendus comme esclaves de l’autre côté de l’Atlantique… L'époque napoléonienne laisse un sentiment mitigé aux habitants, indique le site bordeaux.fr: «Si Napoléon est populaire, la guerre qu'il livre en Espagne l'est beaucoup moins. De juin 1807 à la fin de 1810, plus de 350 000 soldats traversent de jour et de nuit la Garonne. Les casernes sont insuffisantes et il faut recourir aux habitants pour héberger les troupes». Du coup, en 1814, la ville se retourne contre l'Empereur par l'intermédiaire de son maire, Jean-Baptiste Lynch. celui-ci prend résolument le parti royaliste. «Bordeaux est la première ville de France à se rallier aux Bourbons», conclut le site de la ville. Après 1822 et l’ouverture du pont de Pierre, il faut attendre la deuxième partie du XIXe siècle pour voir se développer de nouvelles activités: «chimie lourde, agro-alimentaire, métallurgie, construction automobile. Le port voit enfin la modernisation de ses infrastructures. Des quais verticaux sont construits autour de 1850», raconte encore bordeaux.fr. En 1852, la ligne de train entre Bordeaux et Angoulême est ouverte au public, ce qui permet de relier Bordeaux à Paris en treize heures. Pendant la Première Guerre mondiale et devant la menace des armées allemandes, le gouvernement français se replie vers Bordeaux, imitant le mouvement de 1870. En 1917, la ville est le point d'entrée en France des soldats des États-Unis d'Amérique montant au front. Plus tard, en juin 1940, la ville accueille de nouveau le gouvernement, qui fuit l'avance de la Wehrmacht. La cité porte, du coup, le surnom de «capitale tragique»... La sortie de Bordeaux se fait par le cours de l'Argonne vers Talence (D1010). La R.N.10 historique s’apprête à traverser, sur environ 150 km, la vaste forêt des Landes. Ce ne fut pas toujours le cas. S’il existait jusqu’à Dax, selon l’Itinéraire d’Antonin au IIIe siècle, une voie au travers des Landes sur un tracé proche de celui de la R.N.10 après Liposthey et par Labouheyre, indique l’ouvrage La grande Lande, c’est, passé les cheminements médiévaux liés aux pèlerinages, la route des Petites-Landes qui prend le pas sur sa grande sœur plus directe. Ainsi, en 1660, nous dit le site a63-atlandes.fr, la route d’Espagne par laquelle Louis XIV va à la rencontre de sa future épouse Marie-Thérèse d’Autriche, contourne les Landes par l’Est via Langon, Roquefort et Dax pour éviter les zones marécageuses du plateau landais. Ce n’est pourtant pas faute de travailler sur le tracé des Grandes-Landes: en 1775, nous dit Georges Reverdy dans l’Histoire des routes de France, du Moyen Age à la Révolution, on emploie l’armée… En 1779, 1784, 1786, les ingénieurs cherchent des solutions techniques, comme celle de réaliser des «fondations de piques de bois enfoncées à la masse et recouvertes de pierres cassées»… Du coup, le Premier Empire délaisse les Grandes-Landes, nous apprend l’essentiel Georges Reverdy dans son autre ouvrage, Les routes de France du XIXe siècle: les relais de poste sont transférés sur l’axe Langon, Roquefort, Mont-de-Marsan (les Petites-Landes). Dès 1808, «des crédits extraordinaires sont débloqués pour sa reconstruction, douze mètres de largeur entre fossés, six mètres d’empierrements de 35 cm d’épaisseur». En 1812, la route est achevée entre Le Poteau et Mont-de-Marsan. Remise en état, elle est désormais route impériale n°11, puis route royale n°10 après la Restauration en 1824. Elle restera la R.N.10 jusqu’à l’orée des années cinquante (la chaussée des Grandes-Landes portant le n°132). Dégradée au fil des ans par défaut d’entretien, on réalise, nous dit le blog Landes en vrac de J.M. Dupouy, son pavement entre 1833 et 1845. La chaussée est alors «formée de trois voies: celle du milieu réservée aux lourds charrois et aux diligences, pavée en grès, et les bas-côtés, utilisés par les voitures particulières moins rapides, conservant l'ancien empierrement renforcé par de la pierre liée par du macadam».
Sur la voie des Grandes-Landes, relancée au milieu du XIXe siècle, voilà, après la traversée de la banlieue bordelaise, le bourg de Gradignan, où l’on franchit l’Eau-Bourde. À la sortie, sur la grande voie vers Bayonne, nous dit Wikipédia, on trouvait là l’hospice (devenu prieuré) de Cayac, mentionné dès le XIIIe siècle. Celui-ci a permis aux nombreux pèlerins marchant en direction de Saint-Jacques de se reposer avant d'aborder les terribles Landes, «pays désolé où l'on manque de tout». Il est singulier de constater que l'ancienne chaussée nationale y passait toujours au beau milieu des ruines dans les années cinquante à soixante-dix... «En 1980, indique le site inventaire.aquitaine.fr, le développement du trafic routier et l’augmentation du nombre d’accidents au coeur des vestiges détruits incitent la municipalité de Gradignan à acquérir l’église et une partie des terres». La route nationale est heureusement déviée à partir de 1981! Dès lors on passe le lieu-dit La House, Jauge et on aboutit au Barp après une quasi ligne droite d’une douzaine de kilomètres (il n’en manquera pas plus loin…). Le Barp doit, lui aussi, son développement aux passage des pèlerins: on y trouvait au XIe siècle, nous dit l’historien local Jean-Jacques Cluzeau sur le site ville-le-barp.fr, un prieuré «construit le long d’une ancienne voie romaine menant de Bordeaux à Dax» (celle-ci passait l’Eyre à Salles). Onze kilomètres plus au sud, voici la commune de Belin-Béliet, où le véhicule trouvera l’unique succession de virages avant une bonne paire de kilomètres... Liée au pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, Belin aurait aussi vu naître Aliénor d’Aquitaine qui fut à la fois reine de France et reine d’Angleterre. Le site belin-beliet.fr insiste sur l’importance de l’étape sur la route des pèlerins: «Le Guide du pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle contenu dans le Liber Sancti Jacobi ou Codex Calixtinus (rédigé dans la deuxième moitié du XIIe siècle) localisait dans la petite cité le tombeau des compagnons de Roland, le héros malheureux de Roncevaux». De son côté, le Guide Bleu 1954 rappelle les monstrueux incendies de l'été 1949, qui ont ravagé 150 000 ha de pins autour de Belin et causèrent la mort de plus de 80 sauveteurs. La route franchit l’Eyre et prend la direction du Muret dans les Landes. C’est peu après cet endroit que les usagers de la moderne quatre-voies «tombent» sur le péage de l’A63, l’autostrade privée qui a dorénavant remplacé la R.N.10 gratuite. Les petits futés savent déjà qu’en suivant une départementale (la D10E) et en slalomant entre les entrées et les sorties de l’autoroute, on peut éviter tous les péages… Mais il faut avoir le temps et ne pas conduire un poids-lourd! Du coup, on perd souvent la trace de l’ancienne R.N.10… En faisant abstraction de la quatre-voies, notre route prend la direction de Liposthey. «Au début du XVIIIe siècle, lit-on sur le site trainlandes.free.fr, les rares voyageurs qui s’aventurent dans ces landes sont consternés par ce qu’ils découvrent: un paysage monotone, inondé en hiver, sec en été, quelques maigres troupeaux de moutons gardés par des bergers montés sur des échasses, sujets aux fièvres et à demi-sauvages»… Quel tableau! Car l’ennemi, ici, ce ne sont pas les montées ou les descentes mais le sable… C’est celui-ci, nous annonce Henri Cavaillès dans son précieux article des Annales de la géographie de novembre 1933, «qui est le grand obstacle à la circulation. Fin, fluent, à la fois mobile et compact, il n’offre à la marche qu’un point d’appui sans tenue solide et sans élasticité. (…) La roue, au lieu de reposer en position tangente, creuse une ornière et s’enfouit»… Au milieu du XIXe siècle, écrit encore Cavaillès, «trois routes nationales parcouraient la région des sables», la plus directe, surnommée la route des Grandes-Landes, étant la route n°132, de Bordeaux à Saint-Jean-Pied-de-Port par Belin, Labouheyre, Castets et Bayonne (en gros notre N10 de 1959). Cette voie était en très mauvais état: en 1851, souligne-t-on dans l’Annuaire du département des Landes cité par Cavaillès, il s’en fallait d’une cinquantaine de kilomètres pour qu’elle fut achevée… «Les deux autres couraient, à la limite du pays, sur un sol déjà plus ferme». L’une, la R.N.10 de Paris à Bayonne (R.N.132 de 1959…), passait la Garonne à Bordeaux, traversait les agglomérations de Bazas, Roquefort et Mont-de-Marsan. De là, par Tartas et Dax, elle finissait par atteindre Bayonne. Appelée la route des Petites-Landes, c’était celle «des messageries, c’est-à-dire du roulage et du commerce» nous dit Henri Cavaillès. Enfin, la seconde se détachait de la R.N.10 à Roquefort et gagnait l’Espagne par Pau et Oloron (n°134).
Le problème de la construction des routes dans les Landes venait principalement de la difficulté à amener l’empierrement là où on en avait besoin… «Pour amener les matériaux sur les chantiers, explique logiquement Henri Cavaillès, il leur faut faire suivre la partie de la chaussée déjà construite… (…) mais la route s’use par les efforts mêmes que l’on fait pour sa construction»… Alors on pense à réaliser un canal. Des études sont menées sous la monarchie de Juillet… Sans résultat. Certains, s’amuse Cavaillès, pensent aussi à acclimater «des chameaux dans la lande»… Mais c’est la construction des voies ferrées qui va apporter la solution. Réalisée de 1853 à 1855, la grande ligne de Bordeaux à Bayonne file tout droit au travers de la Grande-Lande. L’année suivante, le gouvernement annonce la création d’une dizaine de routes agricoles s’embranchant sur le chemin de fer. Les empierrements sont donc amenés par wagons (depuis Angoulême même, nous dit trainlandes.free.fr); il faut quand même attendre l’entre-deux-guerres pour que les chaussées des principales routes landaises (R.N.132, R.N.10) soient correctement entretenues et recouvertes «d’un revêtement de macadam goudronné»… Autre facteur d’amélioration de la situation dans les Landes, la loi du 19 juin 1857, qui va favoriser le drainage, la plantation de milliers d'hectares de pins, le développement de l'économie sylvicole. Le village de Solférino (hommage à la bataille), situé au sud de Labouheyre, domaine impérial de 7000 hectares va servir de laboratoire à Napoléon III pour mettre en œuvre cette loi.
Après Liposthey et Labouheyre, la route de Paris à l’Espagne atteint Castets, qui porta le joli nom de Rameau-Vert sous la Révolution française. Et, un peu plus de douze kilomètres au sud, la chaussée aborde Magescq. Là, indique le site de la mairie, «se tenait un lieu d’échange des produits des alentours. Magescq, en effet, avait un octroi où était perçu un impôt sur le vin et sur la viande. Notre village a donc vécu longtemps des ressources tirées de l’agriculture et de l’élevage avant de s’orienter vers la culture du pin maritime»… On découvre sur Wikipédia que le trajet entre Bordeaux et Bayonne durait, autrefois, «trois jours». Magescq est donc restée «pendant plusieurs siècles une étape de ce voyage». Il reste, dans le village, un ultime relais construit en 1870 qui témoigne de cette histoire révolue, nous dit le site visites.aquitaine.fr. A Saint-Geours-de-Maremne, 10,5 kilomètres plus loin, routes des Petites et des Grandes-Landes se rejoignent afin de prendre la direction de Bayonne. Mais ce ne fut pas toujours le cas: la carte de Cassini publiée par le Géoportail de l’IGN montre la chaussée de Bayonne rejoindre directement Saint-Vincent-de-Tyrosse. La carte d’état-major du XIXe siècle évoque, pour sa part ici, une «grande route abandonnée». La route nationale 10 historique (D810) prend, dès lors la direction de Bayonne. On croise donc Saint-Vincent-de-Tyrosse, ancien carrefour, où le roi de France fit établir, d’après le site tyrosseville.com «les premières postes royales en 1511». Encore une longue ligne droite jusqu'à Labenne. La chaussée longe le marais d’Orx, un des vestiges naturels des Landes d’il y a quelques centaines d’années. La comparaison que l’on peut effectuer en consultant le Géoportail de l’IGN est édifiante: sur la carte de Cassini (XVIIIe siècle), un véritable étang accompagne la route de Paris à Bayonne, sur la carte d’état-major (XIXe), il y a un réseau de canaux drainant les eaux et autorisant la mise en culture des terres (un travail mené de 1808 au milieu du XIXe), sur la carte IGN actuelle, l’eau est en partie revenue, et on parle de la Réserve naturelle du marais d’Orx.
La chaussée franchit le pont du Boudigau. Cette rivière est l’un des restes du cours de l’Adour avant son détournement définitif vers Bayonne, en 1578, par Louis de Foix, afin de réhabiliter son port (valdadourmaritime.com). On entre dans le bourg d’Ondres. C’est en 1834, selon le site ondres-landes.net, que le relais y est supprimé. Puis la voie traverse l’étang de Garros pour se diriger vers Tarnos. Les premières mentions du bourg remontent au XIIe et XIIIe siècle, raconte le site ville-tarnos.fr. Ainsi, «l'église fortifiée du centre ville est une ancienne commanderie-hôpital des chevaliers de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem (ordre de Malte). Édifiée au XIIe siècle, elle servait principalement à l'accueil des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle qui suivaient le chemin du littoral». A Tarnos, dit Wikipédia, la royauté fit redessiner le tracé de la route de manière plus rectiligne et plus large; les Tarnosiens, réquisitionnés en 1770, prirent part à sa construction, achevée en 1789. Par la suite, au niveau du ruisseau du Moulin-d’Esbouc, la route n°10 historique entre dans le département des Pyrénées-Atlantiques. Quelques ondulations du paysage plus loin, c'est l'arrivée à Bayonne: «Qu'on vienne de Bordeaux, de Toulouse ou de Pau, nous explique le Guide Bleu 1954, on entre à Bayonne par le faubourg Saint-Esprit. Les premiers occupants des lieux, indique Wikipédia, sont les moines de l'ordre hospitalier du Saint-Esprit qui ouvrent un hospice sur les chemins de Saint-Jacques. C'est aussi le quartier où s'installent les juifs séfarades portugais ou marranes qui fuient l'Inquisition au XVIe siècle, apportant avec eux l'art de faire le chocolat (miam!). Saint-Esprit est séparé de Bayonne de 1792 à 1857 (le village dépend alors du département des Landes). Pour aller plus loin, il faut maintenant franchir l’Adour. Et ce ne fut pas une mince affaire au fil des siècles! «L'histoire du Pont Saint-Esprit, qui relie Bayonne au faubourg Saint-Esprit en franchissant l'Adour, est plutôt tumultueuse, nous dit le site art-et-histoire.com, tant du fait du caractère impétueux de ce fleuve, que du caractère stratégique de son emplacement, sur l'une des rares routes reliant la France à l'Espagne». Toujours d'après ce site, la première pierre du pont semble avoir été posée au XIIe siècle. Un ouvrage à péage, selon l'Histoire de Bayonne. Mais le pont est rompu par une forte crue qui détruit la moitié de ses piles. On pallie par un pont de bateaux de 1612 à 1644… en 1720, c'est un ouvrage en bois de 259 m qui traverse l'Adour. Il sera lui aussi emporté par une crue, en avril 1770. Réparé en 1778, il compte 32 arches, dont deux en maçonnerie. En décembre 1791, les eaux et le vent impétueux détachent un vaisseau de son point d'attache. Celui-ci alla heurter violemment le pont. «Dans un bruit effroyable» raconte art-et-histoire.com, 19 des 32 arches sont simultanément détruites! Dès lors, suit la réalisation d’un pont de bateaux, puis, sous la période napoléonienne, l’étude d’un ouvrage en bois comportant seize travées… Peu après c’est encore un pont de bateaux qui est réalisé! Enfin, la construction du pont en pierre actuel débute aux alentours de 1845, et s'achève cinq ans plus tard. Le nouvel ouvrage est constitué de 7 arches de pierre pour une longueur totale de 200 mètres.
L'Histoire de Bayonne nous indique que, «lors de la période gallo-romaine, le premier établissement attesté est un castrum situé sur les hauteurs de la ville actuelle». Mais, c’est peu après les invasions dites «barbares» que Bayonne connaît un essor urbain spectaculaire: «Sous l’influence de l’évêque Raymond de Martres, (…) des terres sont gagnées sur les marais en bord de rivière Nive. Un pont est jeté sur cette rivière tout comme sur l’Adour». «C'est au Xe siècle, rappelle le site bayonne-tourisme.com, que la ville prend définitivement le nom de Baïona ("bonne rivière" en basque)». Fin août 1451, Bayonne devient française après trois siècle de pouvoir anglais qui auront –in fine- enrichi la ville. Dès lors, la cité «occupe une place stratégique dans la géopolitique de l'époque, secouée par le conflit avec l'Espagne. La paix est signée en 1659. Louis XIV charge alors Vauban de fortifier la ville, d'y construire un fort et une citadelle. Dès lors, l'identité de place forte sera inexorablement associée à la ville» indique encore bayonne-tourisme.com. En 1814, après l’Empire, les Anglo-Portuguais envahissent le Pays basque et font le siège de Bayonne. «La fin du XIXe, nous dit le site bayonne.fr, marque la disparition progressive des contraintes militaires qui pèsent sur Bayonne. La place forte est déclassée en 1907, cela permet de réelles possibilités d’extension du bâti et l’apparition de nouveaux quartiers hors les murs». Par ailleurs, l’arrivée du chemin de fer en 1855 donne un nouveau souffle à la ville: le tourisme devient un enjeu économique. En sortant de Bayonne, la route nationale 10 historique (D810) prend la direction d’Anglet. La cité a été urbanisée, nous dit Wikipédia «selon le modèle actuel du lotissement et de la maison individuelle». Entre Bayonne et Biarritz, on vient chercher à la fin du XIXe «un petit air de campagne» que l’on ne retrouve plus dans les centres urbains voisins. Quarante lotissements se construisent déjà par ici entre 1872 et 1914… Le chemin de fer Bayonne-Anglet-Biarritz (BAB) relie ces trois villes du département des Pyrénées-Atlantiques entre 1877 et 1953. Sur la côte, la cité balnéaire de Biarritz, lancée par l’impératrice Eugénie après 1854, est reliée à la R.N.10 historique par deux branches de cette nationale (les R.N.10A vers le nord et R.N.10B vers Bidart). «Ses hôtels et ses villas s'égrènent le long d'une côte très pittoresque», écrit le Guide Bleu. Peu avant le lieu-dit de La Négresse, la chaussée longe l’aéroport régional, implanté sur le plateau de Parme sur un terrain acquis en 1922 par le conseil général des Basses-Pyrénées. Inutile de dire, qu’au XXIe siècle, la pression immobilière se fait, par ici, maximale… Cependant, les itinéraires plus anciens ne passaient pas par là: les voies romaines en provenance de Bordeaux, voit-on dans l’article de Maurice Prat dans la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest ciblaient Dax (Aquae Tarbellicae) par l’intérieur des terres (vers la R.N.10 en gros) ou le long du littoral. Dans le Pays basque, il faut se référer à l’Itinéraire d’Antonin qui indique le passage de la voie romaine vers la péninsule ibérique par Ostabat, Saint-Jean-Pied-de-Port, Huntto, Château-Pignon, Roncevaux, Espinal, Erro, Pampelune. L’Histoire générale du Pays basque, T1 de Manex Goyhenetche nous apprend que «certaines chaussées étaient carrossables de façon à être utilisées par les voitures de transport, notamment aux abords des passages pyrénéens. Ailleurs, elles pouvaient être de construction légère, fondée sur des galets recouvers d’une couche de cailloux et de sable». Ce sont des chemins qui seront aussi empruntés au Moyen Age par les pèlerins en route vers Saint-Jacques-de-Compostelle... Mais tout évolue… En consultant l’Histoire des routes de France, du Moyen Age à la Révolution, on constate que, «dès 1584, un document établit une route de poste vers Irun». Plus loin dans ce même ouvrage, rédigé par l’incontournable Georges Reverdy, on voit sur une «carte itinéraire de la généralité de Pau et Bayonne» datant de l’Ancien régime que la chaussée de Bayonne à la frontière par Saint-Jean-de-Luz et Urrugne est considérée comme «faite et à l’entretien»…
La R.N.10 historique passe maintenant Bidart. Au Moyen Age, indique la page Wikipédia du bourg, citant l'ouvrage Bidart-Bidarte, «une route s’élançait déjà depuis La Madeleine au nord, en suivant les tracés actuels de la falaise de Tutilenia et de la corniche, traversait l’Uhabia, et remontait vers Guéthary en passant par Parlementia». En 1843, on projette la reconfiguration de toute la traversée de Bidart par la route n°10. Un nouveau pont succède, en 1844, à un pont médiéval et à une passerelle en bois du XVIIIe siècle. L’ouvrage est réaménagé dans les années 1970-71. Un port qui a compté jusqu’à 500 marins au XVIIe siècle se trouvait par ici, mais l’ensablement progressif de l’estuaire de l’Uhabia entre 1710 et 1749 précipite sa disparition. Voici Guéthary, cet ancien port baleinier, puis thonier et sardinier à l’histoire antique, est devenu une petite station balnéaire de style architectural néobasque et a essentiellement aujourd'hui le tourisme pour activité. La voie de Paris à l’Espagne arrive désormais à Saint-Jean-de-Luz, au coeur du Pays Basque. L’endroit fut jadis, selon notre Guide bleu de 1954 «un port considérable, dont les marins, réputés pour leur hardiesse, pratiquèrent les premiers la pêche à Terre-Neuve»... Saint-Jean-de-Luz, hélas souvent attaquée et dévastée par les Espagnols au fil des années, port de corsaires surnommé le «nid de vipères» par les Anglais, connut cependant son heure de gloire lorsque, à l'issue du traité des Pyrénées conclu le 7 novembre 1659 par Mazarin, Louis XIV vint y épouser Marie-Thérèse d'Autriche infante d'Espagne le 9 juin 1660. Mais, au début du XVIIIe siècle, après le traité d'Utrecht qui ôte à la France ses droits de pêche à Terre-Neuve, la ville perd les deux tiers de sa population en 25 ans. Plus tard, autre malheur, en 1749, 1782 et 1822, l'océan rompt les défenses qui protégent la baie, le port et une vaste partie de la ville se trouvent ruinés. Au XXe siècle, le tourisme relance durablement le port… Dès lors, la R.N.10 historique prend le chemin d’Urrugne; à noter qu’une R.N.10C reliait Ciboure à Hendaye par la belle Corniche basque. La circulation automobile au Pays basque a toujours été un souci: «On s’inquiétait, avance Georges Reverdy dans Les routes de France du XXe siècle, 1900-1951, depuis 1945 de l’aménagement ou des déviations de la R.N.10 pour l’affranchir des traversées presque continues d’agglomérations de Tarnos à la frontière. En 1953, on proposa un tracé nouveau de Tarnos jusqu’au château d’Urtubie peu avant Urrugne, où il rejoindrait la N10»… On peut dire qu’en 2015, c’est l’autoroute A63 (à péage) qui joue difficilement ce rôle.
Encore onze kilomètres d'efforts et la R.N.10, après avoir traversé Urrugne, s'élève pour ensuite redescendre vers Béhobie. Le Bulletin municipal d’Urrugne de l’hiver 2011 nous en apprend un peu plus sur le tracé des routes dans la région. Il existe, à lire ce journal, une «Vieille route d’Espagne» (visible d’ailleurs sur la carte IGN du Géoportail) qui reliait Urrugne à la frontière espagnole. Celle-ci passait au sud du tracé réalisé en 1802 par la Croix-des-Bouquets et qui supporte le trafic actuel de la D810. Quant à Urrugne elle-même, la petite cité bâtie sur une butte est déviée depuis 1947, indique le journal de la municipalité, car le trafic automobile y devenait bien compliqué. «En 1911, écrit le Bulletin, suite à de nombreux accidents, dont plusieurs furent mortels, le maire demanda aux Ponts et Chaussées de creuser "trois légères dépressions" en face de l’église afin que les autos ne puissent plus traverser le village à toute allure»… Les ancêtres de nos «gendarmes couchés» sont Basques! Urrugne, souligne le site urrugne-tourisme.com, est aussi dès le XIe siècle une halte sur la voie de Saint-Jacques-de-Compostelle sur la route côtière également appelée «le Chemin des Anglais». La frontière avec l'Espagne (Pays basque espagnol) se situe sur la Bidassoa à Béhobie au bout d’une longue et éprouvante descente pour les mécaniques. Là, se termine la R.N.10 des années cinquante. Mais l’histoire n’est pas tout à fait finie… Selon l’ouvrage Hendaye, Irun, Fontarabie, villes de la frontière, le dernier pont en bois est remplacé en 1855 par un ouvrage de sept piles de maçonnerie supportant des tabliers de bois (tabliers métalliques en 1879). C’est en 1968 que l’on bâtit le pont routier actuel à côté de l’ancien pont, ce qui nécessite la destruction de maisons côté français. Puis, en 1969, on démonte l’ouvrage de 1879 dont il reste encore, aujourd’hui, les culées de chaque côté de la Bidassoa. Malgré la disparition des douaniers, les embouteillages peuvent ici être redoutables. Ce n'est néanmoins plus pour les mêmes raisons: concurrence frontalière au sein de l'Union européenne oblige, on va faire ses courses chez les uns ou chez les autres au gré de la valse des prix... Soit environ 762 km (1959) pour choisir entre un supermarché, un ventas ou un supermercado... quel progrès pour l’humanité!!
Reprenons les quelques mots qu'a écrit Victor Hugo en 1843, lors de son passage à la frontière, ici même: «La Bidassoa, jolie rivière à nom basque qui semble faire la frontière de deux langues comme de deux pays et garder la neutralité entre le français et l'espagnol. Je traverse le pont. A l'extrémité méridionale, la voiture s'arrête. On demande les passeports. Un soldat en pantalon de toile déchirée et en veste de vert rapiécée de bleu au coude et au collet apparaît à la portière. C'est la sentinelle. Je suis en Espagne».
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