Notre point de départ se situe à Mauzé-sur-le-Mignon. «Construite au flanc d'un coteau, Mauzé est, au XIIIe siècle, une ville "bien munie et fortifiée", entourée de douves et de remparts dont subsistent encore aujourd'hui les vestiges. A l'époque, deux portes contrôlent les issues à chaque extrémité d'une longue rue étroite et tortueuse», écrit le site municipal ville-mauze-mignon.fr. La petite cité fut, dès le XVIe, un relais sur les routes de poste de Paris à La Rochelle et Brouage (1632) et sur la seule route de La Rochelle en 1690, lit-on dans le Bulletin des troisième et quatrième trimestres 2019 de la Société mauzéenne histoire et généalogie titré Histoire de la Poste. Reliée à la mer par le canal du Mignon, Mauzé a également connu jadis une grande activité commerciale grâce à son port, point de départ de la voie d’eau. «En 1714, raconte le site tourisme-deux-sevres.com, un ingénieur royal visite le port de Chaban et de Mauzé, menacé de ruine par le dessèchement des marais de Vix et de Choupeau. Un projet de canal, de halage et de cale pavée est examiné en 1808 par Napoléon 1er. De 1843 à 1845, le canal du Mignon est aménagé de l’écluse de Bazoin jusqu’au Port de Gueux (près de Sazay), puis prolongé de 1880 à 1883 jusqu’à Mauzé pour relier la commune à la mer par la Sèvre Niortaise et permettre le transport par gabare et chaland de bois, vins, farines, produits maraîchers et étoffes. Rapidement concurrencé par le rail, puis la route, le plus grand port de la "Venise Verte" est bientôt abandonné». La route des années cinquante suivait la Grand-Rue jusqu’au bout en direction de La Rochelle. Ce chemin est désormais une impasse coupée par la voie de chemin de fer. Un article du Courrier de l’Ouest évoque notre voie: «C’est Louis XV qui, en 1731, ordonne la remise en état de la portion Niort-La Rochelle de la route royale venant de Paris».
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R.N.11: LA VOIE DE LA ROYALE
En 1959, la R.N.11 relie Poitiers au port de Rochefort par Niort et Surgères. Voilà un petit bout de route qui ne manque pas de sel marin... (lire) |
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La plaque de cocher de Mauzé-sur-le-Mignon, située au tout début de la R.N.22 de 1959 indique La Rochelle à 40 kilomètres (photo: Marc Verney, octobre 2021). |
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Détail de la courte R.N.22 en 1933 sur la Carte des routes à priorité éditée par le Laboratoire de médecine expérimentale. |
Après Sainte-Gemme, on entre dans le village de La Laigne, en Charente-Maritime. Jusqu’au 4 septembre 1941, ce département s’appelait la Charente-Inférieure. C’est la «rue de l’Aunis» (D207) qui était jadis l’ancienne route nationale. Plus loin, notre chemin croise la forêt de Benon. Ce vaste ensemble de 3300 hectares faisait autrefois partie du massif forestier d'Argenson qui s'étendait entre le littoral méridional du golfe des Pictons et le Périgord vert, signale Wikipédia. Aux portes de celle-ci se trouve le village de Benon, où l’on fabriquait du charbon de bois consommé à La Rochelle. Nous prenons maintenant la direction de Ferrières. Vers ce village se trouve le monument en hommage aux combats menés pour la libération de la poche de La Rochelle, entre août 1944 et mai 1945. L’ancienne chaussée de la R.N.22 y suit l’impasse de la Forêt et la rue de la Juillerie. Après être passé au large de Saint-Sauveur-d’Aunis, notre voie entre aujourd’hui dans Nuaillé-d’Aunis par la «rue ex-R.N.22». A la sortie du bourg, au lieu-dit Le Bot (Booth), notre chemin franchit le «canal du Curé», «Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, raconte le site inventaire.nouvelle-aquitaine.fr, les marais situés entre Nuaillé-d'Aunis, Longèves, Andilly-les-Marais et Charron (au nord de la route nationale, NDLR) restent en très grande partie inondables et inondés (...). Pour y remédier, le 3 septembre 1773, un arrêt du Conseil du roi ordonne le dessèchement de ces 6000 arpents de marais "en creusant un canal capable d’absorber toute l’eau qui sort du pont de Réon (Réhon, en amont de Sérigny) et de l’emmener jusqu’à la mer"». Les travaux de creusement de ce qui est alors appelé «grand canal d'Andilly» débutent le 20 juin 1776. «Le 22 novembre 1779, continue le site inventaire.nouvelle-aquitaine.fr, on constate que les portes à la mer sont terminées. Ce n’est que le 9 avril 1791 qu’un procès-verbal certifié par Bauga, maire de Marans, confirme le parfait achèvement des travaux». Non loin de Nuaillé-d'Aunis, se trouve le village d'Angliers. Et, au sud-est de ce bourg, on remarque le hameau de Port-Bertrand. Celui-ci, explique la Statistique du département de la Charente-Inférieure (1839), «servait autrefois de passage aux charrettes, et aux voyageurs, tant à pied qu'à cheval; on traversait là le marais, une partie de l'hiver dans des bacs, et l'été les charrois pouvaient s'effectuer à gué. Aujourd'hui ce passage n'est plus guère fréquenté que par les charbonniers qui viennent de Benon, et c'est le plus droit chemin de La Rochelle à Mauzé».
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Entrée du village de La Laigne. La R.N.22 a été complètement débaptisée dans le passage des petits bourgs de l'Aunis (photo: Marc Verney, octobre 2021). |
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Belle plaque de cocher à La Laigne (photo: Marc Verney, octobre 2021). |
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Aux abords du village de Ferrières (photo: Marc Verney, octobre 2021). |
La route nationale historique n°22 de 1959 frôle la localité de Loiré avant de pénétrer dans Usseau par la «route de Paris» (actuelle D137E1). On y croise à l’époque une des plus longues nationales de l’ouest français, la R.N.137 qui relie alors Saint-Malo à Bordeaux sur 479 kilomètres. La sortie d’Usseau (désormais commune de Sainte-Soulle) se fait logiquement par la «route de La Rochelle» (D137E2). C’est au niveau du hameau de Grolleau que la voie «saute» le canal de Marans à La Rochelle, dont le projet fut lancé sur décision de Napoléon Ier, en 1805 (Wikipédia). Il ne s’agit en rien d’un canal d’assèchement, mais de la tentative de réaliser un lien navigable entre la Sèvre Niortaise et le port de La Rochelle, partie d’un plus vaste projet sur la côte atlantique. Mis en service en 1875, il ne sera connecté au bassin à flot extérieur du vieux port de La Rochelle qu'en 1888. La construction du chemin de fer de La Rochelle à Nantes dès 1871, construit parallèlement sur le remblai constitué par les déblais extraits du canal, va précipiter la désuétude de cette voie d'eau peu rentable qui sera radiée de la nomenclature des canaux navigables en 1957. Pourtant, semble-t-il, la nécessité de meilleures voies de communication dans la région se faisait sentir dès l’Ancien Régime: «La route La Rochelle-Marans, écrit le site inventaire.poitou-charentes.fr, était encombrée par le trafic des charrettes chargées de marchandises et nécessitait un entretien aussi lourd que coûteux. Au milieu du XVIIIe siècle, le mauvais état de sa chaussée la rendait quasiment impraticable durant l’hiver et par temps de pluie».
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Dans le village de Ferrières, les petites maisons basses, typiques de l'Aunis (photo: Marc Verney, octobre 2021). |
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Vers Nuaillé d'Aunis (photo: Marc Verney, octobre 2021). |
Dompierre-sur-Mer est le dernier village rencontré avant La Rochelle. En 1959, la R.N.22 le traversait de part en part (actuelles avenue de la Libération et rue du Général-de-Gaulle). A l’époque, c’était encore la campagne comme on peut le voir sur les anciennes photos aériennes de l’IGN visible sur l’application «Remonter le temps»… «Longtemps considérée comme la porte de La Rochelle, écrit le site dompierresurmer.fr, la localité a une origine très ancienne, qui remonte probablement à l’époque gallo-romaine. Vers le 1er millénaire, le bourg se structura autour d’une église dédiée à Saint Pierre, d’où son premier nom: Dominus Petrus qui se transforma en Dompetra puis en Dompierre». Au XIe siècle, avec la fondation d'un prieuré, des moines venus de l'abbaye de Maillezais s'installent et se mettent à cultiver la vigne sur des terres jusqu'ici incultes, raconte encore le site web municipal, qui indique également que «Dompierre était autrefois, vers 1674, un relais de poste fixé tantôt dans le Bourg, tantôt à Grolleau, les registres faisant mention de Louis Alvaret comme maître de poste». Le site dompierresurmer.fr revient sur les difficultés de circulation dans la commune: la route royale, «très fréquentée, est battue par toutes sortes de voitures lourdement chargées; son mauvais état est un inconvénient pour les voyageurs et les habitants de la commune. L’hiver, le temps de pluie rendait le chemin tout à fait impraticable». La Rochelle, dit encore ce site, «ne communique, encore, en 1750, avec l’intérieur du royaume que par cette route fort difficile»...
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Ancien panneau vers Dompierre-sur-Mer (photo: Marc Verney, octobre 2021). |
Une longue ligne droite, aujourd’hui sans saveur nous emmène vers La Rochelle. «Le pays n'est pas moins riant qu'avant Dompierre: même sol fertile et calcaire, même multitude de maisons blanches et gracieuses», écrit pourtant en 1831 l’Itinéraire descriptif de la France. Force est de constater qu’en 2021, la banlieue de La Rochelle semble moins riante… Entre les murs, c’est une autre affaire. «Cette ville, chef-lieu de la Charente-Inférieure, est située sur la mer. Elle est bien bâtie: une partie des maisons est soutenue par des arcades et des portiques; et la place du château est une des plus belles que l'on puisse voir. Le port est sûr et commode», dit, en 1812, l'Itinéraire complet de l'empire francais, de l'Italie et des provinces Illyriennes. Tout au bout de l’interminable boulevard André-Sautel (surtout à 30 km/h…) se trouve le carrefour de la Patte-d’Oie. Jadis, les voyageurs y découvraient les murs de la ville avant d’entrer dans le centre par la porte Royale, bâtie entre 1706 et 1723. Le port de La Rochelle, rattaché à la France en 1224, emplacement stratégique, a été bien souvent convoité… C'est pour cela que trois enceintes défensives ont successivement entouré la ville: d'abord un ensemble de fortifications médiévales, puis une enceinte dite «protestante» (XVIe siècle) et l'enceinte Ferry du XVIIIe siècle. Le commerce du vin produit dans l’Aunis fera la fortune de la ville, à tel point qu’au XIIIe et au début du XIVe siècle, le port (qui n’était qu’un village de pêcheurs et de sauniers au XIIe) apparaît, malgré les vicissitudes politico-militaires de l’époque «comme un centre commercial de premier ordre», dit Robert Favreau dans son article «La Rochelle, port français sur l'Atlantique au XIIIe siècle». La description des lieux par l’auteur nous éclaire sur un havre portuaire déjà très organisé: «La ville est définie par sa ceinture de fortes murailles entourées de fossés, et serrée de près par des marais à l'est et à l'ouest, par la mer au sud, par le vignoble au nord. Les îlots du Pérot et de Saint-Nicolas encadrent le port que protègent des tours entre lesquelles on peut tendre une chaîne pour fermer l'accès du havre (...). Pour assurer un meilleur accès au port, on ouvrira en 1325, à travers les marécages du sud-est, un large chenal jusqu’à la Moulinette, afin de pouvoir charger sur des gabarres plates les vins de l'intérieur même lorsque, en hiver, les charrois sur les routes non pavées seront devenus impossibles». De même, «deux voies seront réservées, en 1282, pour les charrettes conduisant les marchandises aux quais, et elles seront entretenues en parfait état par la commune. On commence, au XIIIe siècle à paver les rues avec les pierres que les navires du Nord ont chargées comme lest»...
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L'arrivée actuelle à La Rochelle (photo: Marc Verney, octobre 2021). |
L’adhésion à la cause protestante au XVIe siècle finissant, lui vaut d’être assiégée par les troupes de Richelieu en 1627-1628. «Après plus de treize mois de siège, dit le site larochelle.fr, la cité cède devant la famine. La mairie est supprimée et la ville se retrouve privée de ses privilèges». Mais les nécessités du commerce l’emportent, et, quelques années plus tard, les liaisons régulières avec la Nouvelle-France (Canada) et les îles (sucre des Antilles, commerce "triangulaire", fourrures d’Amérique du Nord) feront revenir une certaine prospérité. Il y a un côté obscur à cette nouvelle richesse: au XVIIe et XVIIIe siècles, près de 450 navires vont quitter le port charentais pour déporter près de 160.000 hommes, femmes et enfants -majoritairement venus d'Afrique- de l'autre côté de l'Atlantique. La Rochelle a donc été hélas l’un des plus grands ports négriers français, avec Nantes, Bordeaux, Le Havre... Marquée par son histoire riche en conflits, la cité portuaire restera enserrée dans ses fortifications jusqu’à la fin du XIXe siècle, voit-on dans le site inventaire.poitou-charentes.fr. Les murailles de la ville seront rendues obsolètes par l’urbanisation de la ville vers l’ouest: la création d’un port en eaux profondes à La Pallice, dans les années 1880-1890, donne un nouvel essor décisif à l'activité commerciale ainsi qu’aux voies de communication locales. En 1811, remarque-t-on effectivement sur le site inventaire.poitou-charentes.fr, le seul chemin qui existait à l'ouest de La Rochelle était la route qui menait «à la Repentie -point d’embarquement pour l’île de Ré- via les bourgs de Saint-Maurice et de Laleu». La construction du nouveau port va relancer la construction de rues et de routes afin de relier le vieux centre aux nouveaux bassins. Ainsi, la R.N.22 est prolongée depuis la porte de la Grosse-Horloge par les actuelles rue Léonce-Vieljeux et avenue Jean-Guiton jusqu’à La Pallice dès la fin du XIXe siècle (1890 pour Wikisara). Le trafic devait être conséquent sur ces nouveaux axes: «Jusqu'aux années 1960, La Pallice est aussi un port de voyageurs d'où partent les paquebots de plusieurs compagnies à destination de l'Amérique du Sud et de l'Afrique. Un môle d'escale, relié à la côte, est bâti de 1930 à 1939 pour recevoir les plus gros navires», lit-on encore sur le site inventaire.poitou-charentes.fr. Des sites industriels comme la SCAN (construction d’hydravions) s’installent également dans le secteur. La Deuxième Guerre mondiale va donner une orientation tragique au port de La Pallice. Le lieu fait partie, aux côtés de Brest, Bordeaux, Saint-Nazaire et Lorient, des sites retenus par les Allemands pour établir une Festung (forteresse) autour d'une base sous-marine. La Pallice devient alors l'une des places fortes du «mur de l'Atlantique», et sera fortement touchée lors du conflit par les 17 bombardements alliés. Après guerre, l’histoire «américaine» de La Pallice renaît: le port avait servi en 1917-18 à débarquer une partie du corps expéditionnaire de l’armée des Etats-Unis en Europe… Entre 1950 et 1966 c’est une vaste partie de la logistique de l’US Army en Europe qui a transité par La Pallice, resté l’un des plus importants ports français au XXIe siècle (sixième place). C’est donc ici, au bord de l’Atlantique que s’achève ce –court- périple sur la R.N.22 historique, aujourd’hui totalement disparue puisque le n°22 a été réattribué à une chaussée des Pyrénées, entre le col de Puymorens et le pas de la Case…
Marc Verney, Sur ma route, décembre 2021
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LE MARAIS POITEVIN, LA «VENISE VERTE»
Le golfe des Pictons se forme durant l'ère quaternaire. Cette étendue maritime pénètre profondément dans les terres: on considére que l'océan allait jusque vers Coulon, à une dizaine de kilomètres de l'actuelle ville de Niort. C'est seulement au XIe siècle que les choses allaient changer. Peu utilisé par les Gaulois et les Romains, le golfe des Pictons, qui s'envasait peu à peu depuis l'an 850, est une zone quasi marécageuse, lentement asséchée par le labeur des moines et des paysans qui y voient une terre fertile pour les cultures céréalières. De nombreux canaux sont creusés et des portes à flot, un système de bascule qui laisse l’eau s’écouler vers la mer à marée basse puis qui se ferment à marée haute, permettent de viabiliser 6000 hectares de marais en deux siècles. Ce remarquable travail sera détruit par la guerre de Cent Ans. C'est le roi Henri IV qui relance, dès 1594, les travaux d'assèchement, malgré le peu de moyens disponibles. En 1599, il demande alors à Humphrey Bradley, un ingénieur hollandais et protestant, de réaliser des travaux financés par des capitaux hollandais. Bradley obtint la charge de «Grand maître des digues du Royaume» et organisa selon un plan géométrique et rigoureux, l’aménagement de plusieurs milliers d’hectares de terres autour d’un long canal de 24 km (la ceinture des Hollandais), lit-on sur le site marais-poitevin.com. L'effort se poursuit sous Louis XIII: Pierre Siète, ingénieur rochelais et géographe du roi, réalise 75 km de canaux et assèche plus de 5000 hectares de marais. Après la Révolution, qui assouplit les droits de pêche, Napoléon officialise le statut de voie navigable pour la Sèvre Niortaise. A cette période, le commerce fluvial était florissant. Les «marais mouillés» (en opposition aux marais asséchés) restaient cependant sauvages. «C’est seulement sous le règne de Louis Philippe en 1830 que fut créée la première association des marais mouillés en 1832. Des travaux furent entrepris: redressement de la Sèvre, ouverture de la grande rigole longue de 12 km allant du canal de La Garette au canal du Mignon, ouverture de conches et petits fossés», écrit marais-poitevin.com. Des maladies, comme le paludisme, disparaissent. Le 20 mai 2010, les marais mouillés dits «de la Venise verte» obtiennent le label Grand Site de France alors que la région, menacée par des projets autoroutiers (A83), abîmée par l'agriculture intensive, ne retrouve le label «parc naturel régional du Marais poitevin» qu'en juin 2014.
A savoir: au XIXe siècle, on appelait «huttier» une personne habitant dans le marais. (retour sur la page principale) |
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